Tuerie en Californie : les médias américains ont-ils détruit en direct une scène de crime ?

Une cinquantaine de journalistes ont pu visiter et filmer l’appartement où résidait le couple responsable de la tuerie en Californie, à l’invitation du propriétaire du lieu. Dévoilant des informations possiblement confidentielles ou interdites à la télévision comme des pièces d’identité, les médias ont pour la plupart pris conscience de la situation problématique, avant de rendre l’antenne dans la confusion. Depuis, le FBI a pourtant affirmé que les médias n’avaient enfreint aucun règlement en pénétrant dans l’appartement.

Par Gaétan Mathieu

Publié le 05 décembre 2015 à 04h47

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h04

«Ils ont transformé une scène de crime d’un massacre terroriste en vide-grenier ! ». Incrédule et impuissant, l’expert judiciaire de CNN assiste en direct à la télévision à la visite de l’appartement du couple qui a ouvert le feu mercredi en Californie, et tué au moins quatorze personnes. Quelques minutes plus tôt, la chaîne américaine d’info en continu annonce à coup de « Breaking News » qu’une caméra s’apprête à entrer dans l’appartement des terroristes. La journaliste de CNN passe la porte d’entrée, puis commente dans les moindres détails ce qu’elle voit, entassée dans le minuscule appartement avec les caméras de MSNBC et Fox News, entre autres. Tels des enquêteurs, les journalistes fouillent l’appartement en quête d’indices qui lieraient les deux tueurs à Daech. Zoom sur les aimants du frigo, les jouets pour enfants, un morceau de pain, et, plus intéressant pour les caméras, des post-it laissés par la police qui indiquent où se trouvaient les armes, des textes religieux et un livre de prières en arabe. Sur MSNBC, on n’hésite pas non plus à montrer en gros plan, et sans aucun floutage, le permis de conduire d’une personne qui semble être la mère d’un des deux terroristes. Quelques minutes plus tard, le direct depuis l’appartement est arrêté.

Sur CNN, la visite se poursuit jusqu’à ce qu’Anderson Cooper, journaliste-star de la chaîne, manifestement gêné les images diffusées par sa chaîne, interroge sa collègue présente sur place. « C’est une situation assez bizarre. Pour être très clair, la police ne va plus enquêter dans l’appartement et c’est le propriétaire qui vous a laissé entrer ? » La journaliste élude la question et affirme que le propriétaire a ouvert la barricade en bois posé par la police à l’aide d’un pied de biche et d’une perceuse. « La police en a fini avec cet appartement », conclut-il, sans en être vraiment convaincu. Quelques secondes après ses explications partielles, CNN arrête son direct.

Interloqué, Anderson Cooper reprend la main et interroge Harry Houck, un expert de la police, qui, la bouche ouverte devant le choc des images, s’en prend à la chaîne qui le diffuse. « Ce que je vois me donne des frissons de le dos. Clairement, cet appartement est plein d’indices. Maintenant, vous avez des centaines d’empreintes digitales extérieures. Peut-être la police n’avait pas laissé les écriteaux "scènes de crimes" devant la porte », explique-t-il sans en être vraiment persuadé. « Il y a des dizaines de personnes qui en ce moment même sont en train de détruire une scène de crime qui peut être vitale pour l’enquête, car on ne sait pas encore combien de personnes ont pu participer au massacre. Si la police regarde la télévision, j’espère qu’ils sont en chemin pour mettre fin à ça ».

Après que l’incident ait choqué de nombreux téléspectateurs, plusieurs chaînes de télévision ont supprimé de Twitter les photos de l’appartement tweetées par leurs journalistes, puis affirmé que la police avait donné l’autorisation au propriétaire de reprendre le contrôle de l’appartement. Une version rapidement démentie par la police locale, puis néanmoins accréditée par le Département de Justice américain, qui a confirmé que le FBI n’enquêtait plus dans l’appartement, et n’avait pas donné accès au propriétaire au garage, où se trouvaient encore des informations confidentielles. « Une fois que l’on rend le lieu au propriétaire, ce n’est plus à nous de décider qui peut y avoir accès », a rappelé David Bowdich, assistant-directeur du FBI à Los Angeles, lors d’une conférence de presse vendredi en début d’après-midi. Une explication qui a étonné plus d’un média américain, alors que des passeports et autre papiers d’identité se trouvaient toujours dans l’appartement.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus