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Drogue, passeports, cartes de crédit : ce qu'on peut acheter sur Facebook

Oubliez le «darknet» pour acheter des produits illicites, il y a plus simple : le réseau social de Mark Zuckerberg.
par Gurvan Kristanadjaja
publié le 2 décembre 2015 à 11h40

Comment acheter des produits illicites sur Internet ? On pensait jusque-là que la vente de ceux-ci était réservée aux réseaux parallèles - ou «darknets». Ils regroupent peu d’utilisateurs et sont utilisés notamment par les dealers et receleurs pour y vendre drogues, armes et cartes bancaires volées sur des plateformes de marché noir. Ainsi, n’importe quel internaute équipé du navigateur Tor pouvait acheter sa consommation de drogue sur le marché noir Silkroad, avant sa fermeture. D’autres plateformes du genre ont depuis pris le relais et proposent toujours le même genre de services.

Désormais, elles sont concurrencées par une autre, plus populaire : Facebook. Sur le réseau social de Mark Zuckerberg, de nombreux groupes privés ou publics ont été créés pour permettre la vente de drogues, de passeports, de visas ou de cartes bancaires volées. Pour les trouver il suffit de faire une simple recherche "buy ecstasy" ou "buy credit card" sur le réseau social. Nous avons fait le tour de certaines d’entre eux et discuté avec certains des administrateurs.

La drogue

Une page nommée en anglais "Achetez de l'ecstasy!" propose en réalité d'acquérir toute sorte de drogues : du LSD, de la methylone, de l'ecstasy, de la cocaïne, de la kétamine, ou encore de l'héroïne. Elle est administrée par un certain Igro, qui pose sur son profil en short, casquette à l'envers, et a appliqué le filtre bleu-blanc-rouge en solidarité aux attentats de Paris à sa photo. Depuis Kiev où il prétend habiter, il y fait la promotion de ses produits, certifiés «purs à 98%». Nous le contactons par e-mail pour commander de l'ecstasy. L'homme accepte de nous compter dans son cercle d'amis et nous répond quasiment immédiatement qu'il a besoin de connaître notre pays de résidence pour déterminer le coût de l'envoi.

Nous lui expliquons que nous souhaitons commander 100 pilules, il détaille : «Nous sommes en Ukraine. Voici comment ça fonctionne : nous vendons au minimum 100 pilules à 4 dollars l'unité. Les frais sont offerts pour une commande de 100 pilules, en dessous de ça, vous payez pour l'envoi». Concernant le paiement, Igro explique vouloir être réglé via Western Union ou Moneygram [un fournisseur de transfert de fonds, ndlr] adressé au nom d'une femme du nom de Nina, code postal numéro 03059, en Ukraine.

Nous lui exposons nos craintes de ne jamais recevoir le produit, ce à quoi il répond : «Je suis dans ce business depuis onze ans, je suis correct. La façon dont vous traitez vos clients la première fois détermine votre succès. Donc je m'assurerai que vous receviez bien la drogue et je suis sûr que vous en commanderez davantage». Quant au risque de vendre de la drogue sur le réseau social, il donne une réponse étonnante : «Pas de crainte, je paye des publicités pour vendre sur Facebook.» Igro sous-entend que puisqu'il débourse de l'argent, Facebook ferme les yeux sur son petit trafic : «Si vous vous réservez votre page à des utilisateurs au-dessus d'un certain âge, ils [Facebook, ndlr] ne feront pas attention».

Avant d'arrêter la discussion, nous lui demandons de nous envoyer des photos de nos produits, pour être sûr qu'il les a bien en sa possession. Igro nous répond du tac-au-tac, avec deux photos carrées de pilules multicolores. Après vérification, ces images sont, en réalité, celles d'une saisie policière dans la région de Tournai en Belgique, dont avait fait écho VTM Nieuws en juillet dernier. Tout laisse à croire donc que Igro n'est pas réellement un vendeur de drogue, mais qu'il utilise en réalité Facebook pour monter des arnaques comme c'est le cas fréquemment sur Internet. Le consommateur ne recevra sans doute jamais ses pilules, mais notre interlocuteur touchera bien, lui, ses 400 dollars par mandat cash.

Des dizaines d'autres pages du genre existent, comme «Buy MDMA and Ecstasy Pills» [acheter de la MDMA et des pilules d'ecstasy, ndlr]. Sa photo de profil y affiche des pilules blanches - vraisemblablement de l'ecstasy - et une tête de cannabis tenues dans le creux d'une main. L'administrateur explique dans la description de celle-ci, «obtenez de l'ecstasy de haute qualité à prix très abordable, livraison discrète et rapide, produits de qualité, paiements sécurisés». Par le biais d'un statut public datant du 24 novembre dernier, le dealer indique une liste de prix : 70 dollars le gramme d'héroïne, 6 dollars la pilule de Ritaline ou 10 dollars les 30 milligrammes de morphine. En tout 25 drogues différentes, antidépresseurs ou médicaments disponibles par sachet de 30, 60, 90, 120, 150 et 190 pilules. Les frais de port sont offerts, la page répertoriée dans la catégorie «santé/bien-être», bien entendu. Cette fois notre interlocuteur ne se trouve pas à Kiev, mais à Chicago. Il nous propose d'appeler ou d'envoyer un message à un numéro de téléphone localisé à Chicago (commençant par» + 1-132»), avec sa commande précise. Ce que nous faisons, sans obtenir de réponse.

