
Le hasard fait bien les choses : c’est mardi 1er décembre, au lendemain de l’ouverture au Bourget de la conférence mondiale sur le climat (COP21), qu’ERDF, la filiale d’EDF gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, lance le déploiement du compteur communicant Linky.
Ce programme de 5 milliards d’euros constitue une opération logistique et industrielle de grande ampleur, avec 10 000 créations d’emplois à la clé ; il doit aussi favoriser une meilleure régulation de la production et de la consommation de courant. « Ce projet est emblématique car il répond à trois grands problèmes de la France : la création d’emplois, la transition numérique et la transition écologique et énergétique », résume Philippe Monloubou, président du directoire d’ERDF.
Entre 2016 et fin 2021, 35 millions de compteurs de couleur vert anis seront installés chez les particuliers et dans les entreprises (une application sur le site ERDF détaille les phases de déploiement). « Au plus fort du déploiement, les techniciens en poseront jusqu’à 40 000 par jour », précise Bernard Lassus, directeur du programme. Et 35 millions de Linky, ce sont autant de capteurs permettant d’agréger des milliards de données qui vont faire d’ERDF un acteur important du big data. Pour les collectivités locales (propriétaires du réseau de distribution) ou les bailleurs sociaux, agréger les données de consommations au niveau d’un quartier ou d’un immeuble donnera une vision de sa consommation et doit déboucher sur des économies.
Mieux intégrer les énergies renouvelables
ERDF affirme que les 30 millions de consommateurs seront les premiers bénéficiaires de l’opération. Fini les interventions à domicile : relevés de consommation, changement de puissance du compteur et modification du contrat se feront à distance. Les factures ne seront plus établies sur la base d’une consommation estimée et régularisées tous les six mois, mais sur la consommation réelle. En cas de déménagement, le courant sera rétabli en moins de vingt-quatre heures. « Cela permettra aussi aux fournisseurs [EDF, Engie, Direct Energie…] de proposer des offres tarifaires illimitées adaptées aux besoins de chaque consommateur », prévoit M. Monloubou.
Grâce à une information quotidienne, voire infraquotidienne, accessible sur un portail Internet sécurisé, « le rapport du consommateur à l’énergie va radicalement changer », assure M. Monloubou. Linky pourrait entraîner une baisse d’au moins 1 % de la consommation, soit un gain de pouvoir d’achat de 2 milliards d’euros, selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
Le nouveau compteur devrait aussi permettre d’améliorer l’intégration des énergies renouvelables (éolien, solaire…) au réseau de distribution et de mieux assurer en permanence l’équilibre indispensable entre production et consommation, perturbé par ces sources d’énergies dispersées et intermittentes. Linky et plus généralement la numérisation (smart grid) permettront, selon ERDF, un meilleur pilotage et un entretien plus efficace du 1,3 million de kilomètres de lignes du réseau (dépannage, délais d’intervention plus courts…).
M. Lassus rappelle qu’ERDF a soumis à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) son dispositif de protection des données collectées. Comme le profil de consommation, qui sera la propriété de chaque client et que lui seul pourra communiquer ou non à son fournisseur de courant. Quant aux critiques de certaines associations, comme Robin des toits, sur les risques sanitaires des ondes émises, le « M. Linky » répond que ce compteur ne communique ni par Wi-Fi ni par GSM et qu’il est très au-dessus des normes européennes, grâce à un système de courant porteur en ligne performant.
ERDF financera l’achat et la pose des compteurs, tous « made in France ». « Le client ne paiera rien, dit M. Monloubou. Les gains compenseront largement l’investissement. » L’opérateur l’amortira par les économies réalisées (suppression de la relève des compteurs, limitation des fraudes, meilleure gestion du réseau…). Linky comme les réseaux électriques « intelligents » en aval du compteur seront aussi « générateurs de nouveaux métiers », ajoute le patron d’ERDF. Les dirigeants de la société ne cachent cependant pas qu’à moyen terme, ERDF ne comptera plus 35 000 salariés comme aujourd’hui.
Dérive des coûts
Tout n’est pas merveilleux dans le monde de Linky. Des fournisseurs comme Direct Energie jugent que trop de freins sont mis à la communication des profils de consommation, rendant difficile l’élaboration d’offres tarifaires à la carte. L’UFC-Que choisir craint une dérive des coûts. « Nous serons vigilants sur la maîtrise du déploiement, qui représente à lui seul 2,5 milliards d’euros », prévient Nicolas Mouchnino, chargé de mission énergie-environnement de l’association, où l’on craint que le client paie un dépassement du devis.
Autre problème, plus crucial selon lui : la conception de Linky rendrait difficile son usage comme outil de maîtrise de la demande d’électricité. Et profiterait plus à ERDF qu’à ses clients. La consommation sera affichée en kilowattheures et non en euros. Et le compteur ne sera pas, selon M. Mouchnino, d’une grande aide pour le pilotage à distance des équipements domestiques, sauf à souscrire un abonnement coûteux à une « box » que certains fournisseurs proposent déjà. Jean Gaubert, Médiateur national de l’énergie, veut que la France s’inspire de l’exemple britannique : Londres a obligé les fournisseurs à installer des boîtiers affichant la consommation instantanée en kilowattheures et en livres. Un « signal prix », seul capable d’inciter les clients à faire des économies d’énergie.
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