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Sur les lieux des attentats du 13 novembre, le délicat retour à la vie de quartier

Devant Le Petit Cambodge et Le Carillon, devenus lieux de mémoire après la mort de 15 personnes, certains riverains voudraient pouvoir commencer à tourner la page du drame de novembre.

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Publié le 02 décembre 2015 à 14h16, modifié le 03 décembre 2015 à 09h24

Temps de Lecture 5 min.

Devant le restaurant Le Petit Cambodge, mardi 1er décembre 2015.

« Et ça, poubelle ? » Devant Le Petit Cambodge, dans le Xe arrondissement, les agents de la propreté de Paris font le tri entre les fleurs fanées et les hommages à garder. Cela fait près de trois semaines que les terroristes ont tiré à la kalachnikov sur ce restaurant et sur le bar d’en face, Le Carillon. Depuis, le trottoir, où 15 personnes sont mortes, déborde de roses, bougies et autres messages aux victimes. On y a même déposé quelques bières.

Mardi 1er décembre, le conseiller d’arrondissement est venu lui-même expliquer la décision de la mairie de réduire la place prise par l’intouchable mémorial. Pour des questions de sécurité sur le carrefour rouvert à la circulation, mais pas seulement. « C’est difficile pour les habitants de voir ça tous les jours, explique Stéphane Bribard. Cela fait une semaine qu’ils demandent qu’on intervienne. »

Les services de la propreté de Paris, mais aussi ceux de la culture, « pour le côté mémoire », et quelques habitants se sont donc réunis ce matin-là pour remplir des sacs-poubelle de restes de bougies et de dessins lessivés par la pluie. Une première étape. Pour le moment, les témoignages et les photographies restent en place. « Mais à un moment, il faudra aussi les enlever », prévient l’élu. La mairie de Paris les récupérera pour en faire un mémorial. Ailleurs. Plus tard. « Il est trop tôt pour savoir quoi faire et comment. »

Sous un couvercle de morosité

Pour la première fois depuis les attentats, le rideau du Petit Cambodge s’est entrouvert mardi dans la matinée. Un homme a sorti les tabourets et vidé les aliments qui pourrissaient depuis cette nuit-là et commençaient à incommoder les voisins. Le mur longeant la rue Alibert a également été repeint quelques heures plus tôt.

Ils sont nombreux ceux qui aimeraient redonner un semblant de normalité au quartier enfermé « sous un couvercle de morosité », selon Emilie Morat, qui travaille dans un magasin non loin de là. La jeune femme raconte les perches à selfie et les cars de Japonais qui se succèdent « depuis ». Du jamais vu dans ce quartier où l’on vit comme dans un village.

Pascal, un chauffeur livreur de 39 ans, qui habite une rue voisine, ne supporte plus l’intrusion des curieux dans sa vie quotidienne de père de famille. Il aspire à un peu de tranquillité, même s’il « ne veut pas empêcher les gens de venir se recueillir ». Si les poussettes peuvent à nouveau rouler sur le trottoir, lui préfère ne pas passer trop souvent « devant » avec sa fille de 5 ans. Et il n’est pas le seul. Certains parents d’élèves font « des détours incroyables » pour emmener leurs enfants à l’école maternelle Parmentier, explique son directeur, Laurent Boutillier.

D’autres se retrouvent à bavarder au milieu de la rue, puisque, jusqu’ici, c’est au Carillon qu’ils se retrouvaient pour un café. Ces parents se connaissaient déjà avant les attentats. Leurs discussions tournent désormais autour de sujets plus sombres que les goûters d’anniversaire. On se tient au courant des nouvelles mesures de sécurité, comme la fermeture de la grille de l’école dès 8 h 30, ou de la visite du premier ministre, Manuel Valls, que certains auraient préféré éviter. Pour ne pas perturber davantage les enfants.

Déménager ?

Devant le bar Le Carillon, mardi 1er décembre 2015, avant le nettoyage du trottoir.

Mais le retour à une vie « normale » n’est pas si facile à envisager. Carmela Uranga avoue même avoir un peu peur du vide qui viendra après le départ de la foule, des fleurs et des caméras. Cette mère de famille de 47 ans sait pourtant bien qu’elle en a « besoin pour réaliser ce qu’il s’est passé et faire [son] deuil ». Ce soir-là, elle et ses deux petites filles ont tout entendu depuis leur appartement de la rue Bichat.

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Parfois, la traductrice oublie les corps aperçus par la fenêtre. Mais dès qu’elle sort, « impossible de ne pas voir, c’est tellement présent ». Déménager ? Evidemment qu’elle y a pensé, les premiers jours. Mais elle a vite renoncé. Depuis les attentats, étrangement, elle se sent enfin chez elle. Pas en France, pas à Paris. Mais ici, dans ce petit coin de rue. Elle, l’Argentino-Ecossaise au passeport américain qui a grandi en Angleterre et pour qui « la nation n’a jamais été un concept très clair », défendra désormais ce que représente ce quartier pour elle : « la solidarité, l’échange, les rires ». D’ailleurs, il est temps qu’elle aille chercher Keona à l’école. Le serveur de chez Maria Luisa a promis de lui offrir une pizza pour ses 9 ans.

Sur le carrefour devenu mémorial, seule la terrasse de cette pizzeria échappe aux monceaux de fleurs. Pas à la vue imprenable sur ceux du Carillon et du Petit Cambodge. Les clients y sont plus rares, certes, admet la serveuse, « mais le soutien tellement présent ». Sur le site du Fooding, l’équipe invite d’ailleurs chacun à venir goûter à son tiramisu qui n’a « jamais si bien porté son nom » : littéralement « tire-moi vers le haut », en italien. Les commerçants du quartier, dont le chiffre d’affaires pâtit sérieusement des événements, attendent avec impatience que leurs deux voisins rouvrent leurs portes. Les deux ont annoncé qu’ils le feront. Le Petit Cambodge peut-être même dès janvier.

« Redonner de la couleur et de la gaieté »

En attendant, le quartier tente de se réapproprier ce qui lui est arrivé. Avec la présidente de l’association des habitants et Stéphane, du Bistrot des oies, la gérante du magasin Objet céleste, Hélène Lebecque, a ainsi lancé l’idée d’une guirlande de fanions qui les relierait. « L’idée est que chacun apporte son message sur un morceau de tissu. » Ils communiqueront peu sur le projet, et sûrement pas sur les réseaux sociaux. Pour que ne participent « que des gens qui sont venus et ont ressenti l’émotion du lieu ».

« Et puis, il faut redonner de la couleur et de la gaieté à ce quartier », conclut la jeune commerçante. Evidemment, « personne n’oubliera parce qu’il n’y a plus de fleurs » au coin de la rue, souligne Pascal. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’oublier, selon Emilie Morat, pour qui « cet événement fera toujours partie de l’histoire du quartier ». Celle d’une petite communauté qui espère trouver sa résilience en étant plus solidaire que jamais. Manger une pizza ici, boire un verre là. Même si cela demande de braver sa peur, et de passer outre les monceaux de fleurs.

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