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Politique

Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard : un duo pathétique et ridicule

En meeting à Toulon, Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard ont multiplié les sorties hallucinantes sur l'histoire et l'identité de la France. Hélas, il faut prendre ces propos ridicules au sérieux.
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Maréchal-Le Pen
Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard en décembre 2013
Alain ROBERT/APERCU/SIPA

Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard incarnent en politique le ridicule qu’il faut prendre au sérieux. La journée de mercredi est venue confirmer ce qu’il faut bien considérer comme un phénomène politique inédit depuis les années 30 : il est possible de tenir un discours délirant et être en capacité de recueillir le suffrage massif d’électeurs dupes. C’est tout à la fois sidérant et atterrant.

Donc, Marion Maréchal-Le Pen et Robert Ménard, les Palmade et Robin du rire frontiste, ont fait meeting commun à Toulon, dans le cadre de la campagne des Régionales en PACA. L’un comme l’autre ont délivré ce qu’il faut bien nommer une certaine idée de la France qui donne sens à la mise en garde lancée par Manuel Valls, estimant que le FN est "ne menace pour la France".

Commençons par le show Ménard. Le maire de Béziers a donné ce mercredi le meilleur de lui-même, c’est-à-dire le pire.

Avant même le meeting de Toulon, Robert Ménard avait lancé l’opération de promotion de sa "Garde biterroise". De quoi s’agit-il ? De la création d’une milice de bénévoles qui serait recruté parmi des supposés spécialistes de la sécurité. Une affiche a même été créée pour l’occasion, destinée à rameuter les bonnes volontés : "Vous êtes ancien policier, ancien gendarme, ancien militaire, ancien pompier, rejoignez la garde biterroise" peut-on lire sur l’affiche en question. Non armée, cette milice privée à l’usage du maire de Béziers serait déployée sur le territoire de la commune, tant que durera l’état d’urgence, dans le but de prévenir la police municipale en cas d’événement suspect.

"Je veux retrouver notre France, celle de Louis XIV..."

Le préfet a mis en garde Robert Ménard contre cette initiative, qui risque d’engendrer plus de problèmes de sécurité qu’elle n’en résoudra. "Les missions de sécurité publique assurées par les maires sont encadrées par des dispositions législatives et réglementaires, qui prévoient que les personnels intervenants doivent être des fonctionnaires territoriaux agréées par le représentant de l'État et le procureur de la République", mais il y a fort à parier qu’il ne sera pas écouté par le maire de Béziers. Il est clair que ce dernier, provocation après provocation, repousse sans cesse les limites de la légalité dans le but de créer un incident avec la République. Pour le moment, le ministère de l’Intérieur laisse dire et faire Robert Ménard, mais jusqu’à quand ?

Le soir à Toulon, Robert Ménard, aux côtés de Marion Maréchal-Le Pen, s’est glorifié de sa nouvelle initiative. Tout surmoi républicain annihilé, l’ancien journaliste est parti dans l’une de ces évocations historiques dont les élus issus de la mouvance frontiste ont le secret : "Je veux retrouver notre France, celle de Louis XIV, de Napoléon, et celle, si le ministère de l'Intérieur me l'autorise, de Charles Martel".

Et encore : "Je veux continuer à vivre dans un pays où l'on parle français et non pas une espèce de sabir de banlieue, je veux continuer à me promener dans des villages bâtis à l'ombre des églises, je veux une crèche dans mon hôtel de ville". Et aussi : "Nous sommes rongés de l'intérieur (et) on voudrait que l'on n'ait pas envie de vomir". Et enfin : "Imaginons les Français de 1916 se promenant avec un papier ‘Je suis Verdun’ ou des Français accueillant le général de Gaulle avec un panneau ‘Je suis Charles’".

Cette extrême droite qui ne s’est jamais remise de sa défaite de l’affaire Dreyfus

Les élucubrations de Robert Ménard, célébrant une vieille France terre catholique unie par le mystique (qui n’a jamais existé en réalité) ont été ensuite complétées par celles de Marion Maréchal-Le Pen, dans la droite ligne de ce qu’elle-même professe, et ce de plus en plus à visage découvert.

De nouveau, Marion Maréchal-Le Pen a réduit la France à une culture héritée du seul catholicisme, et rien d’autre : "Nous ne sommes pas une terre d'islam, et si des Français peuvent être de confession musulmane, c'est à la condition seulement de se plier aux mœurs et au mode de vie que l'influence grecque, romaine, et seize siècles de chrétienté ont façonnés. Chez nous, on ne vit pas en djellaba, on ne vit pas en voile intégral et on n'impose pas des mosquées cathédrales." A son argumentaire habituel, Marion Maréchal-Le Pen ajoute la police du vêtement, définie selon des critères religieux et culturels catholiques, grecs et romains. Faut-il ici démontrer l’absurdité politique, juridique et pratique de la proposition ? On se contentera d’indiquer à Marion Maréchal-Le Pen, à titre d'exemple, que bon nombre de Pieds-noirs, leurs enfants et petits-enfants, juifs, chrétiens ou athées (population que le FN créé par Jean-Marie Le Pen prétend défendre depuis un demi-siècle) sont eux-mêmes encore adeptes du port de la djellaba l’été, pour la bonne et simple raison que c’est avant tout un vêtement conçu pour vivre là où les températures sont élevées. A quoi en sommes-nous rendus pour répondre aux stupidités énoncées par les représentants du FN...

