Militant pro-armes à feu et anti-avortement, soutien de Donald Trump... Jesse Hughes, rockeur pas si cool

Le leader des Eagles of Death Metal est loin d'être un enfant de chœur. Un documentaire, mis en ligne avant la tragédie du Bataclan, nous en apprend plus sur lui.

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 03 décembre 2015 à 10h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h04

Le 20 novembre 2015, le Festival international du film documentaire d’Amsterdam annonce l’annulation des projections de The Redemption of the devil, un documentaire consacré à Jesse Hughes, chanteur du groupe Eagles of Death Metal. La raison ? « Un timing inapproprié », rapporte pudiquement la BBC, en référence aux attentats de Paris. Dans la bande annonce, on peut voir Hughes, grand amateur d’armes à feu et membre actif de la NRA (National Rifle Association, lobby des armes aux Etats-Unis) s’amuser avec l’un de ses nombreux pistolets et le pointer en direction d’un de ses amis, en toute bonhomie, hilare. Pas terrible effectivement, en période de choc post-traumatique.

Et troublant, quand on y pense. Car Jesse Hughes et les membres d’Eagles of Death Metal, sortis miraculeusement indemnes de la tuerie du Bataclan, font l’objet d’un soutien massif depuis les attentats, au point d'être quasiment élevés au rang de héros. Vice, qui a réalisé la première interview du groupe depuis le massacre, en a d’ailleurs rajouté avec un teasing un peu malvenu et une vidéo montrant le groupe clairement traumatisé, mais souhaitant « être les premiers à rejouer au Bataclan ».

Dans cette avalanche d’émotions et de bons sentiments, on en oublie seulement qui est vraiment Jesse Hughes : un militant pro-armes à feu, on l’a dit, mais aussi un chrétien (1) ultra conservateur et anti-avortement, fervent soutien de Donald Trump, admirateur transi de Ronald Reagan et qui voit aussi en George Bush « un héros » (« Un mec qui adore ZZ Top est le genre de salopard que j’apprécie », dit-il, parlant de l'ancien président américain) et enfin adepte du créationnisme. Bref, cela fait quand même beaucoup pour un rockeur.

« Tout part en couilles. Honnêtement, si les armes à feu étaient interdites aux Etats-Unis, ce serait un désastre », explique-t-il dans The Redemption of the devil. Disponible depuis le 2 octobre sur iTunes, le documentaire d’Alex Hoffman se déploie sur une année, au moment où Hughes célèbre ses 40 ans. On y suit en partie l’enregistrement de Zipper Down, le dernier album des Eagles of Death Metal, et les obsessions d’un personnage complètement azimuté. Hughes, dit le film, est « un diable en rédemption ».

Il en a bavé : à l’aube des années 2000, marié, obèse et perdu dans une vie bornée, il trouve sa femme au lit avec sa meilleure amie. Le désespoir le fait tomber dans les drogues, mais le speed, en l’occurrence, lui fait perdre aussi énormément de poids. Jesse Hughes devient Boots Electric, surnom que lui donne Josh Homme, son ami d’enfance. Avec lui, il fonde en 2004 Eagles of Death Metal. Moustache de texan, tatouages en pagaille, Jesse Hughes devient un autre homme, et quatre albums plus tard, une rock star.

“Ce dont ce pays a besoin, c’est que tout le monde retourne dans les églises”

Sa rédemption passe aussi par Jésus Christ. Ordonné prêtre de l'Universal Life Church il y a trois ans, il célèbre aujourd’hui des mariages, entre deux tournées : « Ce dont ce pays a besoin, c’est que tout le monde retourne dans les églises. Dès maintenant », prêche-t-il dans le film. Depuis sa ville de Palm Desert en Californie, Hughes réfléchit aussi beaucoup à la destinée de son pays et pensait même sérieusement à se faire élire à la chambre des représentants pour briguer ensuite… la Maison Blanche. Hughes a toujours été passionné par la politique.

Il peut même se targuer d’y avoir une petite expérience, puisqu’il fut jadis, à l’âge de 20 ans, la plume des discours politiques de Sonny Bono (la moitié de Sonny & Cher), lors de la campagne ratée de l’ex-chanteur pour devenir sénateur républicain, en 1992. Dans le même temps, Hughes n’aime rien tant que fumer des kilos d’herbe avec sa copine Tuesday Cross, ancienne actrice porno, parle de sa « bite » toutes les deux minutes et jure à longueur de temps, ce qui énerve beaucoup sa mère, très présente dans The Redemption of the devil. 

Dieu et la dépravation font souvent bon ménage dans l’histoire de la musique, et Jesse Hughes n’est pas non plus le premier rockeur à aimer les armes, loin s’en faut. Mais il a quand même une fâcheuse tendance à scier la branche sur laquelle il est assis : « La culture pop nous a apporté Internet, la pornographie de masse, l'attirance pornographique pour la mort de Quentin Tarantino. Nous sommes dans les ténèbres avec le diable. Rien de bon pour nous. Voilà la réalité », déclarait-il récemment

Dans une interview datant de 2008, il donnait finalement un condensé de sa philosophie de vie : « Je suis un conservateur. La seule manière pour les gens d’espérer vivre dans un monde en sécurité, c’est qu’ils aient vraiment la volonté d’en faire un endroit sécurisé par eux-mêmes, et qu’ils soient même prêts à mourir pour ce en quoi ils croient. Je veux juste mon fric et mes flingues et que personne, bordel, ne me dise ce que je dois faire, voilà ce qui dicte ma politique ! » Une vision de l'existence qui met sérieusement en doute le côté « si cool et rigolo » du rock des Eagles of Death Metal.

Jesse Hughes persiste et signe
Interviewé par Paris Match dans son édition du 3 décembre, le chanteur des Eagles of Death Metal a livré des propos aussi paradoxaux qu’il l’est lui-même. Pleurant et félicitant le public pour son courage (« Ces images de gens qui s’entraident remplacent les horribles choses que j’ai vues. ») et la police pour son efficacité (« Les types avaient des posters de rock au mur. On parlait le même langage. »), il a aussi raconté : « Avant le concert, des gamins ont emmené dans un magasin d'armes juste à côté, ils connaissent ma passion. J'y ai même acheté un cran d'arrêt. » Au sujet de son ressenti sur place : « Nous étions plusieurs à nous être demandé ce que foutaient ces voitures garées tout l'après-midi devant la salle. Et je trouvais aussi qu'il n'y avait pas assez de vigiles dans la salle. » Sur l’entrée des terroristes dans la salle : « J'ai grandi avec le bruit des armes, je sais reconnaître le tir d'une kalachnikov. Mais les gamins dans la salle, eux, ne pigent rien. Ils n'ont même pas peur. (...) Je suis convaincu qu'il y avait plus de trois tireurs. Et qu'ils étaient déjà dans la salle avant de shooter. »

(1) Jesse Hughes se dit « catholique » (source), comme il était écrit dans une précédente version de cet article, mais devant le manque de clarté de cette affirmation, nous avons corrigé.

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