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Libération
Reportage

A Marseille, «pour ou contre le FN, c’est ça le programme de la gauche ?»

Régionales 2015dossier
En région Paca, où  l’extrême droite est en tête des sondages, les électeurs PS sont lassés d’être tiraillés entre le vote utile et leur envie d’exprimer leur déception face au gouvernement.
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 4 décembre 2015 à 18h36

Il fallait que ça sorte. Non, elle ne prendra pas le tract que lui tendent les militants socialistes, en patrouille ce matin-là dans les allées du marché paysan. Elle a même crié son refus un peu fort, la cliente du maraîcher. Suffisamment pour que les têtes se tournent. «Je suis tellement en colère contre les socialistes ! Valls, Macron, pour moi, c'est la droite ! Autour de moi, on votera Front de gauche !» «Eh bien, quand le FN passera…» entame une militante PS. Une autre cliente l'interrompt : «Moi, j'ai toujours été de gauche et là, avec votre politique sécuritaire, je ne m'y retrouve plus.» «Et pour le second tour ?» tente la militante. «Démerdez-vous !»

Des déçus, mais aussi des indécis, des affolés, des perdus pour les urnes… Christophe Madrolle, chef de file départemental des Bouches-du-Rhône de la liste PS et de ses partenaires, en croisera beaucoup ce jour-là dans ce bastion bobo du centre-ville de Marseille.

«Addition». Là-bas, comme partout dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (Paca), les électeurs de gauche ont vécu cette campagne avec la boule au ventre et un gros point d'interrogation dans la tête : quelle stratégie suivre pour porter leurs idées au-delà du premier tour, quand tous les sondages attribuent des scores écrasants à Marion Maréchal-Le Pen (FN) dans leur région ?

Dans leur balance, l'option jusqu'au-boutiste portée par la liste Région coopérative de Sophie Camard (Europe Ecologie-les Verts) et Jean-Marc Coppola (Front de gauche) ou celle, pragmatique, représentée par la liste de Christophe Castaner (PS). «Impossible de trancher, confesse Rémi, 34 ans. D'un côté, tu as la politique du gouvernement, le ras-le-bol des affaires du PS local… Et de l'autre, la perspective du FN pour six ans - ou Estrosi, pas mieux ! Je change d'avis à chaque pote croisé. Et c'est usant.» Christophe Madrolle comprend le dilemme, mais n'en démord pas : «Je l'ai dit dès le départ, je ferai tout pour battre le Front national. C'est aux électeurs de décider et, surtout, de se mobiliser quel que soit leur choix. Au premier tour, tout vote à gauche est utile. C'est l'addition de nos scores respectifs qui donnera la dynamique du second tour. Et notre liste sera la colonne vertébrale de ce rassemblement.»

Si rassemblement il y a : la possibilité d'un désistement républicain du PS au profit de LR en cas de triangulaire au second tour a refroidi nombre de partisans : «Hors de question que je vote Estrosi ! Je suis de gauche, je ne peux pas voter à droite», a tranché Thibaud, 44 ans. Ce dimanche, il votera socialiste, abandonnant pour la première fois son bulletin communiste : «C'est un réflexe de survie. Chaque voix compte. De façon très cynique, dans une société de droite imbibée par le discours du Front, il faut les attaquer par la droite de la gauche. C'est soit le refus total de vote, soit un qui permette de faire évoluer les choses. Mais je ne suis même pas convaincu de ce que je dis…» «On commence à avoir l'habitude d'être déchiré entre voter pour ce que l'on croit ou pour le moins pire, se désole Sandrine, 41 ans. Je ne sais pas comment on se soigne de ça.» C'est pour tenter de faire son choix qu'Hélène s'est rendue, mardi soir, au meeting de la liste Camard-Coppola (EE-LV-FG) : «Je suis tiraillée entre les Verts et le PS. A priori, je vais voter Castaner, mais je voulais me rassurer un peu et voir des gens mobilisés avec les écologistes.» Les prises de parole vont commencer, c'est l'heure de remballer pour la fanfare de Marie, qui assurait l'animation : «Moi, j'en ai ras le cul de voter contre plutôt que de voter pour ! s'emporte-t-elle. On n'a même plus le choix. Je me suis surtout posé la question d'y aller ou pas !» Ce sont ces «ras-le-bolistes» tentés par l'abstention que l'écologiste Sophie Camard veut rallier : «Quand la situation devient trop compliquée, on revient à des choses basiques : on vote pour ses idées.»

Survie locale. Autre argument de poids, la garantie de se maintenir au second tour si sa liste, créditée aujourd'hui de 8 % dans les sondages, dépasse la barre nécessaire des 10 %. Et ce, quoi qu'il arrive. «Qui peut imaginer que monsieur Estrosi représente l'alternative ou le barrage au Front national ? argumente-t-elle à la tribune. Qui peut imaginer une région désertée par la gauche et les écologistes jusqu'en 2021 ?»

Car l'autre enjeu est bien la survie locale d'une gauche déjà largement évacuée des départements depuis les élections de mars : «Dans le Var, il n'y a plus aucun conseiller départemental et qu'un seul binôme dans les Alpes-Maritimes… A l'avenir, pour ou contre le FN, c'est ça, le programme de la gauche ?» A la sortie du meeting, Johan hésite encore : «Bien sûr qu'intellectuellement, les écologistes et le Front de gauche ont raison… Sauf que ça mènera le FN au pouvoir. Honnêtement, heureusement qu'il y a deux tours, ça nous laisse encore un peu temps de temps avant de se confronter au pire.»

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