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A Calais, le ministère accusé « d’atteintes graves aux droits fondamentaux »

La contrôleuse des prisons Adeline Hazan demande qu’il « soit mis fin » aux placements collectifs en rétention, contraires aux droits des migrants.

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Publié le 01 décembre 2015 à 09h28, modifié le 02 décembre 2015 à 20h56

Temps de Lecture 4 min.

Des migrants de Calais accueillis à Arry, dans l'Est de la France, le 12 novembre.

En dix jours, c’est le deuxième désaveu officiel infligé à la politique menée par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, à Calais. Après le Conseil d’Etat, qui le 23 novembre exigeait un aménagement rapide du campement où vivent plus de 5 000 migrants, c’est au tour de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté de dénoncer le non-respect des droits de l’homme, par les pouvoirs publics, dans ce no man’s land de misère et de détresse qu’est la jungle calaisienne.

Dans une recommandation rendue publique le 2 décembre, Adeline Hazan demande au ministre qu’il « soit mis fin » aux placements collectifs en rétention qui se succèdent à un rythme endiablé depuis plus de quarante jours. Elle dénonce l’enfermement de 779 migrants entre le 21 octobre et le 10 novembre (1 039 au 1er décembre, selon la Cimade), « dans le but de désengorger Calais ». « Il s’agit là d’une utilisation détournée de la procédure qui entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ainsi privées de liberté », constate-t-elle.

Aux yeux de cette haute autorité, la politique de M. Cazeneuve bafoue le droit des étrangers parce que ces migrants ne sont pas dans une situation où leur mise en rétention s’impose, mais aussi parce qu’on les prive « de l’accès à leurs droits » et que leur privation de liberté se fait « dans des conditions matérielles portant atteinte à leur dignité ».

Désengorger Calais

Ces violations du droit découlent du choix fait le 21 octobre par le ministre de l’intérieur. Ce jour-là, M. Cazeneuve annonce un plan pour Calais. Officiellement, il propose d’offrir un hébergement, quelque part en France, aux migrants qui acceptent de renoncer à leur projet migratoire vers la Grande-Bretagne. Il décide en même temps de renforcer largement la présence des forces de police sur le lieu afin de rendre la frontière hermétique. Pas un mot, alors, sur les places réservées jusqu’à fin décembre dans sept centres de rétention administrative (CRA) aux quatre coins du pays. Toutes les facettes de sa politique convergent vers un but unique : désengorger le site de Calais en le vidant par tous les moyens de quelques-uns des 6 500 migrants qui y résident alors.

Selon les textes juridiques en vigueur, le placement en rétention n’est pas prévu pour vider un campement : il est réservé à la préparation effective du retour d’un migrant dans son pays ou un pays tiers. Or, la contrôleuse, qui a fait les calculs jusqu’au 10 novembre, est arrivée à la conclusion que seules 4 % des personnes retenues avaient effectivement quitté la France. Preuve que l’enfermement n’avait pas pour but premier de leur faire quitter l’Hexagone – même si, dans sa réponse à Mme Hazan, le ministre rappelle que « tous les étrangers placés en CRA ont vocation à être éloignés et y sont placés dans ce seul but ».

La contrôleuse ne donne les nationalités des « déplacés » que jusqu’à mi-novembre mais la Cimade les a consignés jusqu’au 1er décembre. Sur les 1 039 personnes enfermées depuis octobre dans les sept CRA semi-réquisitionnés, figuraient notamment 147 Érythréens, 113 Irakiens et 138 Syriens – autant de migrants qu’il est impossible de renvoyer chez eux parce que cette mesure les exposerait à des risques importants. Un bilan fait par la même association montre d’ailleurs que 94 % de ceux qui ont été enfermés depuis la mi-octobre ont été libérés, soit par la préfecture elle-même, soit par un juge. Selon nos informations, la plupart d’entre eux sont retournés à Calais par le premier train.

Entassement et indignité

  • Officiellement ouvert au printemps pour libérer le centre-ville de ses migrants et les regrouper, la "jungle" a pris l'aspect  d'un immense bidonville, structurée par une économie de survie. Les magasins affichent souvent l'origine du propriétaire.

    Officiellement ouvert au printemps pour libérer le centre-ville de ses migrants et les regrouper, la "jungle" a pris l'aspect d'un immense bidonville, structurée par une économie de survie. Les magasins affichent souvent l'origine du propriétaire. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Des cafés sont aménagés. On peut y boire un thé ou un café. "On estimait à 5 000 le nombre de migrants ici avant le week-end [samedi 10 et dimanche 11 octobre]", résume François Guennoc, de l’association l’Auberge des migrants. "On ne doit pas être loin de 6 000, alors", complète un autre. Au début du printemps, ils étaient 2 000.

