"L'Inde alimente la mascarade autour de la COP21"

Entre engagement climatique et impératif de sa croissance économique, la position de l'Inde est complexe. Entretien avec Jean-Joseph Boillot, expert en la matière.

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À leur tour, les pays émergents sont rentrés dans l’hypocrisie collective en promettant de s’engager sur des réductions de CO2, estime Jean-Joseph Boillot.
À leur tour, les pays émergents sont rentrés dans l’hypocrisie collective en promettant de s’engager sur des réductions de CO2, estime Jean-Joseph Boillot. © DR

Temps de lecture : 8 min

Elle est le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre de la planète, mais la moyenne par habitant des émissions est onze fois inférieure à celle des Américains ou quatre fois à celle des Chinois. La stratégie indienne pèsera-t-elle lourd lors des négociations de la conférence sur le climat ? Entretien avec Jean-Joseph Boillot, conseiller au club du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) et auteur de Chindiafrique. La Chine, l'Inde et l'Afrique feront le monde de demain, Odile Jacob 2013.

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Le Point.fr : Quelle est la part d'hypocrisie des pays occidentaux et de l'Inde dans leur façon d'aborder les enjeux climatiques ?

Jean-Joseph Boillot : Le problème de la COP21 est que l'on va probablement afficher un succès diplomatique, à la différence du sommet de Copenhague. Mais on s'achemine vers des engagements extrêmement éloignés de l'objectif souhaitable (1,5 degré de réchauffement, 2 degrés au mieux), et on entrevoit ce que les scientifiques appellent le scénario catastrophe d'un réchauffement de 5 degrés à l'horizon de 2100. Les engagements des pays riches (États-Unis, Europe) sont très éloignés des objectifs ambitieux qui consisteraient en une réduction de leurs émissions de CO2 à hauteur de 95 % d'ici 2050. On en est loin ! Et il ne faut pas montrer du doigt seulement les États Unis, mais aussi l'Allemagne ou la Pologne, par exemple. Quant à la France, elle a l'avantage du nucléaire, mais elle émet encore chaque année 6 tonnes de CO2 par habitant, sans montrer d'inflexion notable à la baisse.

À leur tour, les pays émergents sont rentrés dans l'hypocrisie collective en promettant de s'engager sur des réductions de CO2. Ils reprennent largement le discours d'une « croissance verte »… Mais la « croissance verte » n'engage pas vers la réduction absolue des émissions de gaz à effet de serre.

Pour rappel : le budget en émissions de CO2 dont nous disposons jusqu'en 2050 pour ne pas franchir les 2 degrés de réchauffement est d'environ 700 milliards de tonnes d'équivalent CO2. Nous en avons déjà consommé 1 400 milliards depuis le début de la révolution industrielle en 1850. La seule dérive des pays occidentaux cumule déjà 400 milliards de tonnes. Il ne reste donc, pour les pays émergents, que 300 milliards… Ce n'est évidemment pas sérieux. La limite des 700 milliards de CO2 n'est tout simplement pas à l'ordre du jour de la COP21. Les spécialistes sont déjà en train de travailler sur la COP22 de Marrakech. Et cela, New Delhi le sait aussi.

Aujourd'hui, l'image de l'Inde subit un terrible revers. Des jungles de Rudyard Kipling à l'Himalaya éternel, on retient désormais la fonte des glaciers, les villes polluées, la déforestation, les rivières poubelles... Est-on face à un désastre écologique?

Nous sommes en présence d'un désastre écologique dans toute la région de l'Himalaya. L'axe Chine/Inde du Nord/Pakistan/Moyen-Orient est d'une extrême vulnérabilité au changement climatique. Mais le désastre concerne la totalité de la planète. Il ne faudrait pas que l'Occident se rassure avec des images de catastrophes écologiques dans le nord du Pakistan ou de l'extrême pollution à New Delhi. L'Occident en paiera les conséquences indirectes, comme on le voit avec les flux migratoires considérables vers l'Europe. Il en paiera aussi les conséquences directes puisque l'Europe est aussi touchée par la variabilité croissante du climat.

Pourquoi voyez-vous l'Inde comme un « laboratoire écologique » ?

En Inde, on a des milliers, voire des millions, de pratiques qui relèvent de ce qu'on appelle chez nous l'écologie. Les fours solaires se multiplient dans les villages, ainsi que les fours à biomasse qui économisent 80 % du bois utilisé pour la cuisine… Et la politique officielle fait aussi la promotion des énergies renouvelables, avec un parc éolien qui est un des premiers au monde et la priorité actuelle au solaire. Tout cela explique que les émissions de CO2 par habitant sont bien inférieures en Inde à celles des pays occidentaux : 1,58 t, dix fois moins que dans les pays développés…

En quoi l'Inde joue-t-elle un rôle crucial dans les négociations de la COP21 ?

Par le simple fait qu'elle est le troisième pays émetteur de CO2 de la planète. Son positionnement entre les pays riches et les pays pauvres en fait un arbitre potentiel du résultat de la conférence de Paris. Jusqu'à présent, son raisonnement était le suivant : les pays riches sont responsables historiquement du changement climatique et sont donc ceux qui doivent faire les efforts les plus importants de réduction des émissions. Ils doivent contribuer au financement de la « mitigation », c'est-à-dire de la lutte contre les effets du changement climatique. En résumé, l'Inde ne veut pas payer pour les émissions des autres et ne veut pas voir ses perspectives de développement compromises par l'égoïsme des pays riches.

