L'art militant est-il inutile ? L'exemple de l'exposition “Fukushima Mon Amour”

En cette période de forte mobilisation autour de la COP21, nous avons voulu savoir si art et militantisme faisaient forcément bon ménage. Zoom sur l'exposition “Fukushima Mon Amour”, pour quelques éclaircissements.

Par Joséphine Bindé

Publié le 01 décembre 2015 à 17h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h03

«Je ne serai pas irradié » proteste le chien de garde, assis bien droit sur son socle. Signé Aurèle Ricard (dit LostDog), ce bull-terrier en résine veille sur l’exposition Fukushima Mon Amour, visible à Paris jusqu’au 24 décembre. Le principe ? Cinquante artistes — dont deux Japonais — dénoncent le silence et l’inaction autour de la catastrophe nucléaire de Fukushima, survenue en mars 2011 suite à un tsunami ravageur.

Les artivistes, qu'est-ce que c'est ?

« Il y a 30 ans, j’avais déjà travaillé sur Tchernobyl. Quand l’explosion a eu lieu au Japon, j’ai ressorti mes vieux dossiers, et j’ai produit une vingtaine d’œuvres », raconte Pascal Maugein, initiateur du projet. L’artiste contacte alors LostDog qui, depuis les années 1980, utilise la figure d’un chien perdu comme symbole d’urgence et de résistance… notamment écologique : en 2010, il présentait un chien géant en plantes dépolluantes (LostDogCo2) à l’exposition universelle de Shanghai. Ensemble, ils montent le collectif Fukushima Mon Amour et en 2013, l’exposition gratuite inaugure sa première session.

Leur signe distinctif ? Ils se revendiquent « artivistes ». D’un mouvement d’artistes militants et contestataires, héritier des émeutes altermondialistes de 1999 à Seattle, et visant à provoquer une prise de conscience sur des sujets politiques. Dans « artiviste », il y a « activiste ». Mais leur action se limite – Pascal Maugein le reconnaît — à « un rôle éducatif » de « vigilance citoyenne ».

 

“Un rôle éducatif, de vigilance citoyenne”

Pinceaux, marteaux, appareils photo : « On s’engage avec nos moyens, en faisant ce qu’on sait faire ». Certains avec humour : Richard di Rosa avec son nuage cotonneux doté d’une paire d’yeux, sorte de petit être fantomatique. D’autres avec une poésie grinçante : Lydie Jean dit Pannel et sa femme nue, échouée à plat ventre sur fond de paysage nucléaire. Ou avec réalisme, comme le peintre Fred Calmets et ses personnages sur fond noir sale, vêtus de combinaisons et de masques.

Zones désertées, ressources contaminées, multiplication des cancers : le collectif attire notre attention sur un pays meurtri. Et sur le fait qu’on ne tire pas les enseignements des drames passés. « Au Japon, ça bouge, mais pas dans le bon sens », déplore Pascal Maugein. Avec – subtile subversion ! - son drapeau japonais « mutant » aux couleurs inversées, il dénonce « le silence des médias » et « la propagande mensongère » du gouvernement nippon, qui fait revenir les habitants dans des villes « mal décontaminées »… et ferme des filières de sciences humaines dans ses universités, préférant investir dans l’armement.

Nuke Diktat Les Fleurs du mal, drapeau japonais-Mutant Post-Fukushima,  par Pascal Maugein. 

Nuke Diktat Les Fleurs du mal, drapeau japonais-Mutant Post-Fukushima,  par Pascal Maugein.  © DR

L'art militant est-il efficace ?

« Le message avance, même si c’est laborieux », précise Pascal Maugein. Bientôt cinq ans après la catastrophe, le public et la presse s’y intéressent un peu plus. Parmi les visiteurs, le violoniste israélien Ivry Gitlis, ambassadeur de bonne volonté à l’UNESCO. Et cette année, beaucoup de Japonais, dont le photographe Kazuma Obara, auteur d’un reportage saisissant sur un fermier resté vivre avec ses chevaux en zone contaminée. Autre victoire : le projet fédère de plus en plus d’artistes. Dont certains qui n’avaient pas l’habitude de s’engager de cette façon. Pour Pascal Maugein, « ce n’était pas évident, mais ils l’ont fait la fleur au fusil ».

“Pas de retours concrets”

Cependant, quid des actions concrètes ? « Je suis déçu et en colère », confie-t-il. Car si des politiciens ont visité l’exposition, « il n’y a pas eu de retours concrets ». Avec un char et des flyers, son collectif devait participer à la marche pour le climat du 29 novembre, finalement interdite suite aux attentats. « On se fout de nous avec la COP21 », s’indigne-t-il avant de rappeler un récent rapport du FMI révélant que les entreprises d’extraction d’énergies fossiles reçoivent 10 millions d’euros de subventions par minute. Et qu’en ce moment même, Tepco – l’exploitant de la centrale nucléaire de Fukushima — déverse les eaux contaminées dans la mer et les rivières. « Ils ont planté une éolienne sur les Champs-Elysées pour montrer qu’ils s’engagent pour le climat, mais ce n’est que du vent. Les politiques ne font rien, ils sont dans le déni », regrette-t-il, amer. Pour sa troupe d’artivistes, le combat n’est pas terminé…

LostDogFukushima (I will not be irradiated) par Aurèle.

LostDogFukushima (I will not be irradiated) par Aurèle. © DR

 

 

A voir

Fukushima mon Amour, exposition collective de 50 artistes, Galerie 18bis, 18bis boulevard Voltaire, Paris 11ème, accès gratuit, de 11h à 19h du lundi au samedi, jusqu’au 24 décembre 2015.

Artistes participants : Artiste Ouvrier, Cédric Attias, Valérie Attinelli, Aurèle dit LostDog, Philippe Berry, Philippe Calandre, Fred Calmets, Valérie Ciccarelli, Arnaud Cohen, Céline Croze, Maxence de Bagneux, Jean-Charles de Castelbajac, Richard di Rosa, Jacques Fivel, Frank Yart, Dominique Fury, Valérie Grancher, Marine Hardeman, Joël Hubaut, Louis Jammes, Nicolas Jardry, Lydie Jean Dit Pannel, Jencri, Fred Kleinberg, Vanessa Kima, Philippe Lagautrière, Valentina Lacmanovic, Sébastien Layral, Léa Le Bricomte, Estelle Maria Rey, Roberto Martinez, Pascal Maugein, Samira Missasami, Camille Moravia, Jiro Nakayama, Valérie Newland, Benjamin Nito, Philippe Perrin, Bernard Pras, Renk, Vincent Scali, Philippine Schaeffer, Jonas Sun 7, Tsuneko Taniuchi, Tristam, Dune Varela, Vuk Vidor, Yolande Zauberman, Pierre Ziegler.

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