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DESINTOX

Non, le FN n’a pas bloqué le PNR européen au Parlement

Selon la droite, le FN serait responsable d'avoir empêché la mise en place d'un registre des passagers des compagnies aériennes européennes. C'est faux, et c'est le résultat d'une grosse confusion
par Pauline Moullot
publié le 4 décembre 2015 à 15h44

INTOX. Après les attentats du 13 novembre, l'exécutif a de nouveau tapé du poing sur la table. Cette fois, il serait temps de mettre en œuvre le PNR (Passenger Name Record) européen. Ce «registre des noms des passagers» vise à harmoniser la collecte des données recueillies par les compagnies aériennes lors de la réservation d'un vol pour permettre aux services de renseignements européens de détecter et prévenir des risques terroristes.

Présenté par la Commission européenne en 2011, la proposition n'a toujours pas été votée, «bloquée» au Parlement européen depuis trois ans. Et les responsables de droite de pointer la responsabilité du Front national qui aurait «voté contre» ou participé à «bloquer» le PNR. Valérie Pécresse a déclaré mercredi 2 décembre sur BFMTV : «Le Front national est une imposture […] le passenger name record est bloqué à cause du FN et de la gauche nordique». Une affirmation répétée jeudi soir par Christian Jacob lors d'un meeting de la candidate LR en Ile-de-France.

DÉSINTOX. Que le FN soit effectivement opposé au PNR ne fait aucun doute. Le parti dénonce une mesure attentatoire aux libertés publique et inefficace. Mais l'affirmation selon laquelle le parti est responsable du blocage du projet au niveau européen est en revanche inexacte. Le PNR européen n'a d'abord jamais été directement soumis au vote du Parlement en séance plénière.

Le seul moment où le PNR européen a en effet été bloqué remonte à avril 2013. La commission des libertés civiles du Parlement, où les libéraux et les verts sont très présents, avait rejeté la proposition à 30 voix contre 25 au nom de la protection des données personnelles. A l’époque, aucun des trois élus FN du Parlement européen ne siégeait au sein de cette commission. Difficile dès lors de leur imputer le blocage. En revanche, l’eurodéputée PS Sylvie Guillaume, qui était bien présente, avait voté contre, conformément à la position d’alors du groupe des Socialistes et démocrates (S&D).

Après les attentats de janvier, la France relance le débat sur le PNR européen. Le projet repasse le 15 juillet devant la commission des libertés civiles où il est cette fois approuvé. Ce qui vaut feu vert pour le début des négociations sur le texte. Là encore, le FN, qui n'a pas de membres permanents au sein de la commission n'a pas pris part au vote. L'eurodéputée PS Sylvie Guillaume a voté contre non sans se féliciter après dans un communiqué du vote… favorable de la commission. Les discussions tripartites entre le Parlement, la Commission et le Conseil ont débuté le 24 septembre. Un accord devrait être trouvé d'ici la fin de l'année, et le texte devrait ensuite être présenté au Parlement début 2016.

Bref, le FN n'a eu aucune influence sur le parcours du projet. La confusion vient de deux choses. D'abord, car les députés FN se sont bien prononcés sur deux résolutions du Parlement appelant notamment à «finaliser la directive PNR» (s'abstenant en février et votant contre en juillet), mais celles-ci n'étaient pas juridiquement contraignantes. «Même si les résolutions avaient été rejetées, cela n'aurait eu aucun impact sur le devenir du PNR», précise Jan-Philipp Albrecht, député vert allemand et vice-président de la Commission des libertés civiles.

Ensuite, parce que les eurodéputés ont aussi été appelés à se prononcer sur des accords d'échange de données sur les passagers aériens avec des pays tiers, comme les États-Unis ou le Canada. Des sujets qui n'ont rien à voir avec le PNR européen, comme l'explique Jan-Philipp Albrecht :«le PNR de l'Union européenne dont on discute en ce moment ne concerne pas les transferts et encore moins la réciprocité du PNR avec les Etats-Unis. C'est un projet intra-européen».

L'accord PNR entre l'UE et les Etats-Unis avait été voté par le Parlement européen le 19 avril 2012. Bruno Gollnish, alors seul membre du FN à avoir voté (les deux autres élus FN de l'époque Marine et Jean-Marie Le Pen n'étant pas présents le jour du scrutin) avait voté contre. Mais n'avait rien bloqué, le texte ayant été adopté à une large majorité avec 409 voix pour contre 226 et 33 abstentions.

Quant à l'accord avec le Canada, il a aussi fait l'objet d'un vote en novembre 2014. Les députés européens ont adopté une résolution demandant la saisine de la Cour de justice avant de soumettre l'accord au Parlement. Il s'agit de voir si le projet est conforme aux traités et à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La résolution a été votée largement (383 voix pour, 271 voix contre, et 47 abstentions) avec les voix du FN. Elle a pour effet de différer l'adoption de l'accord PNR avec le Canada, mais n'a pas eu d'impact sur le PNR européen.

Il semble que le FN (volontairement ou par ignorance) fasse une confusion totale entre les deux sujets distincts que sont le PNR européen actuellement en discussion et les PNR avec les pays tiers. Ainsi, quand le débat sur le PNR de l'UE a été relancé par les attentats de janvier, le FN s'était fendu d'un communiqué justifiant son opposition… au PNR avec les Etats-Unis, pourtant déjà voté. «Différents supports média et personnalités politiques critiquent, sans un mot d'explication, le fait que les élus du Front National n'aient jamais voté au Parlement européen en faveur de la transmission des données privées des passagers PNR. La raison en est simple : outre que tout ceci va à sens unique, c'est-à-dire au bénéfice exclusif des États-Unis, il n'est pas question d'attenter à la souveraineté de la France et des autres pays européens par un fichage généralisé de leurs concitoyens sous couvert de lutter contre le terrorisme islamiste ».

Et aujourd'hui encore, on entend des responsables du FN critiquer le projet du PNR européen… en dénonçant la transmission des données des passagers aériens européens aux Etats Unis. Ce qui n'a rien à voir avec le sujet. C'est notamment ce que Nicolas Bay affirmait sur itélé il y a quelques jours.

Le 25 novembre, sur BFM TV, Florian Philippot utilisait le même argument, déplorant le fait que le PNR revenait à «obéir aux États-Unis». «Ce sont les États-Unis qui ont besoin de ça parce que pour aller aux États-Unis, essentiellement il faut passer par l'avion aujourd'hui, ça, c'est certain, mais pas pour l'Europe.»

Difficile d'être plus à côté de la plaque.

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