
Un pape peut-il venir en Afrique subsaharienne sans aborder la question de l’usage des préservatifs pour prévenir la transmission du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ? Pendant une conférence de presse dans l’avion qui le ramenait de Bangui (Centrafrique) à Rome, lundi 30 novembre, le pape François a semblé amorcer une ouverture au sujet des préservatifs qui, jusque-là pour l’Eglise catholique, ne sont pas une solution pour lutter contre la diffusion de la maladie. « Il ne faut pas penser en termes de ce qui est licite », a-t-il affirmé, reconnaissant que sur ce chapitre, l’Eglise catholique est « confrontée à une perplexité ».
A la question de savoir s’il n’était pas temps pour l’Eglise de changer sa position et d’admettre l’usage du préservatif pour prévenir des contaminations, le pape a répondu avec une très grande prudence, cherchant ses mots avec soin. Ses propos, pourtant, pourraient être source de controverses tant ils sont touffus. Il a commencé par contester l’angle de la question, « trop étroite et partiale ». « Oui, a-t-il ajouté, c’est une des méthodes. La morale de l’Eglise se trouve sur ce point devant une perplexité », car selon elle « les rapports sexuels doivent être ouverts à la vie ».
Puis le pape François s’est employé à relativiser la pertinence d’une discussion juridico-théologique sur le préservatif. « Ce n’est pas le problème, a-t-il affirmé. Le problème est plus grand. Cela me fait penser à la question posée un jour à Jésus : “Est-il licite de soigner le jour du shabbat ?” Il y a une obligation de soigner. » Il a ensuite expliqué pourquoi ce débat est à ses yeux secondaire. « La malnutrition, l’esclavagisme, l’exploitation, le manque d’eau potable, voilà les problèmes ! Ne nous demandons pas si on peut utiliser telle méthode pour guérir une blessure. Le grand problème est l’injustice sociale. Je n’aime pas tomber dans des réflexions casuistiques quand les gens meurent par manque d’eau, de pain, de logement. Est-il licite de soigner le jour du shabbat ? Je ne veux pas me poser ce genre de question quand on continue la fabrication et le trafic d’armes. Les guerres sont des causes de mortalité plus grandes. Je ne veux pas penser en termes de licite. Je dirais à l’humanité : travaillez à instituer la justice. Et quand il n’y aura plus d’injustice dans ce monde, on pourra parler du shabbat. »
« Obligation de soigner »
Pour balancée, voire obscure, qu’elle soit, cette réponse semble s’insérer dans la conception de l’Eglise qu’a le pape Jorge Bergoglio. Pour lui, celle-ci doit être un hôpital de campagne, c’est-à-dire qu’elle doit faire de la médecine d’urgence, s’occuper des blessures les plus graves pour sauver des vies et laisser pour plus tard les régimes anticholestérol. L’urgence, pour lui, ce sont les inégalités et les divers fléaux sociaux qu’il ne cesse de dénoncer. En revanche, s’appesantir pour savoir si l’usage du préservatif comme moyen d’éviter des contaminations contrevient ou non à l’enseignement catholique lui paraît secondaire, au sens de moins vital. François ne s’exprime donc pas en faveur de l’usage préventif du préservatif, mais il relève que « c’est une des méthodes » et que, shabbat ou pas shabbat, « il y a une obligation de soigner ».
Pendant les cinq jours qu’il vient de passer dans trois pays africains, le pontife argentin a manifesté à plusieurs reprises sa compassion pour des malades du sida ou des séropositifs. Au Kenya, il a rencontré des enfants malades, d’autres nés sains de mères séropositives. En Ouganda, pendant une visite dans une « maison de charité » catholique, il a salué « le grand et fructueux travail réalisé avec les malades du sida » par des communautés catholiques. A Kampala toujours, une jeune femme a livré devant lui un témoignage très fort sur les difficultés de vivre en étant séropositif.
Benoît XVI, le prédécesseur de François, avait déclenché une polémique mondiale sur cette même question en mars 2009. Dans une rencontre avec les journalistes à bord de l’avion qui le conduisait au Cameroun et en Angola, le pape allemand avait affirmé qu’on « ne peut pas résoudre le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, cela augmente le problème ». Un an et demi plus tard, il avait infléchi son discours dans un livre d’entretien – qui n’a donc pas le caractère officiel d’un texte pontifical – où il parlait du recours au préservatif « comme un premier pas sur le chemin d’une sexualité plus humaine ».
Au cours de cette conférence de presse, le pape François a aussi profité de l’ouverture de la COP21 pour de nouveau interpeller les gouvernants. Il a affirmé que le réchauffement climatique mettait le monde « au bord du suicide » et que la communauté internationale devait agir « maintenant ou jamais ».
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