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Kheireddine Sahbi,
29 ans

D’Alger, il était arrivé à Paris il y a un an, pour passer un master en musicologie à la Sorbonne. Kheireddine Sahbi, « Didine » comme l’appellent affectueusement ses proches, a été tué alors qu’il revenait d’une répétition de musique arabo-andalouse, sa passion et son art. Il est mort sur un trottoir de Paris avec son violon. « Nous avons perdu un musicien, un frère et un ami », se désole son frère Rafik.

Né le 10 février 1986, en Algérie, il était le troisième d’une fratrie de quatre. Un père fonctionnaire, une mère professeure de français, dans cette famille, le goût de la musique était venu tôt. Il a à peine 10 ans lorsque ses parents l’inscrivent à l’association de musique arabo-andalouse, à Rouiba, leur commune à 25 km d’Alger, comme il en existe dans de nombreuses villes d’Algérie. Il ne s’arrêtera plus de jouer.

Les leçons s’interrompent pourtant trois ans plus tard. L’Algérie est en pleine décennie noire, et il est trop dangereux de faire les trajets. Alors ils font de la musique à la maison, Rafik chante, Kheireddine joue de la guitare. Les années passent, il obtient son bac en 2005. Mais sa mère tombe gravement malade. Peu avant son décès, Kheireddine décide de reprendre la musique andalouse. Il emmène son frère dans l’aventure. « Aujourd’hui, avoue Rafik, je suis musicien grâce à lui. » « Didine », lui, se met au violon. Parallèlement, il suit des études de génie civil à l’université, mais, au bout de deux ans, décide de tout quitter. « Il était amoureux fou de la musique andalouse, de la musique en général », se souvient son frère. Après une maîtrise en musicologie à Alger, le jeune homme décide de partir pour Paris. Il s’inscrit à la Sorbonne où il arrive mi-août 2014. Son premier voyage en France.

Ses proches décrivent un jeune homme sensible, incroyablement doué et drôle. Silencieux aussi. Jérôme Cler, maître de conférences en ethnomusicologie, était son professeur à la Sorbonne. Il décrit un « musicien remarquable », d’une grande maturité, doté d’« une extraordinaire oreille ». Une vidéo de lui jouant du violon circule sur YouTube. On y découvre un visage encadré de boucles brunes concentré sur cette musique aux sons orientaux si émouvante. « Cette vidéo, c’était lui, explique Jérôme Cler : un maintien très droit, une sobriété à travers laquelle s’exprimaient tant de choses. »

A Paris, le jeune musicien vivait en colocation dans le 10e arrondissement avec son ami Bilal, il était assistant d’éducation dans un collège du 19e pour payer son loyer et avait noué de belles amitiés autour de la musique. Ce 13 novembre, l’attente pour ses proches aura duré des heures, d’espoir en angoisse jusqu’au chagrin à l’annonce de la nouvelle samedi midi.

« Ce que je voudrais, dit son frère Rafik, c’est qu’il ne soit pas oublié. Il est mort avec son violon, il avait plein de projets, il était musulman et croyait dans les valeurs de l’islam. Le Bataclan a déjà un nom, mais nous aimerions tant un lieu dédié à la musique qui porte son nom. »

Charlotte Bozonnet

Pourquoi Le Monde publie les portraits des hommes et des femmes tués le 13 Novembre

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