La présidente du Front national Marine Le Pen lors de l'Université d'été du Front national à Marseille, le 6 septembre 2015

Plusieurs djihadistes francophones ont exprimé leur contentement après la forte progression du Front national aux élections régionales.

AFP Photo / Anne-Christine Poujoulat

"Toujours pas de communiqué de l'EI pour revendiquer et se réjouir des résultats d'hier soir..." Cette boutade, émise par un député PS au lendemain du premier tour des régionales sur Twitter, n'est peut-être pas si anodine. Elle illustre un débat qui commence à s'ouvrir au sein de la classe politique, au fil des élections. La montée en puissance du Front national, qui a obtenu près de 30% des voix dimanche, est-elle du pain bénit pour l'organisation Etat islamique?

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Le groupe terroriste n'a évidemment pas commenté publiquement les résultats. Mais certains de ses membres francophones ne cachent pas leur joie. Interrogé sur une possible victoire du parti frontiste par David Thomson, spécialiste du djihadisme, un partisan de Daech résume: "Ce serait une humiliation pour ces pseudo-musulmans de la République qui défendent les valeurs de la laïcité. Et les vrais musulmans, ça les poussera à faire la hijra [émigrer en terre d'Islam, comme la Syrie, NDLR]". Un autre qualifie le FN de "parti le moins hypocrite" et espère que certains vont "prendre conscience et plier bagage".

"L'EI se nourrit de la conception de laïcité du FN"

Dans cette sombre logique, la progression de l'extrême-droite, dont les positions sont réputées "dures" envers l'islam, pousserait les musulmans à se sentir davantage stigmatisés. Un sentiment qui pourrait inciter les modérés à se replier sur eux, à durcir leur pratique de la religion puis à quitter la France pour un pays où ils se sentiraient plus libres pour vivre leur foi. Une aubaine pour Daech, qui cherche à recruter pour son califat. "Le postulat de l'EI se nourrit de la conception à sens unique de la laïcité du Front national qui consiste, sinon à chasser les musulmans, au moins à les appeler à faire profil bas en ne leur laissant aucune place possible pour exprimer leur croyance", observe le journaliste Nicolas Hénin, auteur de Jihad Academy (Fayard, 2015).

En témoignent, par exemple, les pressions du maire FN de Fréjus, David Rachline, qui se bat contre l'ouverture d'une mosquée dans sa commune. Nicolas Hénin, par ailleurs ancien otage de l'EI, ajoute: "Pour les djihadistes, le FN a raison quand il dit 'la France aux Français'. Selon eux, les musulmans n'ont rien à faire dans une société occidentale comme la France, jugée terre de mécréants. L'EI a tout intérêt à ce que les musulmans se sentent de plus en plus mal à l'aise."

"Le discours islamophobe légitime le discours de l'EI"

Pour plusieurs spécialistes, il existe un lien de dépendance entre les extrêmes, politique et religieux. Lesquels s'alimenteraient entre eux à travers leurs idées discriminatoires. "Le discours islamophobe légitime le discours djihadiste de l'EI qui lui-même légitime le discours islamophobe. Cela fonctionne comme un cercle vicieux", note le sociologue Samir Amghar, auteur de Le Salafisme d'aujourd'hui (Michalon, 2011). Pour le chercheur, l'organisation terroriste pourrait ainsi profiter de la montée du FN pour inciter, en réaction, ses fidèles à commettre des attentats en France. Et par contrecoup, à créer un climat d'insécurité propice au parti frontiste. D'autant que, après le chômage, la menace terroriste arrive en seconde position dans l'explication de vote des régionales.

Sur le plan idéologique aussi, poursuivent les spécialistes, le FN et l'EI partagent quelques valeurs communes mêmes s'ils sont, en apparence, radicalement opposés. "Il y a la même méfiance envers la mondialisation, une certaine vision conservatrice...", énumère Samir Amghar.

Un rapprochement qui fait bondir Aymeric Chauprade. Pour l'eurodéputé, qui vient de quitter la formation d'extrême-droite, il est inconcevable de mettre sur le même plan son ancien parti et le groupe djihadiste. "Oui, le Front a grandi sur la question identitaire. Mais il cherche à faire baisser le communautarisme là où Daech veut la guerre civile et monter la communauté musulmane contre les autres." L'élu reconnaît toutefois "une faiblesse programmatique" du FN sur la question de l'intégration des musulmans en France.

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