
INTERNATIONAL - "Le changement climatique, c'est maintenant". François Hollande et Laurent Fabius ont conclu samedi 12 décembre un marathon diplomatique avec une belle réussite: le premier accord universel pour lutter contre le réchauffement climatique.
Si cet accord est avant tout un succès, c'est bien évidemment une question de climat... diplomatique. "Un contexte aussi positif, une telle 'conjonction de planètes' n'ont jamais été autant réunis qu'aujourd'hui", a lancé Laurent Fabius, quelques heures avant la ratification de l'accord. En quelques années, on a vu de nombreux chefs d'Etat, parmi les plus grands pollueurs de la Terre, prendre fait et cause pour le climat. Un tel accord n'aurait clairement pas été possible il y a 5 ans.
Mais le rôle de la France dans tout ça n'est pas à négliger. Pendant toute la durée de la COP21, les louanges à destination de la présidence française n'ont jamais cessé. Presque invariablement, quand on demande à un membre des délégations dans les couloirs ce qu'il pense de cette conférence par rapport à celles qu'il a effectué dans le passé, la réponse est la même : une bien meilleure organisation.
Des "mercis" sincères
Les chefs d'Etat et ministres en charge des négociations ont eux aussi complimenté la France. C'était notamment impressionnant lors de la conférence de clôture, une fois l'accord validé. "A Copenhague, les pays avaient ironiquement dit merci à la présidence danoise, les remerciements entendus tout au long de la semaine à destination de la présidence française étaient sincères", note Michael Jacobs, du New Climate Economy project et ancien conseiller de Gordon Brown lors du fiasco de Copenhague en 2009. Et de rajouter avec humour que les délégations avaient montré tellement d'amour que s'en était presque embarrassant.
Même les ONG se sont laissé amadouer. Lundi 30 novembre, Jean-François Julliard, président de Greenpeace France a carrément déclaré que l'ONG "aurait pu écrire le discours de François Hollande". De manière générale, même si elles distillaient également critiques et craintes, les organisations de la société civile reconnaissaient volontiers que quelque chose avait changé.
Bref, le succès est double pour le président français et Laurent Fabius, président de la COP cette année : un accord historique et, cerise sur le gâteau, une aura internationale suite à cette organisation. Pourtant, trois ans plus tôt, c'était loin d'être gagné.
Les 2°C? "On oublie". Les 100 milliards? "Pas sérieux"
Fin 2012, la France postule officiellement pour accueillir la COP21, la conférence climat la plus importante depuis le cuisant échec de celle de Copenhague en 2009. Au départ, ils ne sont que 4 à pousser François Hollande sur cette piste. Les deux ministres écolos, Pascal Canfin et Cécile Duflot, la conseillère environnement de l'Elysée et le conseiller diplomatique du président. Les trois premiers pour des raisons évidentes, le dernier car la conférence sur le climat sera le seul événement d'envergure internationale sous le quinquennat de François Hollande.
Après une nuit de réflexion, le Président choisit de candidater. Même si la candidature ne sera validée qu'en novembre 2013, le choix de la France est déjà quasiment acté. Et pour cause: l'Hexagone est le seul pays à s'être proposé. Il faut dire que l'échec de Copenhague, en 2009, a laissé un goût amer dans la bouche. A tel point que personne n'a vraiment envie de prendre la responsabilité de la COP21.
"L'un de ceux qui sont présents ici me disait ce matin: c'est vrai que vous étiez seuls candidat, ce qui rend la décision plus facile, et il ajoutait "bon courage!", cela donne la mesure de la tâche...", déclarait lors de l'officialisation du pays hôte Laurent Fabius.
Interrogé par Le HuffPost, Pascal Canfin, conseiller climat du World Resources Institute, se souvient des débuts peu prometteurs. Directement placé sur le dossier COP21 par Laurent Fabius, l'ancien ministre délégué au Développement se remémore sa première réunion avec la délégation américaine, alors que la France n'est pas encore officiellement désignée . "Bon, les 2°C, on oublie? Et les 100 milliards d'aide au développement, ce n'est pas très sérieux", lui disent alors les représentants. Deux des conditions principales de l'accord (qui ont même été dépassées ce samedi). Ambiance.
