Retour dans la “jungle” de Calais, par Catherine Corsini

La cinéaste Catherine Corsini, qui fait partie des artistes engagés autour de l'Appel de Calais (avec Pascale Ferran, Nicolas Philibert, Céline Sciamma...) a décidé de retourner régulièrement voir les réfugiés de la “jungle”. Récit en texte et en vidéo.

Publié le 04 décembre 2015 à 06h00

L'Appel de Calais a initialement été signé par 800 personnes issues du monde des arts, de la culture, de l'enseignement, de la pensée, de la santé, de la justice…  Avant de s'élargir à plus de 35 000 signatures individuelles et à de nombreuses associations. Vous pouvez lire l'Appel et le signer. Dans les suites de cet appel, un certain nombre de signataires ont décidé de se rendre régulièrement à Calais pour témoigner de l'évolution de la situation sur place et recueillir la parole de réfugiés. Ces témoignages pourront prendre la forme de textes, de dessins, de photographies, de petits films, et seront régulièrement publiés chez différents médias partenaires de l'Appel des 800, notamment sur Télérama.fr.

Calais, 17 novembre 2015, par Catherine Corsini (cinéaste)

C’est la deuxième fois que je me rends à Calais. J'ai trouvé le camp encore plus à l’abandon que la première fois où nous y étions allés début novembre, même si quelques épiceries de fortune ont poussés ici ou là, à côté de tout petits restaurants sous tente.

Les migrants rencontrés sont plus résignés, ils se rendent compte que c’est devenu quasi impossible de rejoindre l’Angleterre. Silence. Ils se demandent ce qu’ils vont pouvoir faire.

Il y en a un dont la tente s’est envolée. Il parle un anglais impeccable. Il vient d’arriver, il travaillait pour une boite américaine. Il prend le temps de nous raconter son périple, les kilomètres parcourus, sa surprise de se retrouver bloqué là.

Un réfugié syrien, qui était conducteur de camion, nous parle de son pays et des raisons pour lesquelles il est parti. Les attentats là-bas menés par Daech, la violence du régime Syrien, les bombes de Poutine. Il a bien conscience que depuis les attentats parisiens, ça va être encore plus dur pour lui.

Un jeune de 22 ans nous raconte que chaque fois qu’il appelle chez lui, c’est pour apprendre de mauvaises nouvelles, la mort d’un parent, d'un ami.

On se réfugie dans un des cafés à cause de la pluie. Le terrain devient boueux. La pluie tombe dans le café à travers le toit en plastique. La lumière s’éteint, le générateur n’a pas tenu et a coupé la vieille télévision qui diffusait un film indien.

Plus loin, une Anglaise a installé une caravane, elle vient une semaine par mois, pour aider. Elle distribue des médicaments contre la toux, elle n'a pas d'antibiotique.

A côté, une queue se forme. Des personnes qui viennent chercher des chaussures.

On croise à plusieurs reprises des policiers qui font un tour dans le camp. Ils déambulent goguenards. La première fois, ils ne veulent pas nous parler, mais, à la deuxième rencontre, on réussit à engager la conversation. Ils sont choqués que certaines migrants aient des portables. On leur explique que c’est le dernier lien qui leur reste avec leur pays et que nombre d'entre eux avaient, par ailleurs, de bonnes situations chez eux.

Un chauffeur de taxi nous raconte qu’il y quelques mois, il y a eu un viol à Calais. Les migrants ont immédiatement été accusés. Jusqu'à ce que, après enquête, on apprenne que c'était un Calaisien.

Je pense à ce magnifique film de Fritz Lang, Fury, avec Spencer Tracy accusé à tort et brulé vif par une foule haineuse...

Je remarque qu’il y a beaucoup moins d'associations sur le terrain que la première fois. Il semble que ce soit à cause d'une circulaire gouvernementale qui encadre l'entrée des ONG dans le camp.

Les travaux pour l’aménagement du futur camp de 1 500 places se poursuivent. Plus loin, des ouvriers municipaux creusent une tranchée, car le débit d'eau est trop faible.

On repart en laissant le camp sous une pluie battante, avec des vents de 140 km/heure. Le camp est en train de devenir un champ de boue.

Vendredi, trois jours plus tard, le froid arrive.

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