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Sida : une quinzaine de vaccins à l'étude

Impossible de prévenir la maladie en l'état des recherches. Mais les scientifiques déploient plusieurs stratégies pour en guérir. Ils espèrent un premier vaccin thérapeutique avant 2020.

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Par Paul Molga

Publié le 30 nov. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

La société biotech la plus controversée de la recherche sur le sida, Biosantech, va remettre dans quelques jours à l'Agence nationale de sécurité du médicament le rapport d'évaluation de l'essai clinique réalisé sur son vaccin thérapeutique Tat Oyi. « Le critère principal n'a pas été atteint », y reconnaît l'entreprise, qui loue toutefois « des résultats encourageants ». Cet essai de phase II démarré en septembre 2013 a été réalisé sur 48 patients : 12 ont reçu un placebo et 3 autres groupes de 12 des dosages différents du traitement. Puis leur trithérapie a été interrompue de manière à déterminer si le virus VIH reprenait de la vigueur dans l'organisme, s'il se stabilisait ou bien s'il devenait indétectable, comme cela a été observé chez le macaque. « Dosé à 33 milligrammes, notre vaccin prototype a permis à 4 patients sur 12 de voir leur charge virale baisser à un niveau quasi indétectable un mois après l'injection », explique Corinne Treger, présidente de Biosantech, qui exploite les brevets déposés par le biologiste du CNRS Erwann Loret. Surtout, le stock d'ADN viral dans les cellules réservoirs, où le virus se cache et devient inaccessible aux médicaments, a été significativement réduit. « C'est la preuve que cette protéine a stimulé une réponse immunitaire », défend l'industrielle.

Sa molécule cible la protéine Tat, cette « clef » bien connue des chercheurs qui permet d'activer la multiplication du virus. Dans les années 1990, la communauté scientifique a identifié un de ses variants chez une patiente gabonaise prénommée Oyi, porteuse du virus mais en bonne santé. « En s'inspirant de ce variant pour développer un vaccin, on permet à l'organisme de restaurer son immunité cellulaire pour éliminer de lui-même les cellules contaminées par le virus », explique Jean de Mareuil, directeur scientifique de l'entreprise. Du moins en théorie. Présenté comme non significatif en raison du petit nombre de patients inclus dans l'étude, le résultat doit être confirmé par un nouvel essai qui n'est pas encore programmé, faute de moyens.

37.000 communications scientifiques

Début novembre, la communauté scientifique a appelé à une extrême prudence face à ces annonces, qui ont été présentées aux médias avant toute publication scientifique dans une revue à comité de lecture, comme c'est habituellement la règle pour éviter tout faux espoir. « Les enjeux valent bien qu'on bouscule les règles », se défend Corinne Treger. Dans le monde, 36,9 millions de personnes (contre 35,3 millions en 2013) vivent avec le VIH, selon le dernier rapport de l'Onusida, qui espère enrayer l'épidémie d'ici à 2030. Cet objectif enflamme les laboratoires. Pas moins de 37.000 communications scientifiques ont été publiées sur le sujet, plus de 8 milliards de dollars ont été dépensés, cette dernière décennie, pour aboutir à l'étude approfondie d'une quinzaine de vaccins thérapeutiques. Selon Bill Gates, dont la fondation fournit à elle seule des millions de dollars à ces travaux, « un vaccin sera disponible d'ici à cinq ou huit ans ».

