Attentats à Paris: Avec la réouverture de la Bonne Bière, «l’ambiance du quartier a changé en un instant»

Attentats à Paris: Avec la réouverture de la Bonne Bière, «l’ambiance du quartier a changé en un instant»

REPORTAGELe bar-restaurant de la rue du Faubourg du Temple a accueilli ses premiers clients ce vendredi matin, en attendant Le Carillon et Le Petit Cambodge...
Nicolas Beunaiche

Nicolas Beunaiche

C’est un quartier qui n’a pas vraiment de nom, même si la mairie et les annonces immobilières continuent de l’appeler « Hôpital Saint Louis/Faubourg du Temple ». Le vendredi 13 novembre, ses habitants se sont pourtant trouvé un triste point commun, lorsque des terroristes ont pris pour cibles trois de leurs institutions des 10e et 11e arrondissements : le Carillon, le Petit Cambodge et la Bonne Bière.



Alors, quand cette dernière a annoncé qu’elle rouvrirait ce vendredi, après trois semaines de deuil, nombre d’entre eux se sont dit qu’ils n’avaient d’autre choix que d’y venir y manger un bout, y boire un café ou un demi. Pour « leur montrer qu’on est plus forts qu’eux » et « refaire vivre ce quartier, rebondir, repartir », pour reprendre les mots d’Audrey Billy, la gestionnaire de l’établissement, ce vendredi matin.

« A l’entrée de la Bonne Bière. pic.twitter.com/jZSgmCq7BJ — Nicolas Beunaiche (@NBeunaiche) December 4, 2015 »

« Nous, ça nous enlève un poids »

Il est à peine 10h et les commerçants sont là, comme Ahmed, le boulanger d’en face, venu voir des amis en terrasse. « Ici, depuis trois semaines, tout est noir, même en pleine journée, raconte-t-il. C’est donc important de rouvrir pour redonner de la vie au quartier. » Quelques mètres plus loin, Kader et Mohamed, les fleuristes, rayonnent. « C’est comme si tout avait changé en un instant, s’enthousiasme Mohamed. J’avais hâte que la Bonne Bière rouvre, parce que l’ambiance était devenue pesante. » Et tant pis si la clientèle qui leur achetait des fleurs pour les déposer à l’endroit où cinq personnes ont péri s’est dispersée. « Nous, ça nous enlève un poids », dit Kader.


Snejana, qui habite au 35 de la rue du Faubourg du Temple, est là aussi. « Mon fils m’a dit de ne pas venir, mais je l’ai fait quand même, comme tous les matins avant les attentats », explique-t-elle, malgré la « peur » que tout recommence. Demain, elle reviendra donc, « sans le dire à [son] fils » cette fois. Puis après-demain et les jours suivants, pour « vivre comme d’habitude ». Elle y retrouvera sûrement son ami et voisin, Markovic, qui habite au 33 de la rue depuis 42 ans. « Je viens tout le temps à la Bonne Bière, parfois avec mon petit-fils », explique-t-il, avant de digresser sur les résultats scolaires et les talents de judoka de sa descendance. Sa manière à lui de reprendre pied, peut-être.

Une collecte pour la Bonne Bière

Ce vendredi matin, ils croisent d’autres habitués du bar venus de quartiers voisins de la capitale. Jean-Claude, venu de Belleville parce que « c’était plus fort que [lui] », Adélaïde, d’une rue proche du Bataclan, pour « montrer qu’on ne vit pas dans la peur », ou encore Violaine, descendue depuis les Buttes-Chaumont pour boire son « café de la liberté ». Dmitri Mohamadi, le patron de la pizzeria Casa Nostra, est lui aussi présent en terrasse, même s’il ne veut pas s’exprimer.

Mais alors que les journalistes se dispersent, les habitants songent déjà à l’après. Le sort réservé au mémorial improvisé devant le bar les préoccupe notamment. Pour le moment, aucune décision n’a été prise, précise Audrey Billy, en contact avec la mairie. Mais le sujet va évidemment revenir sur le tapis, sous la pression de quelques habitants qui vivent mal l’atmosphère de deuil dans leur quartier. Pas certains, donc, que ceux-ci participent à la collecte lancée par Nora et Mehdy, deux riverains. Grâce aux dons, ils souhaitent tout simplement offrir « un ou deux pots de terrasse, composés de bambous, symbole de force et de résistance » à la Bonne Bière, dès samedi à 11h30. L’occasion, aussi, de boire un verre tous ensemble.

En attendant le Carillon et le Petit Cambodge

Et après ? En parallèle à la réunion hebdomadaire de riverains souhaitant parler ensemble des événements, certains habitants du quartier veulent construire des passerelles entre les gens. Près du Carillon et du Petit Cambodge, Stéphane, du Bistro des oies, et Hélène, du magasin Objet céleste, ont imaginé des guirlandes de fanions bariolés entre les immeubles des rues Alibert, Bichat et Marie-Louise. Leur objectif : les suspendre dans quelques jours.

« On essaie de faire ça sans faire trop de bruit, en s’appuyant notamment sur les écoles, explique Stéphane. La seule contrainte, c’est que les guirlandes devront être suspendues à au moins huit mètres de hauteur, pour permettre aux camions de pompiers de passer. » Pourraient-elles aller jusqu’à la Bonne Bière ? Stéphane attend de pouvoir mesurer la mobilisation du voisinage pour le savoir. Mais il ne s’interdit rien. Une réunion, dont l’horaire sera annoncé sur Facebook à ceux qui sauront trouver le bon lien, est en tout cas prévue samedi.


Page Facebook des habitants du quartier du Petit Carillon et du Petit Cambodge. - FACEBOOK

Dans ce quartier qui se relève à peine des attentats, l’initiative ne fait pourtant pas l’unanimité. « Tous les voisins ne sont pas d’accord, ils ont l’impression qu’ils vont vivre la période de deuil en permanence », glisse-t-il. Il y a quelques jours, c’est d’ailleurs à la demande d’une partie d’entre eux que les agents de la ville de Paris sont intervenus pour réduire la taille du mémorial installé devant le Carillon et le Petit Cambodge.

Le maire PS du 10e arrondissement, Rémi Féraud, avait alors fait le déplacement pour s’expliquer : « On est dans un bon compromis qui n’efface pas ce qu’il s’est passé, qui permet aux gens de venir se recueillir, mais aussi au quartier de retrouver un début de vie normale. »

« Le mémorial devant le Petit Cambodge après le passage de la Propreté de Paris mardi. pic.twitter.com/YTuBH8X7U2 — Nicolas Beunaiche (@NBeunaiche) December 4, 2015  »

Pour que la vie reprenne son cours, il faudra de toute façon encore attendre quelques semaines. Le Carillon devrait en effet rouvrir ses portes « peut-être avant la fin décembre, peut-être en janvier », Le Petit Cambodge « mi-janvier ». On peut parier, sans prendre trop de risques, que leurs voisins seront au rendez-vous.