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Boulets

Les frileux de la lutte contre le réchauffement

COP21, la société civile s'engage pour le climatdossier
Parmi les pays les plus réticents à faire des efforts pour le climat, l’Inde, l’Arabie Saoudite et le Venezuela ont chacun leurs raisons de traîner des pieds.
par Michel Henry, Simon Pellet-Recht, correspondant à Caracas, Sébastien Farcis, correspondant à New Delhi et BIG
publié le 30 novembre 2015 à 20h06

La lutte climatique a ses mauvais élèves. Les habituels, comme le Canada et l'Australie, ont fourni les contributions nationales les plus décevantes - mais ils viennent de changer de gouvernements «et arrivent à la COP 21 avec des meilleures intentions», dit-on au Quai d'Orsay. Autre cancre, le Japon, même s'il avance timidement. Quant à la Turquie, son annonce de baisser, d'ici à 2030, ses émissions de 15 % par rapport à la tendance actuelle «revient malgré tout à plus que doubler ses émissions actuelles d'ici à 2030 !» s'étrangle Matthieu Orphelin, de la Fondation Nicolas-Hulot. Trois autres pays passent pour des boulets : Inde, Arabie Saoudite et Venezuela. Est-ce mérité ?

L’Inde

C'est le troisième émetteur de CO2 au monde, derrière la Chine et les Etats-Unis, principalement à cause d'une énorme dépendance envers le charbon, source des deux tiers de l'électricité générés via des centrales anciennes et polluantes. Mais de manière relative, le deuxième pays du monde, avec 1,25 milliard d'habitants, fait figure de bon élève : un Indien émet 1,7 tonne de carbone par an, soit dix fois moins qu'un Américain, quatre fois moins qu'un Chinois et trois fois moins qu'un Terrien moyen. Cela est principalement dû au fait que 300 millions d'habitants ne sont pas connectés au réseau électrique. La priorité de New Delhi est d'illuminer ces vastes poches d'obscurité et de faire profiter cette population rurale des retombées de la croissance (environ 7 % par an).

Le gouvernement ne s’est pas engagé à réduire ses émissions de manière absolue, mais relative. D’ici à 2030, chaque point de croissance devra être produit avec 35 % en moins de carbone rejeté dans l’atmosphère. Cela dit, le gouvernement ne veut se priver d’aucune ressource : la demande en charbon devrait doubler d’ici à 2035, alors que l’Inde est déjà le troisième consommateur mondial. Le pays a néanmoins en projet une ambitieuse révolution solaire visant à multiplier par 25 les capacités de production photovoltaïque d’ici à 2030. Avec l’éolien, l’hydraulique et la biomasse, 40 % de l’électricité serait alors produite de manière renouvelable. Ambition difficile à tenir, selon des observateurs. Le solaire sur les toits, principal levier, est encore naissant et mal organisé. Et l’expansion du photovoltaïque nécessite l’achat de terres, ce qui est difficile dans un pays agricole et densément peuplé.

«Il faut arrêter du faire du "bashing" sur l'Inde, tempère Pierre Cannet, de WWF. On risque de mettre ces pays montrés du doigt dans une position de blocage, ce qui empêcherait toute évolution dans les jours à venir.» Et d'autre part, l'Inde veut avancer sur la question de l'équité, en pointant le retard des pays développés sur leurs engagements, notamment ceux pris à Kyoto en 1997. «On ne peut pas dire que, après le cas chinois à Copenhague [jugé en partie responsable de l'échec de la COP en 2009, ndlr], le cas indien porterait la responsabilité d'un éventuel échec à Paris», ajoute Pierre Cannet.

L’Arabie Saoudite

Comme les autres pays producteurs de pétrole, Riyad «a compris que la transition énergétique est inéluctable, elle veut juste la ralentir», explique Célia Gautier, du Réseau Action Climat. «Ils veulent empêcher qu'on inscrive une date pour l'arrêt de la consommation d'énergies fossiles.» Le royaume n'a pas non plus envie qu'on fixe une limite maximale de réchauffement à 2°C, qui aurait pour le pétrole et le gaz la même conséquence. De plus, l'Arabie refuse de financer les pays pauvres - alors que la Chine leur promet plus de 3 milliards de dollars. «Ils pourraient aussi investir dans des activités "vertueuses". Mais rien pour l'instant», déplore Claire Gautier.

En rendant en novembre sa modeste contribution pour la COP 21, l'Arabie Saoudite s'est pris un bonnet d'âne du Climate Action Tracker (CAT) : pour ces chercheurs, Riyad doit quadrupler ses objectifs s'il veut atteindre la moyenne des pays. «Le gouvernement saoudien reconnaît sa grande vulnérabilité au changement climatique, mais cela ne se reflète pas dans son plan», regrette le CAT. Et Riyad a prévenu que, si le prix du pétrole continue à stagner, il repoussera son - lui aussi modeste - objectif de diversification vers le renouvelable…

Pour Pierre Radanne, du bureau d'étude Futur Facteur 4, les Saoudiens «sont partagés entre leurs intérêts financiers, leur mode de développement et ce que leur population [29 millions d'habitants, ndlr] subit» à travers l'extension de la désertification. Ils doivent se méfier des déstabilisations qui peuvent en résulter : en Syrie, rappelle-t-il, «quatre ans de sécheresse ayant chassé de leurs terres 1,5 million de paysans ont précédé le soulèvement». Les conflits en cours au Moyen-Orient pèsent aussi sur la position saoudienne : «Aucun pays ne sait comment la situation va tourner, explique Radanne. Est-ce que ces troubles vont aboutir à un blocage sur les sujets comme le climat ? Ou au contraire vont-ils pousser les pays à résoudre plus vite ces problèmes ?»

Le Venezuela

«Nous allons porter la voix des peuples» à la COP 21, a déclaré, début novembre, le président vénézuélien Nicolás Maduro. Mais sans autre idée concrète que de promouvoir la participation populaire dans la gestion de l'eau.Pour Manuel Diaz, du Mouvement écologique vénézuélien, «la protection du climat, inscrite dans la Constitution, est l'un des cinq grands axes du programme gouvernemental. Mais dans la pratique, il ne se passe presque rien».

En annonçant l’importation de millions d’ampoules à basse énergie ou en organisant des plantations de graines en direct à la télé, le gouvernement socialiste espère montrer aux 30 millions de Vénézuéliens qu’il agit. Le principal problème pour ce pays aux plus grandes réserves de pétrole au monde est lié à l’or noir. Le gouvernement n’ose pas augmenter le prix de l’essence à la pompe, la moins chère au monde : au Venezuela, un plein coûte moins qu’un caramel. Conséquence : une consommation illimitée.

Le manque d'entretien des structures pétrolières crée aussi des dégâts. Il suffit de tremper son pied dans l'immense lac de Maracaibo, couvert de petites plateformes, pour se rendre compte que pétrole et sable ne se mélangent pas. Les marées noires se multiplient sans que les populations ne s'en émeuvent. «L'an dernier, l'eau est devenue rouge. On ne s'est juste pas baignés pendant deux semaines», dit Juan, qui vit sur la côte caribéenne, à Santa Fe. Il n'existe malheureusement que de très rares données publiques sur le sujet. Selon une enquête de Julio César Centeno, de l'Université des Andes, les Vénézuéliens consommeraient 6,9 tonnes de CO2 par an et par habitant, contre 1,6 pour leurs voisins colombiens. Mais ils sont plus concernés par la crise qu'ils vivent depuis trois ans que par le changement climatique.

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