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Sciences Po est-il au niveau ?

Ecole historique des élites, Sciences Po tient toujours son rang. Mais l’IEP parisien peine à s’imposer dans le top des universités mondiales, et échoue dans la bataille de la diversité sociale.

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Publié le 01 décembre 2015 à 17h29, modifié le 07 décembre 2016 à 19h15

Temps de Lecture 6 min.

L'entrée de Sciences Po, rue Saint-Guillaume à Paris.

La « grande école » ne connaît pas la crise : « Riche de sa communauté plurielle… Sciences Po attire un public toujours plus large, conjugue une forte sélectivité et la plus grande diversité possible, géographique autant que sociale », éditorialise Frédéric Mion, directeur de l’IEP de la rue Saint-Guillaume dans le dernier bilan d’admission de l’établissement (2014).

A l’en croire, 2012, annus horribilis de l’Institut d’études politiques parisien, marquée par le décès de son charismatique président Richard Descoings et par la dénonciation de la Cour des comptes d’une gabegie d’argent public de la part de ses dirigeants, serait loin derrière. Même si « l’affaire Sciences Po » vient de se rappeler à son souvenir avec la condamnation, vendredi 4 décembre, de Jean-Claude Casanova, président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP).

Les chiffres sont pourtant têtus : en 2014, Sciences Po Paris a subi une baisse de 7,4 % du nombre de candidats, tandis que les admissions ont fait un bond en avant de près de 10 %. La sélectivité qui a fait de l’établissement une antichambre de la réussite est-elle toujours au rendez-vous ? La question se pose, surtout que les droits de scolarité de l’établissement, fixés en fonction des revenus du foyer, peuvent atteindre 13 820 euros par an, soit le tarif des écoles de commerce les plus recherchées.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés L’ombre de Richard Descoings au procès de la gestion de Sciences Po

« Sciences Po Paris attire toujours et encore plus de candidats », affirme un membre de la direction de l’école. Pour preuve, les chiffres d’admissions de l’année 2015 repartent à la hausse. Ils sont 8 672 à s’être présentés, soit 362 de plus que l’année précédente. En effet, les jeunes qui se pressent à la porte de l’école sont plus nombreux et ceux qui sont admis encore plus. Le taux de sélectivité s’érode lentement : seulement 17 % des candidats décrochaient une place en 2013. Ils étaient plus de 19 % en 2014 et sont plus de 20 % en 2015.

Le niveau académique des recrues demeure « excellent », défend un membre du jury de sélection. Le ratio candidats/admis reste « épouvantablement sélectif », précise Marc Germanangue, enseignant. A titre de comparaison, intégrer Sciences Po est aussi ardu que réussir sa première année de médecine, dont le taux de sélection était en 2015 équivalent.

Une école de catégorie A

Une fois dans les murs, les étudiants suivent les deux axes de développements de l’école : l’international et l’employabilité. Une année du cursus se déroule à l’étranger, près de 40 % des étudiants sont recrutés hors de l’Hexagone et les sept antennes régionales ouvertes par l’école modèlent leurs enseignements selon une sensibilité géographique. « Richard Descoings a dépoussiéré une institution franco-française, alors antichambre des institutions publiques et parapubliques, pour l’ouvrir aux entreprises et aux échanges internationaux », analyse Guillaume Pican, directeur associé de Page Executive, spécialiste du recrutement des cadres dirigeants.

A la sélection de ses étudiants, Sciences Po Paris ajoute la « mastérisation » de son cycle d’étude principal, offrant une meilleure visibilité aux entreprises sur la valeur de ses formations. En créant des masters spécialisés, l’école s’est aussi mise en position de concurrencer les meilleures écoles de commerce françaises. « Sciences Po Paris est aujourd’hui classé parmi les établissements que les recruteurs nomment “une école de groupe A”, avec HEC, ESCP Europe ou l’Essec », certifie Guillaume Pican.

Qu’est-ce qui fait le succès des « sciences-pistes » (étudiants à Sciences-Po) parisiens et donc de leur école ? Les recruteurs apprécient autant la qualité de leur formation que la diversité des profils qui en sortent. « Un élève de Sciences Po possède un solide bagage culturel, une bonne élocution et une qualité rédactionnelle rare que l’on ne retrouve pas toujours dans les meilleures écoles de commerce », détaille François Moret, directeur des grands comptes chez Hays France & Luxembourg, un cabinet de recrutement. Les chasseurs de tête louent l’adaptabilité des candidats. « Des cadres dirigeants tous terrains aptes à naviguer facilement dans des environnements internationaux complexes, d’être à même d’analyser rapidement une situation et de prendre les bonnes décisions », décrit le directeur de Page Executive.