    Des cafés sont aménagés. On peut y boire un thé ou un café. "On estimait à 5 000 le nombre de migrants ici avant le week-end [samedi 10 et dimanche 11 octobre]", résume François Guennoc, de l’association l’Auberge des migrants. "On ne doit pas être loin de 6 000, alors", complète un autre. Au début du printemps, ils étaient 2 000. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Dans la jungle, un des migrants propose ses services pour réparer les vélos des autres occupants du camp. Comme pour se donner l’impression de reprendre la main, les CRS ont réinvesti le lieu. Lundi 12 octobre, avant le déjeuner, ils ont patrouillé par groupe de quatre ou cinq et tassé un peu plus le sable de la dune de leurs bottes de sécurité.

    Dans la jungle, un des migrants propose ses services pour réparer les vélos des autres occupants du camp. Comme pour se donner l’impression de reprendre la main, les CRS ont réinvesti le lieu. Lundi 12 octobre, avant le déjeuner, ils ont patrouillé par groupe de quatre ou cinq et tassé un peu plus le sable de la dune de leurs bottes de sécurité. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Mohajir épluche quelques pommes de terre pour le repas du soir. Dans la grande tente des Soudanais, l'accueil se veut chaleureux.

    Mohajir épluche quelques pommes de terre pour le repas du soir. Dans la grande tente des Soudanais, l'accueil se veut chaleureux. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Tony et Vince sont deux bénévoles britanniques. Ils sont venus il y a quelques jours apporter leur aide dans la construction des bâtiments.

    Tony et Vince sont deux bénévoles britanniques. Ils sont venus il y a quelques jours apporter leur aide dans la construction des bâtiments. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Les différents magasins improvisés dans le camp proposent souvent les mêmes produits. "Désormais, c’est le lieu de refuge de tous les damnés de la terre. On a même une tente de Bédouins du Koweït. Chez eux, ils n’ont droit à rien. Ils viennent voir ici", observe Dominique, un Calaisien qui offre l’électricité pour charger les téléphones.

    Les différents magasins improvisés dans le camp proposent souvent les mêmes produits. "Désormais, c’est le lieu de refuge de tous les damnés de la terre. On a même une tente de Bédouins du Koweït. Chez eux, ils n’ont droit à rien. Ils viennent voir ici", observe Dominique, un Calaisien qui offre l’électricité pour charger les téléphones. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • David Pauwels POUR LE MONDE

  • Deux jeunes étudiants belges sont venus deux jours aider les réfugiés. Les temps de jeu permettent d'adoucir une atmosphère parfois tendue.

    Deux jeunes étudiants belges sont venus deux jours aider les réfugiés. Les temps de jeu permettent d'adoucir une atmosphère parfois tendue. DAVID PAUWELS POUR "LE MONDE"

  • Un gigantesque dôme trône au fond de la jungle. Il a été construit par des Britanniques. Il doit accueillir des représentations théâtrales.

    Un gigantesque dôme trône au fond de la jungle. Il a été construit par des Britanniques. Il doit accueillir des représentations théâtrales. DAVID PAUWELS POUR LE MONDE

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Afin de disposer de tous les éléments, la contrôleuse des lieux de privation de liberté et six de ses collaborateurs se sont rendus à deux reprises à l’hôtel de police de Coquelles (Pas-de-Calais), qui jouxte Calais. Ils ont suivi le transfert par avion de 46 personnes vers le centre de rétention de Nîmes et assisté à l’arrivée de 32 autres à Vincennes (Val-de-Marne).

Ils ont ainsi pu observer qu’une bonne partie des migrants mis en rétention avaient été enfermés suite à des contrôles d’identité aléatoires dans Calais, et non alors qu’ils tentaient de passer la frontière. La plupart avaient en outre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) « présentant une motivation stéréotypée et un argumentaire identique ». Un élément qui témoigne d’une absence d’examen de la situation individuelle, ce qui est contraire au droit.

La contrôleuse a en outre pu observer que les policiers menaient les interpellations en fonction des places disponibles dans les CRA, et non en fonction des projets de renvoi. « Il reste quatre personnes à interpeller », a entendu l’un des enquêteurs de terrain, alors que 46 personnes étaient déjà gardées à vue ou retenues dans le centre de Coquelles dans des conditions d’entassement et d’indignité dénoncées par le rapport. La liste des violations des droits est tellement longue que le fait que l’« information relative à la possibilité de déposer une demande d’asile » soit « parfois omise lors de l’énumération des droits » pourrait paraître accessoire.

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La contrôleuse des lieux de privation de liberté n’est pas la seule à critiquer l’attitude des pouvoirs publics à Calais. Mardi 1er décembre, l’Observatoire de l’enfermement des étrangers, qui regroupe seize associations, de la Ligue des droits de l’homme aux syndicats d’avocats, a publié une lettre ouverte interrogeant le premier ministre, Manuel Valls, sur le sens de ces déplacements forcés.

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