Arthur Dreyfus, écrivain : “Notre sentiment de culpabilité est sans fondement”

Sa génération a été la plus meurtrie par les attentats du 13 novembre. Alors que la vie reprend, le jeune écrivain met en garde contre tout esprit de mortification.

Par Nathalie Crom

Publié le 29 novembre 2015 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h02

Ecrivain précoce, remarqué en 2010 pour son premier roman, La Synthèse du camphre (2010, Gallimard) mais aussi documentariste, homme de radio pendant quatre ans sur France Inter, comédien, réalisateur..., Arthur Dreyfus est un intellectuel et artiste aux multiples talents. Né en 1986, il appartient à ce que l'on nomme, depuis vendredi 13 novembre, la « génération Bataclan ».

« Grandir, ou finir de grandir, avec le terrorisme, dans cette peur latente, est une donnée qui existe pour ma génération. Oui, si j'ai un jour des enfants, des petits-enfants, je leur parlerai de Charlie et du Bataclan. Toutefois, je suis très frappé par la rapidité avec laquelle, malgré la violence du choc qu'ont constitué les attentats du 13 novembre, la vie a repris son cours — excepté, évidemment, pour ceux qui ont vécu un deuil personnel. Le lendemain des attaques, je ne pouvais pas sortir de chez moi. Mais le surlendemain, je me suis remis à marcher dans la rue. Un jour plus tard encore, j'ai repris le métro. C'est frappant, cette capacité obligatoire à reprendre la vie qui est la nôtre, et qu'on ne nous ôtera jamais.

'On n'est pas coupable d'être né en France dans les années 1980-1990'

A rebours d'une partie de ma génération, je réfute totalement l'idée que nous soyons un tant soit peu responsables de ce qui nous arrive. Non, on n'est pas coupable d'être né en France dans les années 1980-1990 — pas plus que d'être né en Irak, au Kenya, en Afghanistan ou n'importe où ailleurs. La jeune fille ou le jeune homme qui, ­vendredi 13 novembre, allait écouter un concert de rock au Bataclan n'a pas sa part de responsabilité dans la balle qui l'a atteint(e). Ce discours, pourtant, je l'entends réguliè­rement. Sur Facebook, les commentaires qui essaient de prendre un peu de hauteur répètent souvent cet argument : au fond, nous l'avons cherché, nous avons notre part de responsabilité dans cette violence qui nous frappe. D'un point de vue psychologique, hors même de tout contexte terroriste, c'est la première réflexion qu'on se fait quand on reçoit un coup : qu'ai-je fait pour le mériter ? La parole du politique, comme celle du psychologue, doit intervenir aujourd'hui pour dire : ce sentiment de culpabilité est sans fondement, vous n'avez rien fait pour mériter cela, il n'y a aucune justification à ce qui s'est passé. Rien ne justifie le meurtre d'innocents.

'Je refuse de culpabiliser pour les balles tirées par Daech'

On n'est pas coupable de naître, or c'est ce que sous-entendent les partisans de la « part de responsabilité ». Cette responsabilité, peut-être qu'un ancien ministre des Affaires étrangères, ou un patron d'un grand groupe industriel français qui a pris telle ou telle décision il y a quinze ans, en porte une part, mais certainement pas un jeune homme ou une jeune femme tués au hasard. Cette idée d'une culpabilité qu'on porterait du simple fait d'être né est la pire idée qui soit au monde. Je refuse de culpabiliser pour les balles tirées par Daech. Il y a quelques jours, j'entendais Ariane Mnouchkine interrogée sur une radio et disant qu'il fallait en finir avec la haine de soi. Comme elle, je pense que nos valeurs ne sont pas les pires au monde. Au contraire.

Nous sommes un pays où les homosexuels ne sont pas ­assassinés, peuvent se marier, où les femmes sont libres de faire ce qu'elles veulent, où on peut saisir la loi quand une injustice a lieu. Exporter nos valeurs dans le monde là où elles ne sont pas respectées n'est pas une idée très en vogue dans ma génération, qui se méfie de l'ethnocentrisme, de l'« évangélisation », de la « colonisation positive » du reste du monde par un Occident impérialiste. Personnellement, je pense que nous avons le droit d'être fiers des valeurs ­humanistes qui sont les nôtres. Au premier rang desquelles le respect absolu et indiscutable de la vie humaine. »

A lire

La Synthèse du camphre (2010) et Histoire de ma sexualité (2014), d'Arthur Dreyfus, éd. Gallimard.

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