Et si... nous fabriquions nous-mêmes notre énergie ?

En France, l’électricité est produite à plus de 75 % par les centrales nucléaires, un cas unique au monde. Moins cher et moins émetteur de gaz à effet de serre que les énergies fossiles, qui sont majoritairement utilisées sur la planète, le nucléaire est pourtant loin de faire l’unanimité. Et si le projet de loi de transition pour une croissance verte prévoit une réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique d'ici à 2025, des initiatives citoyennes se créent pour prouver qu’une source d'énergie plus propre et plus sûre est possible.

Qu'il s'agisse de prototypes ou de projets organisés à plus grande échelle, tous partagent le même objectif : rendre la production d’énergie renouvelable accessible et apprendre aux populations à mieux gérer leur consommation énergétique.

De l’énergie solaire sur mon balcon

Pour Jean Walter, ingénieur en génie civil de 63 ans, la production d’énergie renouvelable commence sur le balcon de son appartement en région parisienne. Convaincu qu’il faut commencer à penser à l’après-nucléaire, ce père de famille a décidé de créer un prototype de générateur électrique alimenté par un panneau photovoltaïque. Son objectif n’est pas de remplacer le système électrique de son domicile, mais de mieux comprendre sa consommation d’électricité et de réfléchir à comment la diminuer.

« Mon modèle se veut le plus minimaliste possible, précise Jean Walter. Je suis encore en train de faire des expériences. Je vois ce que je peux alimenter avec mon panneau et comment je peux adapter mes besoins énergétiques. »

Pour la conception, Jean Walter est parti de zéro et s’est inspiré de plusieurs tutoriels sur Internet. Il s'est aussi rendu dans des “FabLabs”, des lieux ouverts au public où l'on peut utiliser des imprimantes 3D, des outils de conception et recevoir des conseils d’habitués.

« J’ai dû tout apprendre, raconte l’ingénieur. Comment programmer le processeur qui fait entrer l'électricité dans la batterie, comment dessiner certaines pièces sur l’ordinateur pour les imprimer ou même comment les assembler. En tout, cela m’a pris deux ans. »

Très enthousiaste quant au résultat, Jean Walter reconnaît tout de même les limites de son projet : « Je peux alimenter des objets électriques qui n’ont besoin que de 12 volts, comme les lampes dans mon salon, ou mon ordinateur, mais chauffer de l’eau, par exemple, ce n’est pas possible ! »

L’ingénieur continue de perfectionner son prototype, pour pouvoir partager ses plans en ligne. Il espère même proposer des kits à monter soi-même : « Pour tendre vers une transition énergétique, il faut une prise de conscience, assure le sexagénaire. Pour ça, les gens doivent tester les choses par eux-mêmes, et tout le monde n’a pas la patience ou le temps de faire ce que j’ai fait. »

Construire soi-même son éolienne pour 30 euros

Rendre la production d’énergie plus accessible, c’est également l’ambition de Daniel Connell, qui a mis au point un prototype “DIY” (“Do it Yourself ” : à faire soi-même), à l’aide de matériaux de récupération. Avec une roue de vélo, quelques planches d'aluminium, un cutter et une riveteuse, ce graphiste néo-zélandais peut construire une éolienne à axe vertical en quelques heures, pour moins de 30 euros.

Pragmatique, l’inventeur a choisi ce type d’éolienne parce qu’elle est capable de s’adapter aux lieux où le vent n’est pas régulier. Son modèle produit en moyenne 80 watts si le vent souffle à 25 km/h. « Je voulais que mon prototype soit opérationnel et utile, résume Daniel Connel. Mon objectif n’est pas de responsabiliser les gens, mais de leur donner des solutions concrètes pour produire de l’électricité facilement, que ce soit par conviction, par nécessité ou pour réduire leurs factures. »

Fidèle aux principes de l’open source, il partage sur son site son avancée et décrit la conception de son prototype étape par étape, avec une vidéo en 3D détaillée. Il organise également des ateliers au gré de ses voyages pour mieux accompagner ceux qui le souhaitent. « Je ne verrais aucun inconvénient à ce que quelqu’un reprenne mon prototype pour le commercialiser ou organiser des formations, tant que cela permet à l’idée de se répandre et à l’éolienne de s’améliorer », explique le Néo-Zélandais.