Ne pas reproduire les erreurs de Copenhague
"Il y a eu une énorme pression contre les 100 milliards, mais la France a toujours dit qu'il fallait être au rendez-vous", rappelle Pascal Canfin. Pour lutter contre le pessimisme ambiant, la présidence française de la COP21 veut alors tout faire pour éviter de reproduire les erreurs qui ont mené au fiasco de Copenhague.
"Dès le début, nous avons commencé à imaginer comment parler d'opportunité et non de partage de fardeau, comment mettre en scène une dimension positive", explique l'ancien ministre.
Pour ce faire, la France va s'appuyer sur trois piliers. Le premier consiste à lier l'accord, souvent qualifié de technocratique, au réel. "On a pensé la COP21 avec deux jambes: l'accord et l'agenda des solutions", se rappelle Pascal Canfin. En effet, la conférence de Paris a été la première a mettre en place un plan d'action en parallèle pendant toute la durée de la COP21. Dans les dizaines de conférences, collectivités, grandes entreprises et acteurs étatiques se sont succédé pour évoquer des solutions à mettre en place dès maintenant.
Au total, c'est près de 11.000 engagements, provenant notamment de plus de 2000 villes et entreprises, qui ont été pris pendant la conférence de Paris. "Jamais une COP n’a été accompagnée par une telle mobilisation des acteurs et un tel foisonnement des initiatives", a loué samedi, à quelques heures de l'accord final, Matthieu Orphelin, porte-parole de la Fondation Nicolas Hulot.
La France, "indépendante et puissante"
Autre point central permettant d'éviter un nouveau Copenhague, "la France est à la fois puissante et indépendante", estime Pascal Canfin. Membre du G7, du G20, "disposant du deuxième réseau diplomatique mondial", le pays a pu "pousser l'agenda climat" dans toutes les grandes instances diplomatiques et financières internationales.
Le Danemark, en 2009, "devait lui passer par des intermédiaires, notamment les Etats-Unis", atlantisme oblige. Dès le début, une cellule a été créée regroupant des membres des ministères de l'Economie, des Affaires étrangères et de l'Ecologie.
Autre point bien différent de Copenhague, le rôle des chefs d'Etat. Lors de la précédente COP, ceux-ci étaient arrivé à la fin, alors que l'accord était encore totalement en chantier. A Paris, les dirigeants ont participé au début de la conférence et ont surtout donné le "la", avec des discours généraux sur leurs ambitions.
Lors des derniers jours, ils ont rejoué un rôle au moment des discussions bilatérales, sur les derniers points de friction. "Les Chefs d'Etat ne sont pas des négociateurs, leur rôle est de débloquer la situation, de donner le dernier coup de pouce", estime Pascal Canfin.
L'art du compromis et de la synthèse
Le rôle de Laurent Fabius tout au long de la COP21 explique lui aussi le succès de Paris. Car à l'inverse des précédentes conférences, ici les pays et les ONG n'ont pas quitté les négociations avec pertes et fracas. En dehors de la dernière nuit de négociation, les journées de tractations se sont passées sans esclandres. Et même au plus chaud, aucun pays n'a claqué la porte.
"Il y a clairement eu une méthode efficace", estime Matthieu Orphelin, de la Fondation Nicolas Hulot, qui précise qu'il faut encore l'améliorer pour la suite, notamment sur la "tyrannie du consensus", qui oblige chaque Etat à valider chaque élément du texte et permet aux "bad cop" de mettre en danger les projets d'accord.
Laurent Fabius a également eu la bonne idée de nommer des "facilitateurs" parmi les chefs de délégation pour l'aider à trouver les compromis, en les choisissant parfois parmi les pays demandant de l'attention ou étant opposé à certains points particuliers.
Clairement, le compromis fut le maître mot de la COP21. Jeudi, dans la dernière ligne droite, sachant que le plus dur était à venir, Laurent Fabius mettait en garde les Etats: leur intimant "de renoncer à l'idéal de chacun pour avoir ce qui est préférable pour tous"
Mais le compromis et l'esprit de synthèse, n'est-ce pas justement ce qui fait la patte du quinquennat Hollande?