Osama Abbas ne craint pas d’assumer son pays ni sa religion. Il ne redoute pas non plus les amalgames. « Je ne suis pas un terroriste, vous savez. Je n’appartiens pas à l’Etat islamique. » Quelques jours après les attentats de Paris du 13 novembre, le jeune réfugié syrien de 25 ans, arrivé au Brésil il y a un an, continue de vivre le quotidien ennuyeux de la petite ville de Marechal Cândido Rondon, dans l’Etat du Parana, dans le sud du Brésil. Une routine rythmée par les trois huit de la fabrique de poulet halal Copagril pour laquelle il travaille de 6 heures à 16 heures contre environ 1 000 réis par mois (250 euros). Des milliers de blancs, d’ailes et de cuisses de volailles sont emballés chaque jour avant d’être exportés sur le marché du Moyen-Orient.
Du travail dans l’usine de poulet halal
Nous avions rencontré Osama peu avant le 13 novembre. Le car de l’usine le ramenait dans le centre-ville de Marechal Cândido Rondon. Ce soir d’orage, Osama avait retrouvé à la salle de prière celui qui est devenu son ami, Yaser Abdul Rahmn, 23 ans, venu lui aussi de Damas il y a dix mois, ainsi qu’une petite troupe d’immigrés musulmans venus de Gambie, du Pakistan, du Sénégal et du Bangladesh.
Ce melting-pot surprend à Marechal Cândido Rondon. La ville aux airs de « Bavière sous les tropiques », avec son lac, ses maisons à colombages et ses enseignes en lettres gothiques, est peuplée quasi exclusivement d’Alemao, ces Brésiliens blonds et pâles descendants des immigrés allemands débarqués dans le pays au début du XIXe siècle pour « blanchir » le sud du Brésil. A Marechal, on est en majorité catholique ou évangélique. Mais la mosquée ne gêne personne. Hier pas plus qu’aujourd’hui. « Depuis le 13 novembre, on pose des questions. Mais la routine reste la même au travail », et les regards sur les musulmans n’ont pas changé, affirme Muhamad Imran, un Pakistanais d’une quarantaine d’années, employé d’une société de certification halal.
« Ici, on est bien accueilli et on n’est pas embêté par la police comme en France. » Gora Ndiaga, Sénégalais
C’est grâce à lui que la plupart des musulmans arrivés au Brésil pour fuir la guerre ou la misère ont atterri à Marechal Cândido Rondon. Marié à une Brésilienne, désormais revêtue du hijab, l’homme débonnaire et dégourdi orchestre l’accueil des immigrés selon les besoins de Copagril. « Pour faire du poulet halal, il est préférable que l’abattage soit fait par un musulman », explique-t-il. Débarqué à São Paulo après une escale de quelques mois en Egypte, Osama a entendu parler de ce « Muhamad » à la mosquée de Bras, le quartier musulman de la mégalopole. « On m’a dit qu’il y avait du travail, alors j’y suis allé », dit-il. Une fois sur place, Copagril, qui a refusé de nous recevoir, s’est occupé de tout. Logement, cours de portugais, service de santé.
« Ici, on est bien accueilli. Et on n’est pas embêté par la police comme en France », glisse Gora Ndiaga, grand Sénégalais jovial. Tous ont un visa, des papiers en règle. Et personne ne trouve rien à redire à ce Brésil qui les accueille « à bras ouverts », comme l’a promis la présidente Dilma Rousseff. Rien à part l’obligation de se raser la barbe, imposée par Copagril, et la chute
de la monnaie, le real, qui réduit à la portion congrue les sommes envoyées au pays.
Osama Abbas fait partie des quelque 2 100 Syriens accueillis par le Brésil depuis deux ans. Le gouvernement, conscient de l’urgence humanitaire et persuadé de l’intérêt économique de cette immigration, délivre depuis septembre 2013 des visas quasi automatiques aux réfugiés syriens mais aussi aux Haïtiens (43 000 ont été régularisés le 11 novembre).
« Ces immigrants nous aident à construire une société plurielle. C’est une opportunité. Notre plus grand atout, c’est la tolérance », affirme Beto Vasconcelos, président du Comité national pour les réfugiés au Brésil. Que deux des terroristes du massacre français se soient fait passer pour des réfugiés ne devrait pas changer la politique du pays. Le Brésil n’intervient pas dans le conflit. Dimanche 15 novembre, lors du sommet du G20 en Turquie, la présidente Dilma Rousseff a estimé que son pays n’était pas une cible pour les terroristes. A quelques mois des JO de Rio, le dispositif de sécurité sera renforcé, mais le pays ne se sent pas directement menacé.
Des échanges limités avec les locaux
A Marechal, l’ambiance reste bienveillante. « Ici, ce n’est pas la crise. Il y a du travail pour tout le monde. Cela ne pose pas de problème qu’on soit blanc, jaune ou noir », confirme Tania, employée administrative du service de santé de Marechal Cândido Rondon. « Nous sommes heureux d’accueillir une nouvelle culture. Ces réfugiés et immigrés s’adaptent bien, même s’ils ne parlent pas très bien le portugais », abonde Graciela Bier, directrice du département du tourisme à la mairie.
En réalité, les échanges entre ces musulmans et les habitants sont rares, si ce n’est inexistants. Discrète, la petite communauté musulmane vit entre elle, dans un périmètre cantonné entre l’usine de poulet et la mosquée. Sans femme et sans famille. Si São Paulo, en tant que capitale économique, est un point de chute logique pour les immigrés, le Parana n’est pas une destination de hasard. Avant-guerre, les immigrés de l’Empire ottoman y débarquaient en quête de fortune, employés dans les plantations de café. De cet épisode, le pays garde l’habitude d’appeler les immigrés du Moyen-Orient des « Turcs », quel que soit leur pays d’origine. « Quand les “Turcs” parviennent à gagner correctement leur vie, on les appelle des “Syriens”, puis, s’ils font fortune, des “Libanais” », raconte Hervé Théry, géographe, auteur du Brésil, pays émergé (Ed. Armand Colin).
Un article de la Folha de São Paulo daté du 20 septembre témoignait de cette « avancée islamique » aimantée par le marché du poulet halal, recensant 13 mosquées et 9 moussalas dans l’Etat en 2015 contre un seul lieu de prière en 1968.
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