La Jungle de la République

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La Jungle de la République

Pendant cinq mois, Christophe Gin a exploré les zones de non-droit de la Guyane française.

Camopi, mars 2015. Même s'ils restent liés à leur environnement naturel et continuent à vivre dans un système relativement autarcique fait de chasse, de pêche et de culture de manioc, les Amérindiens de Guyane sont placés dans une situation d'assistanat, avec l'attribution de minimas sociaux qui servent à payer le nécessaire pour la chasse ou l'indispensable essence des pirogues.

Si la Guyane est devenue une colonie française au XVIIème siècle – et un département à part entière en 1946 –, la France semble avoir depuis longtemps oublié ce territoire d'outre-mer. Pourtant, la région, voisine du Brésil et du Suriname, est la plus grande du territoire français et représente la seule présence hexagonale en Amérique du Sud. Malgré ses atouts, elle reste rongée par le chômage, l'échec scolaire, les trafics divers et l'alcoolisme et ne bénéfice pas de véritables infrastructures administratives sur toute sa surface – ainsi, certains de ses habitants se retrouvent encore sans identité officielle.

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« La Guyane n'est pas un territoire sans loi, mais une région avec des zones d'exception », explique Christophe Gin. Depuis une quinzaine d'années, le photographe français sillonne la région avec son œil d'étranger, voyageant jusqu'aux villages amérindiens les plus reculés de la jungle. Son dernier projet réalisé en l'espace de cinq mois a été récompensé du prix du photojournalisme de la fondation Carmignac qui, pour sa sixième édition, souhaitait « soutenir et promouvoir un travail photographique d'investigation sur des territoires hors des feux de l'actualité en s'intéressant à la France et plus particulièrement à ses zones devenues de non-droit […] ». L'an dernier, le prix avait été remis à Newsha Tavakolian pour un reportage réalisé en Iran – peu après, une polémique avait agité le monde de la photographie sur les pratiques artistiques étonnantes du fondateur du prix.

Réalisé en plein format 24x36 durant la saison des pluies, quand les fleuves compliquent la circulation terrestre et fragilise le matériel, le reportage de Christophe Gin nommé Colonie illustre la complexité de la Guyane française. Exposé jusqu'au 5 décembre à la chapelle des Petits Augustins, à Paris, l'homme s'est concentré sur cinq communes qui sont, chacune, confrontées à une problématique guyanaise d'aujourd'hui.

Saint-Élie, avril 2015. L'un des plus anciens villages de la Guyane profonde où plus personne ne met les pieds.

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VICE : Comment avez-vous commencé la photographie ?
Christophe Gin : Je suis autodidacte. Au départ, j'étais dessinateur industriel, je travaillais dans un bureau d'études. En parallèle de ça, je faisais des photos. J'ai dû faire un choix et la photo s'est imposée. J'ai commencé par un travail pour Libération, ma première parution en France, puis j'ai travaillé pour la presse quotidienne et magazine.

Pendant très longtemps – sept ans –, j'ai travaillé sur un sujet qui se déroulait à huis clos dans un même espace. Je photographiais un couple chez lui. Après ce projet, j'ai eu très envie de voir d'autres horizons. Je suis tombé sur un article de Maurice Lemoine dans le Monde Diplomatique qui définissait la Guyane comme une zone de non-droit – une espèce de terre de liberté. J'avais envie de voir par moi-même et j'y suis parti en 2001.

Saviez-vous dès le départ qu'il s'agissait d'un sujet sur lequel vous alliez vous investir sur le long terme ?
On ne sait jamais vraiment combien de temps ça va prendre. J'ai fini de photographier quand j'ai fait le tour du sujet, que je n'ai plus rien à raconter et que le sujet n'a plus rien à m'apprendre. Quand j'ai commencé mon sujet sur le couple, je ne me suis pas dit qu'il allait me prendre sept ans. Pareil pour la Guyane. Je vais bientôt aller au Brésil ; je ne sais pas combien de temps je vais travailler là-bas.

Saint-Georges-de-l'Oyapock, avril 2015. Fleuve frontière et voie de communication naturelle, l'Oyapock sépare la Guyane du Brésil.
En projet depuis 1997, un pont a été construit de 2008 à 2011 mais n'a pas encore été ouvert à la circulation.

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Comment a évolué la région depuis vos débuts en Guyane ?
Le territoire a beaucoup évolué, avec certaines particularités. C'est un territoire relativement nouveau. Sur ce travail, je n'ai pas la prétention de faire le tour de la Guyane – je me suis concentré sur la Guyane profonde, une région quasi vierge qui s'est rapprochée de la France en 1970, soit il y a une quarantaine d'années seulement. Aujourd'hui, si elle est rattachée au réseau téléphonique, ça n'a pas toujours été le cas. Ça ne veut pas pour autant dire que la modernité arrive. Il n'y a pas encore beaucoup de routes.

De mon côté, je suis beaucoup moins romantique qu'au moment où je suis arrivé pour la première fois. Mon regard est aussi certainement moins européen qu'au début.

Dans ce travail, vous informez non seulement sur une culture, mais vous tentez aussi de maintenir une esthétique. Comment est-ce que le côté artistique s'équilibre avec le côté reportage ?
Faire des photos signifie faire des choix de cadrage, de lumière, etc. Ainsi, il y a forcément un parti pris esthétique qui doit être là pour servir ce que j'ai envie de dire. Certains photographes travaillent très rapidement et font seulement une ou deux photos. Pour moi, le processus est beaucoup plus long. Je fais beaucoup de photos et je retourne même parfois plusieurs fois au même endroit.

Fleuve Oyapock, avril 2015. Le transport fluvial représente la seule liaison régulière possible entre les communes enclavées le long de l'Oyapock.

Comment avez-vous interprété la notion de « zones de non-droit en France » recherchée par la fondation Carmignac ?
J'ai davantage choisi de questionner la notion de droit que la France. Est-ce qu'il s'agit d'un droit uniquement français ? Un droit républicain ? Un droit d'usage ? Un droit coutumier ? Je suis allé photographier un peu de tout ça. Je pense que le droit est quelque chose d'universel mais que, dans chaque société, il y a un droit qui s'applique – et ce n'est pas toujours le même. J'ai essayé de voir les particularités de l'application du droit français en Guyane.

Vous avez écrit des légendes explicatives qui accompagnent les images et qui créent un décalage entre la beauté visuelle et la réalité.
C'est indispensable : une photo, on peut l'interpréter de différentes façons, et toutes ces interprétations seront justes. Je tiens à servir mon propos, donc j'explique les choses de sorte à ce que mon interprétation soit bien comprise. Il faut aussi que ce soit pédagogique sans l'être trop. En France, personne ne connaît la Guyane, donc il faut bien expliquer. Sinon, on s'arrête à l'esthétisme et ce n'est pas le but recherché.

Trois-Sauts, janvier 2015. Plus de 600 Amérindiens Wayampis vivent dans des villages accessibles uniquement par voie fluviale. Aucune route ne les relie au reste du département.

Camopi, février 2015. Le Sous-Préfet de l’Est Guyanais et les chefs coutumiers de Camopi attendent la visite de la ministre des Outre-mer.