Cinéma - Algérie - "Madame courage" : le portrait d'une jeunesse sacrifiée

Présent aux Journées cinématographiques de Carthage, le film de Merzak Allouache est une fiction poignante sur la jeunesse algérienne, entre tendresse et désespoir.

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Affiche du film
Affiche du film "Madame Courage" de Merzak Allouache. © DR

Temps de lecture : 5 min

Madame Courage* n'a de brechtien pas que son titre. Si ce dernier désigne un puissant psychotrope bien connu de la jeunesse algérienne des bidonvilles, il met aussi en parallèle la figure maternelle du dernier film de Merzak Allouache avec celle de la cantinière Anna Fierling, dite Mère Courage. L'héroïne de la pièce éponyme du dramaturge allemand qui, en pleine guerre de Trente Ans (1618-1648), traverse les routes d'Europe pour faire commerce de tout ce qu'elle trouve. Au milieu des larmes et du sang. Au détriment de ses trois enfants, à peine protégés par la carriole de bois qui les transporte d'un champ de bataille à un autre. Toujours rivée à son écran de télévision, dans sa cabane plantée au cœur d'un bidonville de Mostaganem, la mère d'Omar (Adlane Djemil) et Sabrina n'a pas l'énergie de cette femme-vautour. Elle passe son temps à attendre. À compter sur l'argent que gagne sa fille en se prostituant. Mais Madame Courage n'est pas le portrait de cette femme. C'est celui de son fils, voleur, drogué... et amoureux.

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Algerian schizo

Avant les Journées cinématographiques de Carthage où il figure parmi les 17 films en compétition pour le Tanit d'Or, Madame Courage a fait débat. Comme la plupart des œuvres de Merzak Allouache, connu pour son exploration sans concession de la société algérienne. Ce n'est pourtant pas cette fois le contenu du long métrage qui a suscité la polémique, mais son inscription au programme du Festival international du film de Haïfa (en Palestine occupée). En attendant sa sortie en salle en 2016, les JCC sont l'occasion de se pencher sur la teneur de cette fiction. Une descente aux enfers dans la lignée des Terrasses (2014), le précédent film du réalisateur, qui entre tristement en écho avec l'attentat perpétré le 24 novembre contre un car de la garde présidentielle dans le centre-ville de Tunis. Tout près, donc, des différents lieux du lieu du festival où, chaque jour, la jeunesse tunisienne se presse pour découvrir des films qui, pour la plupart, ne sortiront pas en salle.

Omar n'est pas un terroriste. Dans ses gestes que Merzak Allouache filme avec une grande précision, jusque dans l'ingestion de drogue et d'alcool, rien de religieux. Dans sa bouche, pas une prière. Pas non plus d'injures à Dieu. Comme si pour Omar, Dieu était mort. Ou comme s'il n'avait jamais existé. Les Terrasses était rythmé par les cinq prières, qui accentuaient l'horreur des crimes montrés sans plus de retenue que le quotidien d'addictions et de colères d'Omar. Dans Madame Courage, l'islam fait l'objet d'un traitement similaire. Quelques muezzins ponctuent la déchéance d'Omar. Et surtout, chaque retour du jeune homme à la baraque familiale donne à entendre les émissions suivies par sa mère. Des prêches télévisés, invitations à l'intolérance. Subtile, cette manière dont Merzak Allouache pointe la schizophrénie algérienne laisse la place à un portrait tout en nuances.

Poésie du chaos

Révélation du film, Adlène Jemil incarne un Omar en mal de repères. Un jeune qui noie sa peine dans les paradis artificiels, mais aussi dans l'amour platonique qu'il développe envers Selma (Lamia Bezoiui). La seule à faire preuve du courage quotidien que laisse miroiter le titre, après un moment d'angoisse lors du vol de sa Khamsa par Omar. La parole rare, la silhouette filiforme et le regard vide, Omar n'est pas tout à fait perdu. Il est d'autant plus poignant. Dans une évidente empathie pour son personnage principal, Merzak Allouache montre la poésie qui résiste à la déchéance. Une poésie étrange, forcément. Une tendresse au milieu des vols et des vomissements.

Ce frottement constant entre espoir et désolation, le réalisateur l'exprime à travers un rythme singulier. Madame Courage est imprévisible. Un rien peut faire sortir Omar de son ahurissement ; un rien peut le faire plier et sortir le petit sachet où il enveloppe ses comprimés. Au milieu de ses rituels de drogué jaillit parfois un imaginaire étonnant. Des morceaux d'enfance certes ébréchés, mais encore solides, qui donnent lieu aux plus belles scènes du film. Celles où l'on voit Omar regarder en souriant les photos de Selma qu'il a prises en cachette, avec un portable acheté – et non volé – exprès. Sa rencontre avec la jeune fille, dans une cage d'escalier. Sa manière de baisser son voile pour caresser ses cheveux, et de repartir sans un mot une fois le geste accompli. Et surtout, son pied de grue au pied de l'immeuble de Selma, fusée de feu d'artifice à la main. Une douceur qui manquait aux Terrasses.

Sourire de résistance

Si l'on pense à Omar Gatlato (1976), le premier film de Merzak Allouache, Madame Courage fait pourtant bien triste mine. Or en prénommant Omar le protagoniste central de son dernier film, on ne peut douter que le réalisateur souhaite ce rapprochement. Jeune fonctionnaire algérois, frondeur et charismatique, le Omar d'il y a quarante ans n'a rien en commun avec son homonyme actuel. De personnage de comédie impertinent, Omar est devenu une présence fantomatique. Un être dont les tendresses font sourire et résister à la noirceur, mais dénué de la verve critique de son aîné.

Autre fiction algérienne de la compétition officielle des JCC, Le Puits de Lotfi Bouchouchi permet de mesurer la valeur du sourire suscité par Madame Courage. Manichéen et tout en pathos, ce film propose un énième récit sur la guerre d'Algérie, sans réussir à interroger ses répercussions sur l'Algérie actuelle. À l'opposé de cette tendance didactique encore très présente dans le cinéma algérien, la fille de Merzak Allouache, Bahia Allouache, a présenté aux JCC son premier film : Cinéma bidon . Une comédie déjantée sur l'état du cinéma algérien, plus proche de l'esprit de Omar Gatlato que de Madame Courage. Avec les documentaires Dans ma tête un rond point de Hassen Ferhani et Contre-pouvoirs de Malek Bensmaïl, ainsi que les courts-métrages Babor Casanova de Karim Sayad et The Wave de Omar Belkacemi, l'Algérie est cette année fort bien représentée à Tunis. Et fort diversement.

* Madame Courage, de Merzak Allouache, 90 minutes, Baya films.