Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Des services Web américains accusés de complaisance envers l’Etat islamique

Le chantier de la contre-propagande sur Internet, considéré comme prioritaire par les militaires, se heurte à la protection des libertés civiles sur le Net.

Par  et

Publié le 11 décembre 2015 à 18h19, modifié le 12 décembre 2015 à 14h43

Temps de Lecture 4 min.

Le djhadiste français Salim Benghalem en Syrie, en février 2015.
Saisie d'écran d'une vidéo de propagande diffusée par Daesh où il fait l'apologie des attentats de Paris.

C’est une inquiétude croissante des états-majors de la coalition occidentale engagée contre l’organisation Etat islamique (EI). Tandis que les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni frappent l’EI en Irak et en Syrie, le groupe djihadiste continue de recruter des combattants grâce à sa propagande, complaisamment abritée par de grands hébergeurs de contenus du Web américains.

Le chantier de la contre-propagande sur Internet est considéré comme prioritaire par les militaires, mais il se heurte à la protection – légitime – des libertés civiles sur le Net. En France, où des mesures réglementaires ont été prises pour bloquer des contenus ou supprimer des comptes, Twitter, Facebook et Google coopèrent ponctuellement avec les services de justice et de police antiterroristes.

Le 3 décembre, le premier ministre, Manuel Valls, et le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ont réuni les réseaux sociaux et les grands opérateurs américains (Microsoft et Apple) pour tirer les leçons des attentats de Paris. Mais au-delà de leur plus ou moins bonne volonté, les entreprises basées aux Etats-Unis n’ont pas de raison de se plier aux injonctions françaises.

24 sites de propagande radicale identifiés

Deux fournisseurs de services seraient particulièrement passifs, CloudFlare et Internet Archive (Archive.org). Le premier est une entreprise créée en 2009 et située à San Francisco. Ce service de diffusion de contenus (CDN) est utilisé par plus de 2 millions de sites Internet. Il est employé par les djihadistes pour éviter les attaques en déni de service (DDoS), une prestation sur laquelle CloudFlare a bâti sa réputation. Ce type d’attaques informatiques, relativement simples et peu coûteuses à mettre en œuvre, consiste à saturer un site avec un grand nombre de connexions automatiques, jusqu’à le rendre inaccessible pour ses utilisateurs. L’entreprise vend aujourd’hui ses services – dont une version simplifiée est disponible gratuitement – à de nombreuses entreprises, dont le forum Reddit, Cisco ou encore le site de l’Eurovision.

Selon des informations obtenues par Le Monde, 24 sites de propagande radicale identifiés, pour certains bloqués en France ou temporairement inaccessibles, utilisent actuellement CloudFlare et ses options de protection, contre les DDoS notamment. Figurent pêle-mêle dans cette liste les sites Takvahaber.net, Tawhed.ws, Shahamat-arabic.com, Mnbr.info, Khilafah.com. Ou encore Isdarat.xyz, qui diffuse en français le magazine Dar Al-Islam, Muwahidmedia.cf, un site en langue indonésienne, et Alfurq4n.org en langue arabe.

Attaques par déni de service

Le site Isdarat permet l’accès à des contenus de propagande francophone nombreux, diffusés par les « bureaux médias » des différentes régions contrôlées par l’Etat islamique en Syrie et en Irak notamment. C’est « le centre médiatique d’Al-Hayat » qui présente ainsi chaque nouvelle parution de Dar Al-Islam.

En mai 2015, un groupe d’activistes se réclamant du collectif informel Anonymous avait lancé une campagne en ligne contre CloudFlare. Baptisé GhostSec, ce groupe, qui revendique des attaques contre des sites et des comptes sur les réseaux sociaux liés à Daech, dénonçait alors une cinquantaine de sites djihadistes bénéficiant des services de CloudFlare. Or, les attaques par déni de service constituent l’un des modes d’action privilégiés d’Anonymous, avec le « doxing » – la publication d’informations personnelles.

Newsletter
« Pixels »
Réseaux sociaux, cyberattaques, jeux vidéo, mangas et culture geek
S'inscrire

L’entreprise s’est à plusieurs reprises défendue de toucher de l’argent des groupes terroristes, invoquant la gratuité de ses prestations. « Nous nous sommes tournés vers les autorités pour passer en revue les différents sites en question et on ne nous a jamais demandé de les supprimer de notre réseau », avait, en outre, précisé au Mirror le PDG de CloudFlare, Matthew Prince, qui suggérait que certains pouvaient être utilisés comme des pièges par les services de sécurité eux-mêmes.

Contactée par Le Monde vendredi 11 décembre, la société affirme « appliquer toutes les demandes des tribunaux et des forces de l’ordre américaines ».

Privés de la possibilité d’attaques par déni de service, des membres se revendiquant d’Anonymous avaient lancé, après les attentats du 13 novembre, des campagnes en ligne contre des sites et des comptes liés à Daech. Les Anonymous avaient notamment publié des listes de comptes Twitter ou Facebook présentés comme ceux de militants pro-Daech, avec un impact limité. Certaines des listes étaient en effet anciennes, d’autres comportaient de nombreuses erreurs et listaient des comptes qui n’étaient aucunement liés au djihadisme.

Un système de modération peu strict

L’autre service, Archive.org, basé à San Francisco, est utilisé massivement par Daech pour diffuser ses documents vidéo, ainsi que ses magazines Dabiq (en anglais) et Dar Al-Islam (en français). Créé en 1996, Archive.org est un gigantesque projet géré par une association à but non lucratif, qui projette de sauvegarder l’intégralité des contenus du Web. Le site héberge des millions de livres, fichiers son ou vidéo, et plusieurs centaines de milliards de copies de pages Web. Il dispose du statut de bibliothèque aux Etats-Unis.

Simple d’utilisation, très accessible, il est depuis longtemps employé par de nombreux groupes djihadistes qui profitent d’un système de modération peu strict. Le site héberge des centaines de vidéos de propagande de Daech, rarement supprimées – ou après un long délai –, malgré l’existence d’un outil de signalement. On trouve ainsi sur Archive.org des clips intitulés « L’ambiance du Aïd el-Fitr dans la ville de Raqqah », le fief de l’EI bombardé par la France en Syrie, ou « Un an depuis le début des frappes aériennes ».

Le site était utilisé par les militants djihadistes bien avant l’émergence de Daech. Au début des années 2010, des spécialistes américains avaient déjà noté l’utilisation croissante de ce service par Al-Qaida pour diffuser ses vidéos d’Oussama Ben Laden et d’Ayman Al-Zawahiri. Mais là où Al-Qaida ne diffusait que rarement des messages vidéo de ses dirigeants, Daech publie un très grand nombre de vidéos chaque semaine.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.