Isoler son logement ouvre droit à un crédit d'impôt... à l'efficacité discutable.

Isoler son logement ouvre droit à un crédit d'impôt... à l'efficacité discutable.

L'Express

"Résultats calamiteux", "pilotage à l'aveugle", "pas d'effet d'entraînement": le 28 octobre dernier, l'UFC-Que Choisir a sorti le bazooka. Dans sa ligne de mire, les aides publiques à la rénovation énergétique des bâtiments, que l'association de consommateurs jugeait coûteuse pour la collectivité (15,6 milliards d'euros d'incitation fiscale depuis 2005), mal orientée, et guère alléchante pour les Français. Son constat? Les crédits d'impôts accordés aux propriétaires qui réalisent des travaux pour rendre leurs logements moins énergivores ont beau fluctuer au gré des lois de finance, le marché reste globalement stable: plus ou moins 12 milliards d'euros par an.

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Chantiers de rénovation: même pas à 50% de l'objectif

L'enjeu est pourtant crucial. Selon l'association, 23 millions de logements ont des performances énergétiques médiocres voire déplorables. Or l'(in)efficacité énergétique des bâtiments est responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre en France. Et c'est l'un des deux seuls secteurs (avec les transports) dont l'empreinte carbone s'est dégradée depuis 1990. D'où l'activisme des gouvernements successifs: la dernière loi pour la transition énergétique et la croissance verte prévoit 500 000 rénovations de logements par an à partir de 2017. Avec à la clé 75 000 emplois créés dans le bâtiment. "Un chiffre magique, que l'on n'atteindra probablement pas", reconnaît Patrick Liébus, le président de la Capeb (Confédération de l'Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment), le "syndicat" des artisans de la profession. D'après son décompte, on tourne plutôt aux alentours de 210 000 chantiers par an, moins de la moitié de l'objectif affiché.

Un ouvrier du BTP travaille dans un immeuble en construction à Lille, le 1er août 2014

Malgré les espoirs suscités par le marché de la rénovation énergétique, l'emploi n'a progressé que de 0,7% ces dix dernières années.

© / afp.com/Philippe Huguen

Sur l'emploi, un impact microscopique

Ce n'est pas que la transition énergétique indiffère la profession. "C'est même le seul segment en croissance dans nos métiers", observe le patron de la Capeb. L'amélioration de la performance énergétique pèse 12% du chiffre d'affaires des couvreurs, chauffagistes, menuisiers... Bon gré mal gré, les entreprises de construction et rénovation se mettent au vert: 55 000 sociétés ont décroché une qualification "RGE" (Reconnu Garant de l'Environnement), le sésame obligatoire pour faire bénéficier à leur client du crédit d'impôt transition énergétique (CITE). Mais sur le front de l'emploi, le bilan est famélique: depuis 2005 et la création du crédit d'impôt, le BTP a créé 8500 emplois, soit une augmentation de... 0,7%.

Des artisans ont demandé l'annulation du dispositif

Déjà médiocres, ces chiffres officiels sont même contestés par certains artisans, comme ceux du collectif RGE... pas comme ça! D'après son porte-parole, Denis Le Goff, il faudrait plutôt parler de "100 000 pertes d'emplois". Ces quelques 400 professionnels n'ont rien de climato-sceptiques endurcis (Denis Le Goff, chauffagiste, a par exemple obtenu le précieux label), mais ils n'ont pas de mots assez durs sur le dispositif, contre lequel ils ont déposé un référé en suspension devant le Conseil d'Etat en décembre 2014. "Il est anticoncurrentiel: une seule personne obtient la qualification, et c'est toute l'entreprise qui est RGE, pointe le porte-parole. C'est évidemment beaucoup moins contraignant pour une structure de 50 personnes de détacher un salarié pour la décrocher que lorsqu'on est un, deux ou trois... Or tous nos clients veulent obtenir ce fameux crédit d'impôt: sans qualification, impossible d'obtenir un chantier."

Les ménages sont incités à procéder à la rénovation énergétique de leur habitation (isolation, remplacement de chaudière par un modèle plus économe, etc.) par des entreprises du bâtiment qualifiées RGE (Reconnu garant de l'environnement).

Basé sur le coût des installations, plutôt que sur les économies d'énergie réelles, le crédit d'impôt rate sa cible.

© / L'Express

Sur le terrain, des résultats discutables?

Pire, selon le collectif, la mesure se révèle doublement inefficace sur le terrain. Premier défaut? "Une petite entreprise ne va matériellement pas pouvoir obtenir la qualification sur tous les corps de métier, explique Denis Le Goff. Donc que fait-elle? Elle vend en priorité à ses clients une intervention sur le métier certifié, même si ce n'est pas la plus adaptée pour améliorer la performance énergétique du bâtiment concerné."

Un constat partagé par UFC-Que Choisir, qui relevait dans son étude qu'un tiers des dépenses des ménages s'étaient concentrées sur l'isolation, alors que cette dernière pouvait représenter jusqu'à 75% des pertes thermiques d'un logement. Seconde tare: le crédit d'impôt est calculé sur la base des dépenses engagées par les clients, et non sur le résultat. "Si l'idée est de réduire les pertes énergétiques des logements, ce serait logique d'accorder une aide aux chantiers qui atteignent vraiment l'objectif...", conclut Denis Le Goff. Une mesure de bon sens, mais délicate à mettre en place: comment faire la part des choses entre les résultats concrets des travaux et le comportement des habitants?

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