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Réfugiés : l’Europe scelle un accord avec une Turquie en position de force

Les Européens vont offrir 3 milliards d’euros aides pour favoriser le maintien des réfugiés syriens en Turquie. Merkel pousse pour des quotas de réfugiés venus de camps turcs. Ce rapprochement avec une Turquie plus autoritaire interpelle.

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Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu (au centre) a montré, ce dimanche, son plus beau sourire à Bruxelles, en soulignant un « jour historique dans notre processus d’accession à l’UE ».

Par Renaud Honoré, Catherine Chatignoux

Publié le 29 nov. 2015 à 19:43

Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu a montré, ce dimanche, son plus beau sourire devant les caméras de télévision. Content, il pouvait l’être tant les Européens avait mis les petits plats dans les grands pour accueillir le dirigeant : ainsi les 28 chefs d’Etat et de gouvernement s’étaient déplacés à Bruxelles pour sceller un partenariat avec la Turquie sur la question des réfugiés – d’ordinaire, seuls les présidents de la Commission européenne et du Conseil sont présents pour ces sommets bilatéraux. Seule fausse note, des tweets forts peu diplomatiques du Premier ministre grec Alexis Tsipras, mettant notamment en cause une Turquie qui « dépense des milliards en armes pour violer notre espace aérien ».

Européens et Turcs n’ont pas parlé d’une même voix

Au delà, Européens et Turcs ne parlent de toute manière pas tout à fait d’une même voix. François Hollande, le président français, a souligné que cet accord était dans « l’intérêt de tous », et notamment celui « des réfugiés qui doivent rester au plus près de leur pays d’origine ». « Il est indispensable de soulager la Turquie qui a accueilli plus de 2 millions de Syriens et un millions d’Irakiens », a souligné Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. Mais cette question des migrants ne semblait pas être complètement la priorité de Ahmet Davutoglu, qui a avant tout souligné le « jour historique dans notre processus d’accession à l’UE ». « Les Turcs ont voulu en profiter pour relancer le partenariat entre nous. Nous étions d’accord pour aller plus loin que le seul sujet migratoire compte tenu du contexte géopolitique. La difficulté était de relancer certains chantiers sans abandonner nos exigences », explique un diplomate européen de haut rang.

Donnant-donnant

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Dans le détail, l’accord scellé acte une politique du donnant-donnant : les Européens vont offrir aides et assistance pour favoriser le maintien des réfugiés syriens en Turquie – via une aide de 3 milliards d’euros, même si les Européens ne sont pas d’accord entre eux pour savoir qui va payer – contre une action plus résolue des Turcs pour lutter contre l’immigration illégale et les passeurs. Le gouvernement turc demande également que soit décidée une politique de réinstallation : en clair, les Européens iraient directement recueillir dans les camps turcs les Syriens à qui ils accorderaient l’asile, et ce afin de les décourager de prendre la mer pour tarir les flux.

Une initiative accueillie avec enthousiasme par Angela Merkel qui y voit un moyen d’instaurer une sorte de mécanisme de quotas de réfugiés admis en Europe, ce que sa majorité politique de plus en plus mécontente réclame. « Il faut transformer la migration illégale en migration légale », a assuré la chancelière à l’issue de la réunion. Celle ci avait même convié avant le sommet 7 autres pays (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Suède, Finlande, Autriche et la Grèce), soit les plus concernés par les flux d’arrivées de migrants, à une mini réunion sur le sujet. La France n’était donc pas présente. L’objectif était de les convaincre de se rallier à cette nouvelle politique de quotas. Plusieurs participants, notamment la Belgique, sont peu enthousiastes. Mais Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, a promis de proposer d’ici quinze jours un mécanisme qui permettrait à tous les pays volontaires de participer à ce mécanisme de réinstallation. Pour combien de personnes ? La presse allemande mentionnait dimanche le chiffre de 400.000 réfugiés admis en Europe par an, en provenance des camps turcs. Mais cela a été démenti. Preuve que ce dispositif effraye beaucoup les Européens, il n’est mentionné que de façon très vague dans l’accord signé avec la Turquie.

Signaux politiques

Au delà, la déclaration politique signée par les deux partenaires vaut avant tout par ses signaux politiques. Ainsi la négociation sur la libéralisation des visas pour les nationaux turcs venant en Europe va être relancée, avec l’objectif de conclure à l’automne 2016. En contrepartie, Ankara devra, d’ici à l’été 2016, organiser le mécanisme de réadmission sur son territoire des déboutés du droit d’asile en Europe. Par ailleurs, un nouveau chapitre des discussions d’adhésion va être ouvert – celui sur les affaires économiques, Chypre ayant refusé que d’autres chapitres soient ouverts. Jean-Claude Juncker a néanmoins promis de tenter de surmonter ces divergences. « Je suis convaincu que 2016 sera un tournant dans les relations entre l’Union européenne et la Turquie. L’accord d’aujourd’hui va accélérer le processus d’adhésion de notre pays », a affirmé Ahmet Davutoglu. Enfin il a été convenu que des sommets UE-Turquie se tiendront deux fois par an. En clair, Ankara a de quoi être satisfait.

Revirement politique complet de la part des Européens

Cet accord marque un revirement politique complet de la part des Européens. Ces dernières années, la dérive nationaliste du président Recep Tayyip Erdogan, et ses atteintes répétées aux libertés publiques avaient poussé les principaux dirigeants de l’Union à prendre leur distance vis-à-vis d’Ankara. La mise en examen et l’emprisonnement, jeudi dernier, de deux journalistes réputés du quotidien d’opposition Cumhuriyet pour avoir révélé que le pays avait livré en 2014 des armes aux rebelles syrien est le dernier exemple des excès du régime turc.

L’urgence de la situation migratoire aux frontières de l’Union et la guerre en Syrie les poussent aujourd’hui à renouer en urgence avec leur peu sympathique voisin turc, qualifié par le président Tusk de « partenaire clé » dans la crise migratoire, la lutte anti-terroriste et la crise syrienne. Même la destruction d’un bombardier russe mardi par l’aviation turque -à laquelle Moscou a répondu samedi par un train de sanctions économiques- a été minimisée par les Européens. Le réalisme les oblige aujourd’hui à renouer avec Ankara même si c’est le pire moment pour relancer la dynamique de l’adhésion de la Turquie.

Catherine Chatignoux et Renaud Honoré (à Bruxelles)

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