Fortes inégalités entre les sexes à la sortie

Et cela se vérifie dans les rémunérations. En moyenne, un élève de Sciences Po Paris est recruté à 45 000 euros annuels dans l’Hexagone. Mais la culture d’ouverture vers l’international permet à ses élèves de s’exporter à l’étranger. « A Singapour ou Hongkong, les premiers salaires grimpent entre 60 000 et 70 000 euros », souligne François Moret. Des salaires moyens qui masquent néanmoins de très fortes inégalités entre les sexes. Dans le secteur des ressources humaines, une femme issue de Sciences Po sera embauchée à 35 000 euros et un homme à 48 000 en France, selon Hays France. Des chiffres qui globalement recoupent ceux publiés par l’établissement le 23 juillet 2015.

A l’excellence académique et l’ouverture vers l’international, Sciences Po fournit à ses étudiants un réseau de connaissances nécessaire dans le monde de l’entreprise comme dans la fonction publique. « Le passage par Sciences Po constitue, d’un point de vue collectif, un moment de socialisation et d’homogénéisation de la classe dirigeante », analyse, dans une tribune, Nicolas Jounin, sociologue à l’université de Paris VIII Saint-Denis et ancien de l’école.

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Avec 781 étudiants étrangers en première année en 2015, jamais l’école n’avait aussi largement ouvert ses portes. Sciences Po serait ainsi devenu « un grand établissement international », assure, dans Le Monde, Michel Pébereau, ancien président de BNP Paribas et ancien président du conseil de direction. Toutefois, au regard des classements internationaux des grandes écoles et universités, l’établissement fait figure de cancre. En effet, le classement de Shanghai, qui considère en priorité la recherche sur les sciences dures, ne le mentionne même pas.

Un autre classement reconnu, l’édition 2015 du QS World University Rankings place l’institut à la 223e place mondiale, très loin derrière les élites que sont le Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis) et Cambridge (Angleterre). Il demeure un important écart entre la volonté de l’école de rivaliser avec les meilleurs et son potentiel en matière de recherche. En effet, si la qualité de la recherche dans les domaines phares de Sciences Po est reconnue, la quantité de publications laisse à désirer, au regard des critères retenus dans les classements internationaux.

La diversité sociale sans se presser

Enfin, principal point noir, l’incapacité de l’école à atteindre ses objectifs en matière de diversité sociale. En 2001, alors que la direction de l’école tente de faire oublier sa réputation d’établissement fermé, elle invente la très médiatique convention d’éducation prioritaire. L’idée est d’intégrer chaque année environ 150 lycéens des réseaux d’éducation prioritaire. L’un des objectifs est alors d’atteindre les 30 % d’étudiants boursiers en 2010-2011. Sciences Po, l’école des élites, se transformerait ainsi un ascenseur social.

Mais un rapport de la Cour des comptes révèle, en 2012, que l’objectif n’a jamais été atteint. Et, en 2015, ce n’est toujours pas le cas. Par ailleurs, l’analyse de l’origine socioprofessionnelle des étudiants montre que la proportion d’étudiants ayant un parent cadre ou exerçant une « profession intellectuelle supérieure » a augmenté au cours de la période récente, en passant de 58,5 % en 2005-2006 à 63,5 % en 2010-2011.

Cinq années plus tard, « nous sommes à 3 % de l’objectif », assure Bénédicte Durand, doyenne du Collège universitaire de l’école. A qui revient la faute de ce retard chronique en matière de diversité sociale ? « Le tri social se fait dès la classe de troisième et ne concerne pas seulement Sciences Po, avance la doyenne. Le problème ne serait pas tant de tirer les étudiants vers l’excellence que l’incapacité des établissements du secondaire à conduire les élèves issus de la diversité en capacité d’intégrer l’IEP parisien. »

Consultez notre dossier spécial « Intégrer Sciences Po », qui sera complété dans les prochains jours d’un zoom sur la meilleure façon d’y entrer.

Lire également : La Cour des comptes dénonce la gabegie de Sciences Po Paris

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