Vu de Londres

Quand le «Sun» bidonne sur les migrants

Dans le tabloïd londonien, un journaliste a fait croire qu'il avait traversé l'Europe par la route des réfugiés sans être contrôlé. La Croatie a révélé qu'il mentait.
par Sonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres
publié le 7 décembre 2015 à 14h04

Le célèbre tabloïd britannique The Sun, quotidien populaire le plus lu au Royaume-Uni, vient d'être pris en flagrant délit de bidonnage.

Dans son édition de samedi, le quotidien, l'un des fleurons de l'empire médiatique de Rupert Murdoch, affichait une double page annonçant «Six jours vers la terreur». L'histoire racontait le périple d'un journaliste à travers l'Europe, retraçant le voyage d'un réfugié, voire d'un terroriste en puissance. Le Sun ne cachait pas que le but de l'article était de «révéler comment l'Europe est largement ouverte au danger».

Emile Ghessen, ancien soldat de la Royal Marine reconverti depuis un an en journaliste, racontait avoir payé des trafiquants pour arriver en bateau en Grèce, avant de traverser toute l’Europe jusqu’à Paris. Il expliquait avoir traversé toutes les frontières, en train, sans un seul contrôle, et s’être caché dans les toilettes du train au moment de passer la frontière avec la Croatie. Malin, il précisait avoir laissé la serrure ouverte pour faire penser aux policiers croates que les toilettes étaient vides.

«Des menteurs»

Sauf que le gouvernement croate est tombé sur l'histoire et a vérifié. Emile Ghessen a été contrôlé en Croatie à deux reprises. Pour appuyer ses dires, le gouvernement croate a publié l'image scannée par ses douaniers du passeport d'Emile Ghessen. Et le ministre croate de l'Intérieur s'est fendu d'un communiqué expliquant que «cette histoire attaque la réputation de la police croate et aussi de la République de Croatie», avant de se féliciter d'avoir pu exposer «des menteurs», qui se prétendent «être des pseudo-journalistes».

«La police croate des frontières a enregistré le passage d'Emile Pierre Ghessen le 23 novembre à 14h10 au point-frontière de chemin de fer de Tovarnik, où il est entré en République de Croatie, puis le 24 novembre à 17h20, au poste frontière de l'aéroport de Zagreb, où il a quitté la république croate», a détaillé le communiqué du ministère croate de l'Intérieur.

Le Sun, dont la circulation est en perte de vitesse depuis un an mais qui vend encore 1,8 million d'exemplaires en moyenne par jour, ne s'est pas excusé. Il s'est contenté d'ôter de son site internet l'histoire en question, avant d'élégamment dégager en touche : «Le journaliste concerné n'est pas un membre du staff du Sun, mais un documentariste free-lance, dont le travail a été utilisé par plusieurs journaux et sites internet nationaux.»

Profil curieux

Après vérification, les journaux qui ont utilisé le travail d’Emile Ghessen, 34 ans, sont tous des tabloïds. Par ailleurs, le profil du journaliste, qui aurait été douze ans sergent dans les Royal Marine avant de travailler dans une société de sécurité puis, en 2014, de se convertir en reporter de guerre, est pour le moins curieux.

Dans un article paru dans le Daily Mail en octobre dernier, il affirme être d'origine syrienne et chrétienne du côté de son père et explique qu'une partie de sa famille est toujours en Syrie. Il ajoute avoir été à l'école primaire à Londres avec Mohammed Emwazi, le terroriste surnommé Jihadi John et tué lors de frappes le 12 novembre dernier. Il explique être en train de préparer un documentaire sur les Occidentaux venus se battre en Syrie contre l'Etat islamique.

Son profil LinkedIn ne fait aucune mention de l’école primaire en question. Quant à son documentaire, les extraits qui avaient été publiés sur YouTube n’étaient plus visibles ce lundi. Et ses comptes Facebook et Twitter ne sont plus accessibles.

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