Comment va-t-elle se positionner à Paris ? Quels alliés va-t-elle privilégier, sachant, par exemple, que la Chine a passé un accord stratégique avec les États-Unis ? Est-ce qu'elle va s'imposer en renforçant son alliance avec le groupe des 77, qui comprend l'Afrique et les pays les plus pauvres ? Elle pourrait être tentée de ne pas s'allier avec les pays du G77, mais de jouer la carte d'une coalition avec les États-Unis, l'Europe, la Chine, ou encore le Japon. En gros, il s'agirait ainsi de négocier une possibilité de continuer à augmenter ses propres émissions sans obliger les pays riches à prendre des engagements plus conséquents. Ce serait un basculement significatif de la ligne de clivage dans le monde. Comme d'ailleurs le basculement de la Chine : voilà un pays qui a atteint un niveau de développement satisfaisant et ses émissions de CO2 vont de facto se réduire pour plafonner d'ici 2030.

Si, à l'inverse, l'Inde choisissait, aux côtés du G77, de maintenir sa vision d'un partage équitable du problème, et donc de transferts financiers conséquents, alors la victoire de ce groupe lui redonnerait tout son soft power, sa crédibilité, et sa tradition innovante sur le plan des relations internationales. Ces enjeux sont un véritable dilemme pour l'Inde.

Que retenez-vous des objectifs que l'Inde a déjà livrés ? Pourquoi ont-ils été accueillis si favorablement par la communauté internationale ?

La proposition indienne a été applaudie par les pays occidentaux qui tentent depuis longtemps de faire basculer New Delhi. C'est le genre de réaction qui alimente l'impression de « mascarade » autour de la COP21. Derrière des chiffres alléchants, l'Inde annonce qu'elle va en fait continuer à augmenter ses émissions d'ici 2030, à un rythme de 3 à 5 % par an. Elle dit qu'elle s'engage à réduire d'un tiers « l'intensité » en CO2 de sa croissance. Avec une croissance économique prévue de 7 % pour an, cela laisse une marge importante pour continuer d'émettre fortement.

Même chose concernant ses engagements sur les énergies renouvelables. L'Inde déclare qu'elles représenteront 40 % de sa « capacité » de génération électrique à l'horizon 2030. Mais il ne s'agit pas de production énergétique ! La capacité installée et la production sont deux choses différentes. Le rendement des installations en énergies renouvelables est en effet nettement inférieur au rendement des centrales thermiques à charbon. Cela revient à s'engager sur guère plus de 20 à 25 % de renouvelables dans la production électrique... Or, c'est en gros la tendance de ces dernières années ! Il n'y a donc pas d'inflexion majeure.

Enfin, le troisième engagement qui a été salué concerne les puits de carbone, notamment le plan ambitieux de reforestation. Mais tous les experts savent ce qu'il en est sur le terrain avec des milliers d'hectares de reboisement à l'abandon, comme j'ai pu l'observer dans le Madhya Pradesh.

Ces exemples dépassent le cas de l'Inde. L'écran de fumée concerne tous les pays. D'un côté, il y a des engagements sur le papier qui semblent volontaires, mais, dans la réalité, et d'après tous les scientifiques, nous continuons d'aller vers une augmentation significative des émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit d'un donnant-donnant avec les pays occidentaux qui savent que leurs engagements sont insuffisants et non suivis des faits, comme on l'a vu avec le Japon ou l'Allemagne. Depuis le protocole de Kyoto, les émissions européennes nettes de leurs importations n'ont guère diminué au-delà du simple effet de la crise économique de 2009. Les pays émergents renvoient à l'Occident leur propre image en adoptant la même attitude d'hypocrisie foncière.

Comment réagissez-vous face au grand problème : la dépendance de l'Inde au charbon. Les spécialistes mettent en avant le fait que l'Inde va continuer à se reposer sur les énergies fossiles pour nourrir sa croissance économique.

La question du charbon est révélatrice du dilemme de l'Inde, pays globalement pauvre et confronté à des besoins énergétiques croissants. On peut certes critiquer le développement « moderne », mais l'Occident est alors mal placé pour donner des leçons. Aujourd'hui, le charbon représente entre 60 et 70 % du mix électrique de l'Inde. Le sous-continent dispose de charbon en abondance alors qu'il est obligé d'importer 85 % de son pétrole et de son gaz. Le prix du kilowatt charbon est en outre 4 à 5 fois inférieur à celui des autres énergies. Pour l'Inde, il s'agit d'utiliser ces ressources, afin de garantir son indépendance et de fournir une électricité bon marché à une population démunie.

Quelles autres options pourrait avoir l'Inde ? Ce serait bien sûr le « renouvelable » : l'éolien, le solaire, et la biomasse qui est abondante en Inde. Mais un obstacle intervient : le coût de l'investissement fixe et son amortissement. Les centrales thermiques à charbon ont une durée de vie de 50 à 60 ans contre à peine une vingtaine d'années dans le renouvelable. Tant qu'on ne taxera pas les émissions qui sont liées au carbone – et l'Inde s'y refuse –, on donne un avantage indu aux énergies carbones.

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Commentaires (6)

  • Azerty51

    Ce qui est surtout facile et hypocrite, c'est dédouaner les occidentaux sous prétexte qu'ils ne savaient pas, pour mieux incriminer les pays émergents (Inde et Chine en tête). L'occident a eu sa révolution industrielle au XIXème et s'est enrichi.
    C'est au tour des pays émergents aujourd'hui de réclamer (légitimement) leur "part du gâteau".
    De plus avec 2. 5 enfants par femme, l'Inde est très loin d'avoir le taux de fécondité le plus élevé au monde. En fait, c'est même faible pour un pays du tiers monde et c'est à peine plus élevé qu'en France. Pourquoi ne demandez vous pas au gouvernement français, un contrôle des naissances ?

  • Passeur

    On sera in fine les "d'indons de la farce"...

  • politologue

    Regardez tout nos testés automobile qui sont au moins 25 fois en dessous de la vérité en matière de rejet toxiques de tout genre...