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Les chercheurs ne ménagent pas leurs efforts depuis qu'un essai clinique mené en 2009 en Thaïlande, concluant dans 31 % des cas, a relancé l'espoir. Toutes les biotechs ne ciblent pas directement le virus, comme le fait Biosantech. InnaVirVax, une start-up du Genopole d'Evry, s'attaque à la surexpression immunitaire. Son vaccin (VAC-3S) aide les organismes infectés à empêcher la destruction des cellules immunes CD4 responsables de l'immunodépression rendant l'organisme plus vulnérable aux infections les plus bénignes. On sait depuis 2005, grâce aux travaux de Patrice Debré et de Vincent Vieillard, qu'un petit fragment du virus appelé 3S se fixe aux CD4, qui deviennent alors la cible des cellules tueuses naturelles, les lymphocytes NK. L'objectif du vaccin est d'empêcher ce processus, et ainsi de protéger l'immunité pour maintenir les patients au-dessus de 500 CD4, le seuil de mise sous traitement. Les résultats de la première étude clinique (de phase I/IIa), présentés mi-juillet, confirment l'efficacité recherchée. Initiée en 2014, elle a concerné 86 patients recrutés dans 13 centres cliniques en France, en Allemagne et en Espagne. Chez ceux qui ont répondu à l'injection, les CD4 sont remontés, indiquant « une reconstitution immunitaire chez des patients vivant avec le VIH », selon Joël Crouzet, le patron fondateur de la start-up, qui a levé près de 15 millions d'euros depuis sa création en 2008.

Vecteurs lentiviraux

Une autre biotech française, Theravectys, a présenté cet été des résultats « encourageants ». Son objectif est le même que celui d'InnaVirVax : permettre aux malades de se passer de traitement en redonnant le contrôle naturel de l'infection à l'organisme. Mais il utilise une autre stratégie : l'utilisation de « vecteurs lentiviraux ». Issue de travaux de recherche fondamentale publiés en 2009 par le laboratoire de virologie moléculaire et de vectorologie de l'Institut Pasteur, cette technologie utilise un virus génétiquement inactivé dérivé du VIH pour transporter un ADN vaccinal au coeur du noyau des cellules du système immunitaire et ainsi doper les défenses naturelles. « Nos résultats confirment que ce vaccin peut induire des réponses immunitaires cellulaires intenses, diversifiées et durables chez les patients, quel que soit leur profil immunitaire préexistant », expliquait Cécile Bauche, directrice scientifique de la société, à l'occasion du symposium Towards an HIV Cure (« vers une guérison du sida ») qui s'est tenu à Vancouver cet été. Trente-huit patients séropositifs, sous traitement antirétroviral hautement actif, avaient reçu 2 injections intramusculaires à huit semaines d'intervalle fin 2014. « Leurs lymphocytes T [les cellules cibles du virus du sida, NDLR] ont été en mesure de produire chacun au moins 2 ou 3 cytokines », détaillait l'entreprise. Un succès car ces substances (dont la plus connue est l'interféron) interviennent dans de nombreuses réactions immunitaires et sont impliquées dans le développement des cellules sanguines. Theravectys a levé 14,7 millions d'euros en octobre 2013.

Des progrès énormes ont également été réalisés en matière de traitement préventif lors de rapports à risque, avec notamment la combinaison d'antirétroviraux du laboratoire américain Gilead commercialisée sous le nom de Truvada, autorisée en prise d'urgence depuis deux ans aux Etats-Unis et dès le début de l'année prochaine en France, selon la décision annoncée la semaine dernière par la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Pris idéalement dans les quatre heures, Le Truvada est efficace à 100 % contre une contamination accidentelle. L'Onusida espère éviter avec ces traitements 28 millions d'infections d'ici à 2030. « Si le monde n'agit pas pour briser rapidement l'épidémie, elle pourrait rebondir et atteindre ses niveaux les plus catastrophiques », prévient l'institution.

L'épidémie en chiffres

75 millions. Le nombre de personnes infectées depuis le début de l'épidémie il y a trente ans. La maladie a fait 36 millions de morts, dont 1,5 million en 2013, 12 % de moins que l'année précédente. C'est le plus fort recul depuis le pic de l'épidémie, en 2005.

35 millions. Le nombre de personnes porteuses du VIH dans le monde. 24,7 millions d'entre elles se trouvent en Afrique subsaharienne.

12,9 millions. Le nombre de personnes infectées qui ont accès à un traitement.

8.000. Le nombre de décès quotidiens dus à la maladie au niveau mondial.

6.584. Le nombre de Français qui ont découvert leur séropositivité en 2014.

42 %. La proportion d'homosexuels parmi ces 6.584. Le deuxième groupe à risque est celui des femmes hétérosexuelles nées à l'étranger, qui représentent 23 % des cas.

Sources : Onusida, InVS

Paul Molga

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