Les cartes de crédit volées

Parmi tous les espaces du genre qui existent, le plus prolifique est un groupe privé de 378 personnes créé en septembre dernier, comme lieu de rencontre pour les utilisateurs qui souhaitent vendre ou acheter des numéros de carte de crédit volés. Tous les jours ou presque, des membres cherchent à acheter ou vendre des cartes bancaires de tous types. «Je veux acheter des comptes paypal pour acheter des produits pharmaceutiques» explique l'un d'entre eux. «Je vends une carte de crédit française (numéro, date de validité, et numéro de vérification) pour 15 dollars uniquement, paiement en bitcoins», écrit un autre.

L'administrateur de celui-ci explique dans une publication du 17 novembre qu'il appartient à un groupe de hackers basé en Malaisie. Ce dernier nous accepte dans son cercle d'amis, là encore dans la minute, détaille en discussion privée : «Je vends des cartes bancaires partout autour du monde. Le prix est de 10 dollars l'unité. Nous la vérifions avant de la livrer.» Nous prétendons vouloir commander une carte française, il écrit : «laissez-moi vérifier le stock… Non, je n'en ai plus, mais j'ai des Américaines. Vous m'envoyez le paiement en Bitcoins, puis vous patientez 15 minutes et je vous envoie le numéro, date de validité, numéro de vérification, le nom du porteur, son adresse, son code postal et son pays par message privé sur Facebook.» Rien de plus simple donc.

Concernant le risque, notre interlocuteur malaisien, qui les vend aussi sur les marchés noirs des réseaux parallèles, nous rassure : «Je n'ai jamais eu de problème sur Facebook ne vous inquiétez pas. Je fais ça depuis longtemps. Facebook peut prendre 30 minutes de délai lorsque l'on poste une annonce avant de la valider, c'est tout.» A la vue du nombre d'annonces sur le groupe (une centaine), le réseau social a donc estimé qu'elles sont conformes à ses règles ou a préféré fermer les yeux. Contactés, certains membres confirment bien que la combine fonctionne : vendre et acheter des cartes de crédit volées sur Facebook ne pose aucun problème.

Sur un autre groupe privé du même type (accessible sur invitation), certains postent même régulièrement des numéros de cartes bancaires valides gratuitement en toute liberté.

Les faux passeports et les visas

Des dizaines de groupes et de pages proposent aussi d'acheter des titres d'identité pour quelques dizaines de dollars. L'une d'elle, par exemple, propose des passeports syriens : «Nos services fournissent un titre de nationalité syrienne en règle». Là encore, un numéro est indiqué pour une communication via Whatsapp, Viber ou Tango [des services de messagerie en ligne, ndlr]. D'autres pages proposent des fausses cartes étudiantes, d'identité, ou permis pour seulement 29,98€. Le groupe renvoie vers le site d'une «société» basée en Allemagne et spécialisée dans la fabrication de faux.

Certains passeurs vont aussi jusqu'à proposer aux migrants la traversée de la Libye vers l'Europe ou le Canada en bateau pour quelques milliers de dollars - nous vous en parlions il y a quelques semaines. Il suffit, là encore, de contacter un numéro de téléphone direct libyen.

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Ce que dit Facebook

Si dans certains cas, il est probablement possible d’acheter ces produits par le biais de Facebook, certains revendeurs profitent aussi de la popularité de la plateforme pour mettre en place des arnaques simples. Contrairement aux marchés noirs présents sur les réseaux parallèles, la célèbre plateforme regroupe plus d’un milliard de personnes, soit autant d’utilisateurs susceptibles de vouloir acheter des produits illégaux. Le réseau social de Mark Zuckerberg n’étant pas, à l’origine, pensé comme une plateforme commerciale, contrairement aux sites de revente spécialisés, la transaction y est donc forcément moins encadrée (de la main à la main), et le risque d’arnaque plus important.

Pour Facebook, il est clair que ces produits sont interdits car illégaux. Problème : leur modération fonctionne surtout grâce à sa communauté. Pour qu'un contenu soit interdit ou supprimé, il faut qu'il soit signalé par l'un des utilisateurs tiers. Les groupes et pages de revente de drogue, de carte bancaires ou de passeport ciblent une communauté bien précise de consommateurs et de revendeurs, qui n'ont aucun intérêt à le signaler. Elles continuent donc d'exister par centaines, sans que le réseau n'intervienne particulièrement pour les censurer. La sanction, si elle ne vient pas de la plateforme de Mark Zuckerberg, peut, en revanche, venir des polices des pays concernés, qui ont déjà arrêté plusieurs d'entre eux trop vantards.

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