Mieux encore, pour justifier sa version catholique intégriste du vieux "La France aux Français", rengaine éternelle de cette extrême droite qui ne s’est jamais remise de sa défaite de l’affaire Dreyfus, Marion Maréchal-Le Pen a osé la formule suivante : "Qui n'a pas vibré au sacre de Reims et à la fête de la Fédération n'est pas vraiment français".

La référence est connue. Elle est issue du livre de l’historien Marc Bloch, L’Etrange défaite. Sauf que la citation est dévoyée : "Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération." Notons bien la différence entre l’original Bloch et la copie Le Pen : Bloch se réfère à la perception de l’histoire de France, non à ce qui définit le fait d’être Français. Plus cocasse encore, la formule de Bloch est destinée en réalité à célébrer le grand mouvement de masses que fut le Front populaire de 1936. "Dans le Front populaire -le vrai, pas celui des politiciens-il revivait quelque chose de l’atmosphère du Champ de Mars, au grand soleil du 14 juillet 1790".

 

Bloch inscrit le Front populaire dans ce grand mouvement permanent qui caractérise la volonté des Français de toujours s’unir, volonté souvent trahie par les classes dirigeantes bourgeoises : "Il y avait dans cet élan des masses vers l’espoir d’un monde plus juste, une honnêteté touchante à laquelle on s’étonne qu’aucun cœur bien placé ait pu rester insensible. Mais, combien de patrons, parmi ceux que j’ai rencontrés, ai-je trouvé capables, par exemple, de saisir ce qu’une grève de solidarité, même peu raisonnable, a de noblesse : passe encore, disent-ils, si les grévistes défendaient leurs propres salaires." Les deux catégories de Français que visent Bloch n’en forment qu’en réalité une seule : la bourgeoisie conçue comme une classe dirigeante qui se refuse à considérer les aspirations des masses à l’unité : "De plus en plus loin du peuple (…) la bourgeoisie, en même temps, s’écartait, sans le vouloir, de la France tout court".

Bigoterie pathétique

En clair, le propos de Bloch n’est pas de célébrer une vieille France enchainée dans la version rance du catholicisme, réduite à une bigoterie pathétique amenant les citoyens à se muer en chasseur de djellaba impie dans les rues, mais au contraire d’exalter les aspirations permanentes d’un peuple à l’unité populaire. Le contresens de Marion Maréchal-Le Pen est donc total (notons aussi qu'elle n'est pas la première à vouloir détourner la pensée de Marc Bloch, ce qui oblige les héritiers de l'historien, chaque fois, à dénoncer les impostures, y compris celle tentée un temps par Nicolas Sarkozy).

Confrontés que nous sommes à ce qu’il faut bien nommer une aberration politique et historique, la question fondamentale fuse : que vient faire Marc Bloch dans la bouche de Marion Maréchal-Le Pen ? 

Marion Maréchal sait-elle qu’en reprenant la formule de Marc Bloch, elle a fait l’éloge du Front populaire ?

Sait-elle qui est vraiment l’auteur de la citation qu’elle a tenté de trianguler pour les besoins de sa cause ?

Sait-elle que l’historien, parce que juif, a été chassé de l’université, dès octobre 1940, par le gouvernement de Vichy, dont bien des représentants, comme elle, militaient pour le grand retour de l’influence de l’Eglise catholique dans le giron de l’Etat français de Pétain ?

Sait-elle qu’entré en Résistance, il sera arrêté en 1944, torturé par la Gestapo, et finalement fusillé par la Milice, oui, la Milice, cette garde infâme inventée par Vichy et composée de Français au service du terrible Joseph Darnand, qui se pensait lui aussi plus Français que les autres ?

Marion Maréchal-Le Pen est-elle seulement consciente du sens initial de la sentence de Marc Bloch ? Si oui, cela relève de l’escroquerie intellectuelle. Si non, de l’inculture historique et politique. Dans les deux cas, c’est affligeant. Et dire que Marion Maréchal-Le Pen passe son temps à donner des leçons de culture française aux uns et aux autres…

A l’arrivée, on en revient à ce que l’on diagnostiquait à l'origine : Marion Maréchal-Le Pen et son acolyte d’un soir, Robert Ménard, incarnent en politique cette forme de ridicule qu’il convient de prendre désormais au sérieux, dans la mesure où ces gens-là sont capables d'attirer des millions d'électeurs. La constatation est vertigineuse, qui dit le tragique de l'époque. La nôtre. 

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