Bartabas : “Il ne faut jamais pousser un animal dans ses retranchements, au contraire”

Radical, intègre, dur à la tâche et avec les hommes, à 58 ans le fondateur du Théâtre équestre Zingaro ne mâche toujours pas ses mots. Mais ménage ses chevaux... Bartabas est l'invité de “Télérama” cette semaine.

Par Propos recueillis par Emmanuel Tellier

Publié le 01 décembre 2015 à 16h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h03

Avec On achève bien les anges (élégies), son nouveau spectacle donné au fort d'Aubervilliers après sa création, en juin dernier, au festival Les Nuits de Fourvières, à Lyon, c'est un Bartabas en grande forme et inspiré que l'on ­retrouve au centre de sa troupe, Zingaro. Il est de retour sur scène après plus de mille représentations où il ­n'apparaissait qu'à la fin pour saluer, exilé volontaire de son beau théâtre d'images. A 58 ans, l'éloquent maître du cirque équestre n'en finit pas d'étonner. On pourrait ­l'imaginer rangé des roulottes, apaisé par trente années de ­succès renouvelés avec Zingaro. Mais s'il a choisi les ­musiques de Tom Waits, ce cousin d'Amérique dont il partage le goût et l'art du rock'n'roll cabossé et céleste, c'est pour réaffirmer son envie d'en découdre. Artiste total et radical, plus que jamais.

Tous ceux qui vous accompagnent signent sans problème pour cette vie radicale ?

Bosser chez Zingaro, c'est un engagement. Il y a un décalage énorme entre le prestige du nom et la réalité des faits : imaginez la tête d'un comptable qui réalise qu'il va bosser dans un ­Algeco… Donc c'est dur, mais on le sait quand on démarre. L'argent gagné, nous le mettons dans le moteur créatif : les chevaux, les artistes, les techniciens. Mais jamais dans notre confort. La différence entre les hommes et les chevaux, c'est que nous, nous avons choisi d'être là. Eux pas. C'est pour ça qu'ils sont au centre de toutes nos attentions. Le rythme des spectacles, c'est eux qui nous le dictent : cinq représentations par semaine, jamais deux par jour. L'intégrité du cheval prime toujours. Ce qu'on fait, ce n'est pas du sport. Il ne faut jamais pousser un animal dans ses retranchements ; au contraire, il faut le faire évoluer au maximum à 50 % de ses possibilités si on veut qu'il fasse toute la saison. Le dépassement de soi en tant qu'artiste, je veux bien. Mais des chevaux, jamais.

“Ma relation intime au cheval, je ne peux la décrire avec des mots, mais Alain Cavalier lui, arrive à la montrer, et c'est très beau…”

Votre image de type rugueux semble vous peser davantage désormais.…

Je vis avec… Mais elle est frustrante parce qu'elle occulte l'essentiel de mon travail, qui repose au contraire sur la patience, sur la durée dans le temps, la longue préparation de chaque spectacle… Le travail des chevaux, c'est quelque chose de très solitaire. Et donc je le suis beaucoup plus que ce que les gens pensent. C'est pour ça que j'adore le film d'Alain Cavalier, Le Caravage, qui nous est consacré. Il a réussi à saisir quelque chose de l'ordre de l'indicible. Ma relation intime au cheval, je ne peux la décrire avec des mots, mais lui arrive à la montrer, et c'est beau… Son film met en images certains des éléments essentiels qui « font » Zingaro jour après jour.

Quels sont-ils, ces éléments qui continuent à « faire » Zingaro, trente ans après sa création ?

En premier lieu, il y a le rapport à un temps qui est celui de nos créations, toujours distantes de deux ans et demi. Ce rythme lent, les chevaux l'imposent, tout comme les réalités économiques. Artistiquement et philosophiquement, il me convient très bien. C'était le rythme de sortie des films de Fellini, que j'adorais. Tous les deux ou trois ans, on allait au cinéma voir le nouveau Fellini comme si on se rendait chez un vieil ami pour prendre de ses nouvelles. Les gens nous disent la même chose de Zingaro – et je suis fier de cette fidélité. C'est ça qui justifie l'engagement d'une vie ; c'est cette continuité, cette écriture d'une relation – avec notre public comme avec les chevaux et les hommes avec qui je travaille – sur le très long terme.

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