Daniel Connell reste toutefois réaliste, et ne pense pas que la plupart des gens qui ont facilement accès à l’électricité utiliseront son éolienne. « Je ne sais pas comment donner envie aux gens de changer d’habitudes ou de se mettre à créer des choses par eux-mêmes, regrette l’inventeur. Même si j’ai l’impression que ça devient de plus en plus populaire. »

Montdidier, la ville laboratoire du renouvelable

Afin de satisfaire la demande énergétique d’une ville, les initiatives individuelles ne peuvent suffire, il faut voir les choses en plus grand. C’était le pari de Catherine Quignon-Le Tyrant, l’ancienne maire de Montdidier, en Picardie, qui lors de ses deux mandats a voulu faire de sa commune un modèle dans la maîtrise de l’énergie.

1 202 panneaux photovoltaïques, quatre éoliennes de plus de 100 mètres de haut, une chaufferie biomasse : depuis 2006, la petite ville de 6 000 habitants accumule les moyens de production d’énergie renouvelable. « Grâce aux éoliennes, nous couvrons 50 % des besoins énergétiques de la ville », explique Rodolphe Bral, directeur de la régie communale de Montdidier.

Lorsque la production est supérieure au besoin de la ville, l'électricité est redistribuée sur le réseau d'EDF, qui a alors l'obligation de la racheter. Les bénéfices ont permis à la commune d’améliorer l’isolation de certains bâtiments et de donner des chèques énergie aux habitants qui souhaitent investir dans une chaudière à granulés ou réaliser une rénovation thermique de leur logement.

Pour rendre la ville totalement autonome, il ambitionne d’étendre le parc éolien et réfléchit à des moyens pour faire des réserves d'énergie lorsque la ville est en surproduction et ainsi combler les journées où il n‘y a pas assez de vent et peu de soleil. « Mais stocker l'énergie, ça coûte encore extrêmement cher, commente le directeur, et pour le moment ce n’est pas rentable. »

Très fier de travailler pour la commune où il a grandi, Rodolphe Bral espère que sa ville est une source d’inspiration. « De toute façon, on n'a pas le choix, il faut réfléchir à la production d'énergie de demain, affirme-t-il. Nos besoins continuent d’augmenter, et vu les incertitudes liées au nucléaire et aux énergies fossiles, le renouvelable reste la meilleure des alternatives. »

Des initiatives citoyennes pour faciliter la transition énergétique

Fatiguée de se plaindre du nucléaire et d’attendre que les élus se mobilisent, Christel Sauvage s’investit depuis plus de vingt ans dans le développement et la promotion des énergies renouvelables.

« Un jour, j’ai compris qu’on nous avait complètement déresponsabilisés avec le nucléaire, explique cette ancienne biologiste de 49 ans. Si l’on n’avait pas massivement investi dans les centrales, notre autonomie énergétique non polluante, on l’aurait déjà aujourd’hui. »

En 2009, elle participe au lancement d’Enercoop Ardennes-Champagne, une coopérative qui fournit de l’électricité verte et qui participe au développement des énergies renouvelables, dont elle est aujourd'hui la PDG. « Notre objectif est de faciliter les choses pour un particulier qui souhaite une alternative au nucléaire. Il peut choisir qu’Enercoop devienne son fournisseur d’électricité ou il peut prendre une part dans la coopérative et en devenir sociétaire », résume Christel Sauvage.

Parallèlement, elle crée l’association Energie partagée, un fonds d’investissement qui permet à tout un chacun en France d’investir dans un projet d’économie d’énergie et de production d’énergies renouvelables. Depuis 2010, Energie partagée a rassemblé plus de 8 millions d’euros et a investit 6 millions d’euros dans vingt projets d’énergie verte. « C’est un placement financier mais il faut être patient, les souscripteurs pourront espérer toucher 4 % de rémunération, mais d’ici huit à dix ans », précise Christel Sauvage.

Christel Sauvage ne se décourage pas, mais voir le manque d’ambition des politiques l’agace : « C’est rageant, parce qu’on aura beau se bouger, faire des coopératives, lancer des projets ambitieux, la transition énergétique ne peut se faire qu’avec un vrai virage politique. »

Photo : Marc Mossalgue / Energie Partagée

Texte, photos et videos
Laura Geisswiller
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