Menu
Libération
Chronique «Aux petits soins»

500 000 postes restent interdits aux séropositifs

Emploi, assurances, dentiste... A l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, ce mardi, l'association Aides recense dans un rapport les discriminations que subissent encore en 2015 les personnes atteintes du VIH. Autant d'humiliations qui viennent compliquer un peu plus leur quotidien.
par Eric Favereau
publié le 1er décembre 2015 à 7h40

Ah s'il n'y avait que la maladie… Mais souvent, il y a le reste, tout le reste, ces à-côtés, ces petites ou grandes exclusions, cette façon que l'on a de vous regarder ou de ne pas vous voir, ces discriminations inavouées, ces parcours de soins qui deviennent des parcours du combattant. En cette Journée mondiale de lutte contre le sida, l'association Aides, appuyée par le défenseur des droits, rend public un premier rapport sur les discriminations à l'égard des personnes touchées par le VIH ou les hépatites.

Bien sûr, en termes de discriminations, on retrouve toujours des volets très problématiques. Comme celui de l’accès aux assurances, avec des surprimes ahurissantes pour les séropositifs, alors que les traitements permettent aujourd’hui d’avoir une espérance de vie comparable à celle d’une personne non infectée. Et que pour les personnes touchées par le virus de l’hépatite C, les nouvelles molécules conduisent à une guérison complète dans plus de 80% des cas. Mais voilà, les assureurs restent sur un schéma ancien et n’ont pas intégré ces données cliniques.

«Au pire je mettrai deux paires de gants»

Il y a également le problème récurrent que rencontrent des patients dans l'accès aux soins, en particulier chez le dentiste. «Une démarche qui semble anodine peut devenir une épreuve», raconte Aurélien Beaucamp, président d'Aides. Des réflexions, parmi d'autres : «Il vaudrait mieux que vous alliez à l'hôpital. Moi, je n'ai pas l'habitude de soigner ce genre de patients.» Ou encore : «Les personnes comme vous, je préfère les mettre en fin de matinée, cela permet de bien nettoyer le cabinet.» «C'est un aperçu de ce que peut entendre en 2015 une personne séropositive qui tente de prendre rendez-vous dans un cabinet dentaire», poursuit Aurélien Beaucamp.

Ces propos sont issus d'une opération de testing réalisée dans 440 cabinets dentaires en avril 2015. «Nous avons pu constater qu'un cabinet sur trois a des pratiques discriminatoires : refus de rendez-vous ou traitement différencié, voire réorientation sans justification vers les urgences hospitalières.» Parfois, cela peut être des mots maladroits, comme cette réaction : «Non, non pas de souci, vous pouvez venir, au pire je mettrai deux paires de gants.»

500 000 postes interdits

Tout cela, on le savait en partie. Paradoxalement, c'est sur le reste que le travail d'Aides est le plus troublant, en particulier sur l'exclusion des séropositifs de certains métiers ou concours. Ainsi à Polytechnique, à Saint-Cyr, mais aussi dans la gendarmerie, la police, chez les sapeurs-pompiers ou encore dans l'armée, il n'y a pas de place pour eux, les personnes séropositives sous traitement étant de fait considérées comme «inaptes au terrain». Au total, ce sont donc 500 000 postes qui leur sont interdits. «Aucune donnée scientifique ou médicale ne justifie une telle exclusion de principe, a fortiori depuis 1996 avec l'arrivée des traitements antiviraux», constate pourtant Aides.

L’association développe en particulier l’exemple de la restriction d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) en application d’une ordonnance de 1958 : celle-ci stipule que chaque candidat à l’ENM doit remplir les conditions d’aptitude physique nécessaires à l’exercice des fonctions de magistrat et être reconnu indemne ou définitivement guéri de toute affection donnant droit à un congé de longue durée. Cette ordonnance va être cassée, affirme la chancellerie. On attend donc.

Pour l'Ecole polytechnique, c'est plus retors, car aucun texte n'interdit formellement à un séropositif de l'intégrer. Les origines de l'exclusion sont à chercher du côté du référentiel Sigycop, qui définit les critères médicaux d'aptitude physique d'un individu à exercer dans l'armée française : il faut avoir une note de 3, or toute personne séropositive sous traitement a droit à celle de 4. «Cela a changé», nous a expliqué le porte-parole de Polytechnique, mais dans les faits, les médecins qui examinent les futurs élèves n'ont pas intégré ce changement.

«L’égalité peut avancer»

Ainsi va la vie des séropositifs, bien soignés mais avec un pas de côté. «Dans les temps que nous vivons, il est extrêmement important que tout ce qui peut faire communauté, appartenance, égalité, sentiment que l'injustice peut reculer, que l'égalité peut avancer, tout ceci est extrêmement utile et même indispensable, a commenté Jacques Toubon, le défenseur des droits, qui a préfacé ce rapport. Et cela est d'autant plus important que cela permet de rendre visible les difficultés que vivent ces personnes dans la vie quotidienne.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique