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Iran / Afghanistan

Le calvaire des réfugiés afghans en Iran

Il n'est pas bon d'être un réfugié afghan en Iran. Ceux qui décident de franchir la frontière pour quitter cette vie sont arrêtés, renvoyés vers leur pays, quand ils ne sont pas battus à mort. D’autres qui veulent rester en Iran acceptent d’aller combattre en Syrie pour protéger le régime de Bachar el-Assad, en échange d’une promesse de résidence permanente en Iran. Certains parviennent quand même à fuir la République islamique d'Iran pour un monde meilleur.

Le camp Sang Sefid, dans la province de Khorasan (nord-est de l'Iran).
Le camp Sang Sefid, dans la province de Khorasan (nord-est de l'Iran). DR
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Cela fait à peine une semaine qu’il a été relâché du camp de Asgar Abad, près de Téhéran, où les immigrants afghans illégaux sont acheminés après leur arrestation, détenus un temps puis conduits au camp Sang Sefid (nord-est) avant leur renvoi vers l’Afghanistan. « Mon arrestation n’était pas aussi importante que ce qui s’est passé après, raconte Abbas. Ils nous ont envoyés via la frontière iranienne, vers la ville de Harat, mais nous ne savions pas comment nous diriger vers Kaboul, car la route était complètement barrée ». Voilà un mois que son frère et sa famille se trouvent dans un camp de réfugiés en Turquie. « Mon frère, son épouse et leur fille ont subi le calvaire. Ils sont restés pendant douze heures dans le coffre arrière d’une voiture pour pouvoir passer la frontière vers la Turquie. »

Abbas est poète, il a passé son enfance avec sa famille à Mashhad (nord-est de l’Iran). Son frère, lui, a réussi à quitter l’Iran. « Les Afghans n’ont aucun droit en Iran, explique-t-il. Leur condition de vie est insupportable, leurs enfants ne sont pas autorisés à aller à l’école. Mon frère a travaillé dur comme tailleur de pierre pendant de longues années en Iran et malgré des problèmes pulmonaires, il était obligé de respirer la poudre de la pierre. Il n’avait pas les moyens de se faire soigner, parce qu’en Iran les frais médicaux sont trois fois plus élevés pour les Afghans par rapport aux citoyens iraniens », car ils ne bénéficient d'aucune prise en charge par les pouvoirs publics. « Personne ne veut rester en Iran », poursuit-il d’une voix tremblante.

Samira a été récemment arrêtée et gardée un certain temps avec son époux et son enfant dans le camp de Asgar Abad. Le gouvernement iranien leur a donné l’occasion de régulariser leur situation. Mais Samira a peur : « Nous n’avons pas de nouvelles concernant notre permis de séjour. Nous craignons qu’ils nous jettent dehors », dit-elle avant d’ajouter : « Quand ils nous ont arrêtés, les garde-fronières ont pointé leur fusil sur nous. Ma fille de 5 ans criait sans cesse : " S’il vous plaît, ne tirez pas sur nous ". Depuis, elle fait des cauchemars toutes les nuits. »

Certains sont arrêtés, d’autres tués

Ceux qui étaient arrêtés avaient en quelque sorte de la chance, parce qu’ils n’ont pas été tués. Au début du mois de septembre dernier, la nouvelle de la mort de Alireza Rezaei, un jeune Afghan né en Iran, lors de sa tentative illégale de passer en Turquie, a fait le tour des réseaux sociaux et des médias. Après son arrestation, il a été battu à mort par des garde-frontières. Il était l’un de ceux qui ne voulaient ni retourner en Afghanistan ni rester en Iran, mais il n’a pas eu la chance de quitter l’Iran et de choisir son destin. Récemment, le corps d’un autre Afghan a été transféré à Mashhad. Il est décédé en raison d’un arrêt cardiaque causé par la peur extrême des garde-frontières lors de son arrestation.

Et au cours du mois dernier, à plusieurs reprises, on a appris la mort d’autres Afghans au moment de leur passage illégal de la frontière iranienne : ils se sont retrouvés coincés entre les fils barbelés quand ils n'ont pas été tués par les garde-frontières.

Pourquoi les Afghans prennent de tels risques ?

« Avant d’arriver à la frontière, nous avons été encerclés et les garde-frontières nous ont tirés dessus. Une balle a atterri juste devant moi, raconte Javad, un autre Afghan qui s’est aventuré vers la frontière irano-turque. Après mon arrestation, durant deux heures, ils nous ont passés à tabac, de sorte que nous ne pouvions plus rester debout. Après, ils nous ont obligés à nous aligner et ils nous ont envoyés à la caserne où nous avons été parqués dans un espace de 12 mètres carrés. Nous étions entre 40 et 50 personnes à passer la nuit les uns entassés sur les autres ».

Javad et ses compagnons de route ont été envoyés d’abord au camp d’Asgar Abad et ensuite à celui de Sang Sefid. Des camps de réfugiés bien connus des Afghans qui résident en Iran !

Le camp d’Asgar Abad, comme les autres camps, « est un endroit cruel et inhumain », dit Mohammad-Reza, un Afghan qui y a résidé. Il se rappelle : « Au fond du salon, ça empestait l’urine. Les nouveaux arrivants allaient vers les couloirs et les escaliers pour pouvoir respirer. L’air était si irrespirable que les gardiens eux-mêmes portaient des masques pour faire leur ronde et partaient rapidement. On nous a dit : " Si vous vous fuyez, et si on vous rattrape, on vous mettra sur le chemin du groupe Etat islamique ou d’autres groupes extrémistes " ».

Carte de séjour à la couleur du sang

Mais les Afghans ne fuient pas l’Iran seulement à cause des conditions dures et inhumaines de leur vie quotidienne. La pression qu'ils subissent pour participer à la guerre en Syrie est aussi l’un des facteurs importants qui les pousse à partir. Les autorités ne démentent pas l’envoi d’Afghans sur les fronts en Syrie, mais ils le justifient en expliquant que le bataillon des Fatemiyoun du Corps des Gardiens de la Révolution iraniens, qui combat en Syrie pour protéger le régime de Bachar el-Assad, est formé d’Afghans vivant en Iran. Téhéran présente les soldats de ce bataillon comme des chiites afghans qui se sont rendus en Syrie de leur propre chef.

En 2013, deux journalistes afghans résidant en Syrie se sont évadés du pays et ont confirmé la présence d’Afghans résidant en Iran dans la guerre contre les opposants à Bachar el-Assad. Ils ont affirmé que « des milliers d’Afghans participent à la guerre en Syrie et, depuis le début de la guerre dans ce pays, plusieurs dizaines d’entre eux ont trouvé la mort ou ont été blessés ».

Le quotidien afghan 8Sobh (« 8H du matin ») a annoncé au mois de janvier 2015 que selon « une source importante et digne de foi », des cartes de séjour rouges sont délivrées à tous les immigrants afghans qui partent à la guerre contre les opposants à Bachar el-Assad. De même, des laissez-passer bleus leur ont été délivrés pour leurs voyages interurbains. « Plusieurs types de cartes de résident sont délivrés aux Afghans, affirme Abbas. Les cartes rouges sont délivrées aux personnes qui ont droit à un traitement spécial, comme les clergés afghans résidant en Iran ou ceux qui partent à la guerre en Syrie. Ces cartes sont en réalité des cartes des réfugiés ». Et d’ajouter : « Il existe aussi celles qu'on appelle des cartes d’aménagement. Leurs détenteurs ont beaucoup de restrictions, par exemple ils ne peuvent pas effectuer de voyages interurbains et leurs enfants n’ont pas le droit d’aller à l’école. »

Promesse de résidence permanente et d’argent

Pour Shah Hossein Mortazavi, rédacteur en chef du quotidien 8Sobh, « Nombreux sont les Afghans qui sont partis à la guerre, croyant aux promesses des autorités iraniennes. Certains y sont allés dans l'espoir d'obtenir au retour l'autorisation de résider en Iran, d’autres espéraient recevoir des grosses sommes d’argent. D’autres encore en raison de la propagande religieuse iranienne selon laquelle les lieux sacrés des chiites sont en danger. »

A en croire Mortazavi, « malgré les déclarations des autorités iraniennes selon lesquelles ces combattants se seraient portés volontaires pour aller en Syrie, dans des vidéos enregistrées et diffusées par les opposants à Bachar el-Assad, certains combattants révèlent avoir été détenus en Iran et, avec la promesse de la libération, ils ont été envoyés à la guerre en Syrie. » L’an dernier, le Wall Street Journal, citant les autorités occidentales et afghanes, écrivait : « Le gouvernement iranien a promis de payer 500 dollars par mois et la résidence permanente en Iran aux Afghans qui partent à la guerre pour défendre le gouvernement Assad en Syrie ».

Abbas affirme également connaître des Afghans revenus en Iran sains et saufs de la guerre en Syrie, qui ont vu leurs documents confisqués et ils n’ont aucune preuve de leur présence sur le front syrien. De même, les aides financières qui leur étaient accordées sont en ce moment supprimées. Un responsable iranien chargé des immigrants afghans a révélé sous couvert d’anonymat à RFI que « les Afghans partent à la guerre soit pour pouvoir résider en Iran ou pour renouveler leur carte de résident, soit pour obtenir un salaire mensuel ».

Deux semaines pour se préparer à la guerre

Mohammad Akbarzadeh a passé son enfance en Iran. Il y a huit ans, il a passé la frontière turco-iranienne pour se rendre en Europe. Vivant aujourd'hui en France, il affirme que jusqu’à présent, entre 1 500 à 3 000 Afghans ont été envoyés en Syrie, et que plus de 200 entre eux y ont trouvé la mort et des centaines d'autres ont été blessés ou détenus. Selon M. Akbarzadeh, les Afghans ne bénéficient que d'une formation militaire de deux semaines en Iran avant leur envoi sur les champs de bataille en Syrie.

Nombreux sont les députés afghans qui ont protesté contre l’envoi de leurs compatriotes résidant en Iran pour faire la guerre en Syrie. Pour eux, l’Iran se sert de la pauvreté de ces réfugiés afghans. L’année dernière, les députés afghans ont demandé au gouvernement de Kaboul de s’occuper sérieusement de cette affaire et de mettre fin à ce genre d’abus. Mais « nous n’avons pas de statistiques officielles à ce sujet. On sait que des Afghans participent à cette guerre, mais officiellement on n’a rien là-dessus », a assuré Rouhollah Hashemi, conseiller aux affaires internationales du ministère afghan de la Migration. Bien qu’il n’existe pas de statistiques ni de déclarations officielles, il semblerait, selon des témoignages, que cette pratique s’applique à tous les Afghans qui veulent rester en Iran coûte que coûte.

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