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DESINTOX

Cop 21 : Poutine vante les «efforts» (inexistants) de la Russie

En manipulant de vrais chiffres, Poutine a réussi à se faire passer pour ce qu’il n’est pas : un héraut volontariste de la lutte contre le changement climatique.
par Pauline Moullot
publié le 3 décembre 2015 à 12h56

INTOX. Poutine, ardent défenseur de la lutte contre le réchauffement climatique ? A l'en croire, la Russie serait un exemple à suivre pour le reste du monde. Le président russe s'est ainsi félicité lundi d'avoir réduit les émissions de gaz à effet de serre et d'avoir retardé d'un an le réchauffement climatique, tout en développant son pays. «Nous avons plus qu'atteint nos objectifs du protocole de Kyoto : de 1991 à 2012, non seulement la Russie n'a pas augmenté ses émissions de gaz à effet de serre, elle les a considérablement diminuées sur cette période», déclare-t-il, en mettant en avant les «efforts russes». «La Russie va continuer à contribuer à l'effort commun pour empêcher le réchauffement climatique. En 2030, nous prévoyons de réduire nos émissions de gaz à effet de serre à 70% de niveau de base de 1990», a-t-il poursuivi. Un beau discours, qui ressemble à un leurre.

DÉSINTOX. En effet, la Russie a largement réduit ses émissions de gaz à effet de serre depuis 1991. Pour une raison simple, pointée par les analystes depuis longtemps. L'effondrement du bloc soviétique en 1990 a provoqué une désindustrialisation de l'URSS. La fermeture d'usines, la baisse de la consommation et la crise économique conduisent naturellement à une chute des émissions de gaz à effet de serre (GES). C'est ce qu'on appelle le phénomène d'air chaud.

Mais cette chute ne signifie en aucun cas un engagement du pays vers les énergies propres et une politique décarbonée. «Cette réduction entre 1990 et 2012 ne s'est pas traduite par le développement d'énergies renouvelables ou une réduction de sa dépendance aux énergies fossiles mais est liée aux conditions économiques», insiste Célia Gautier, représentante du Réseau action climat. C'est ce que montrent les graphiques sur la consommation de carbone du pays. Après une chute drastique dans les années 90, celle-ci stagne avant même de remonter légèrement.

Source : Global Carbon Atlas

Si l'on considère les émissions de CO2 en tonnes par habitant, elles ont même augmenté selon les données de la Banque mondiale. Passant de 14T de CO2 par habitant en 1991 à 10,1 en 1998, elles sont finalement remontées à 12,6T en 2011. Quand Poutine insiste sur «les efforts russes» pour atteindre les objectifs fixés par le protocole de Kyoto, il fait donc passer une désindustrialisation subie pour une démarche volontaire. En termes d'efforts, on a vu mieux.

Dans un second temps, le président russe sous-entend que son pays va réduire ses émissions de GES de 70%. En réalité, l'engagement de la Russie consiste à les limiter afin qu'elles atteignent en 2030 70% du niveau de 1990. Ce qui équivaut à la réduction de 25 à 30% annoncée par la Russie dans sa contribution à la COP 21. Ou comment rendre les chiffres plus impressionnants. Sauf que les émissions de 1990 étaient tellement hautes qu'une baisse de 30% par rapport à ce taux initial correspond pour Réseau action climat à une stabilisation des émissions par rapport à aujourd'hui. En d'autres mots, cela revient à ne rien faire.

La question de la prise en compte de la forêt gonfle encore plus ces chiffres. La Russie n'est pas le seul pays à miser sur ces «puits de carbone» naturels qui stockent le CO2 et compensent les émissions : la Chine et l'UE aussi ont intégré le rôle des forêts dans leurs contributions. La Russie, premier pays forestier avec 25% des ressources mondiales, a décidé de tabler sur une capacité d'absorption du CO2 maximale. S'appuyer sur les puits de carbone naturels permet de réduire ses émissions sans changer de politique. Sachant que les taux d'émissions de 1990 ont été calculés sans prendre en compte les forêts, la baisse annoncée de 25 à 30% (qui les prend en compte) fausse les statistiques. Selon le Climate Action Tracker, il suffit de ne pas les prendre en compte pour s'apercevoir que la réduction annoncée des GES en 2030 ne baisserait en fait que de 6 à 11% par rapport au niveau de 1990, ce qui se traduirait par une augmentation de 30 à 38% par rapport à 2012.

Source : Climate Action Tracker 

Un article d'Actu-Environnement arrive à un résultat similaire et présente lui aussi l'objectif russe de réduction des émissions comme une hausse. La soi-disant «baisse» des émissions prévue pourrait «ouvrir la voie à une hausse de 41 à 51% entre 2012 et 2030», conclut-il. La prise en compte des forêts permet même de réduire d'un quart le volume des émissions affiché en 2012. Bel effort.

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