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Climat

La COP21 joue à la «roulette russe»

COP21dossier
Plus que 48 heures pour conclure l'accord de Paris, qui vise à endiguer le réchauffement planétaire mondial.
par Christian Losson et Isabelle Hanne
publié le 9 décembre 2015 à 19h43
(mis à jour le 9 décembre 2015 à 20h42)

Voici un nouveau texte d'accord à la COP21: une nouvelle version «nettoyée», selon Laurent Fabius, à laquelle ont été rajoutées les avancées des ministres cofacilitateurs. Elle a été présentée mercredi aux 195 pays signataires de la Convention climat de l'ONU (CCNUCC). Le chef de la diplomatie française s'est félicité que ce nouveau brouillon d'accord fasse «29 pages au lieu de 43», et que «par rapport à la version antérieure», il y ait «une réduction des trois-quarts du nombre des points entre crochets». «C'est nettement mieux, donc, mais c'est encore trop», a conclu le président de la COP, qui a laissé jusqu'à mercredi 20 heures aux délégués pour qu'ils prennent connaissance du texte.

Des avancées et des «points politiques à trancher»

La transparence, l'adaptation aux impacts du changement climatique, les forêts, les moyens de coopération, les transferts de technologies et le préambule semblent avoir progressé, avec des propositions plus tranchées qu'avant et des paragraphes moins ambigus. «Bien entendu, la règle entre nous, c'est que rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé», a voulu rassurer Fabius. Tout en reconnaissant que «certains points politiques importants rest[ai]ent à trancher» : la différenciation (les efforts à fournir par les pays selon leurs moyens et leurs responsabilités dans le changement climatique), le niveau des financements et leurs moyens de mise en œuvre, et l'ambition de l'accord, c'est-à-dire son objectif de long terme. Soit trois articles fondamentaux de l'accord de Paris.

A quarante-huit heures de l'adoption espérée de ce texte, prévue vendredi, rien n'est joué. «L'ambition finale reste entre crochets : il y a encore trop d'options très ambitieuses, peu ambitieuses ou pas du tout ambitieuses, qui restent sur la table», affirme Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot.

«Dès l'instant où tous les paragraphes sont liés, tout ne peut se débloquer que dans la dernière ligne droite», avance Pierre Radanne, grand connaisseur de ces négociateurs et fondateur du bureau d'études Futur Facteur 4. Les ONG du Réseau action climat (RAC) parlent pour l'instant «d'accord au rabais». Pour leur porte-parole, Célia Gautier, le texte contient des propositions «injustes, incapables de nous mettre sur la voie du 1,5°C ou 2°C», limite d'augmentation des températures mondiales par rapport à l'ère préindustrielle que vise l'accord. Le brouillon de texte ne donne pas clairement les moyens de réaliser l'ambition du 1,5°C ou 2°C  : les cycles de révision à la hausse des ambitions des pays, les contributions nationales, sont encore très imprécis et pas contraignants.

Financements et objectif de long terme

La question du niveau de financement reste entière. Selon le RAC, «les engagements qui permettraient de garantir des financements climat, prévisibles et croissants après 2020, sont toujours entre crochets. Et ce malgré leur importance pour mettre de l'huile dans les rouages de l'ambition des Etats et pour protéger les plus vulnérables.» 

L'objectif de long terme, lui, hésite entre une formule très ambitieuse, apparue dans cette nouvelle version du texte - entre 70 et 95% de réduction d'émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport aux niveaux de 2010 -, ou des formules floues comme la «neutralité carbone». Cette dernière proposition «ne veut rien dire», a insisté Jean-François Julliard, de Greenpeace. «Le texte ne donne pas un signal fort de la sortie des énergies fossiles et de la transition énergétique. On se dirige vers un engagement de papier», poursuit-il. 

«Il y a tellement d'options qu'il est encore difficile d'avoir un avis sur le texte, reconnaît Céline Charveriat, d'Oxfam. La bonne nouvelle, c'est que la France tente de peser pour conserver un réel niveau d'ambition de l'accord. La mauvaise, c'est que tout cela peut s'effondrer dans les heures qui viennent pour arriver à un deal low-cost. C'est une négociation roulette russe.»

Discussions feutrées

Pourtant, ni coup d'éclat, ni coup de gueule des pays les plus vulnérables, en première ligne des changements climatiques, et qui poussent pour l'accord le plus ambitieux possible. Rien ne dépasse de cette COP21, en apparence extrêmement fluide. Les discussions se font à huis clos, en bilatérales et sans observateurs. Les plénières sont retransmises sur écran, mais la diplomatie y est de mise. Mardi soir, tous les délégués, même ceux habituellement virulents (la Malaisie, le Vénézuela…), n'ont fait que féliciter la présidence française pour la bonne organisation, «l'inclusivité», et la «transparence» de ces négociations.

«Il y a eu plus d'une quinzaine de réunions à haut niveau cette année, rappelle Ahmed Djoghlaf, coprésident de la plateforme qui a préparé le texte depuis Durban, en 2011. Les zones de convergence existent. Mais dans ces négociations, il y a du marchandage. La tâche n'est pas insurmontable, et chaque pays sait ce qu'il a à donner, et ce qu'il a à prendre.»

Laurent Fabius a averti que les ministres allaient devoir travailler «cette nuit et demain»«Cela doit être les vingt-quatre heures les plus utiles de ces six dernières années, depuis Copenhague», a affirmé Nicolas Hulot, envoyé spécial de l'Elysée sur le climat. «Ce serait une victoire des Nations unies, et une victoire de la présidence française, d'avoir un accord ambitieux et contraignant à l'heure, vendredi soir, dans les délais impartis», veut croire Ahmed Djoghlaf. L'accueil du texte intermédiaire par les parties mercredi soir, à la plénière de 20 heures, devrait donner le ton.

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