
« Ce matin, j’ai voté Xavier Bertrand. J’avais pourtant dit “plus jamais”. Après ses propos sur les réfugiés, j’avais dit que je ne voterai pas pour lui en cas de duel avec le Front national (FN). » Comme bien d’autres électeurs de gauche, Patrick Poulain, 58 ans, a finalement glissé un bulletin de la liste LR-UDI dans l’urne en cette journée d’élection maussade. Et comme bien des électeurs de gauche, ce geste électoral lui a « fait mal ».
Le président de Lasécu, espace d’art contemporain niché au cœur du quartier populaire de Fives, à Lille, avait voté pour le Parti socialiste (PS) au premier tour. Déjà un vote utile pour cet écologiste convaincu. « Si on avait pu faire une liste de l’union de la gauche au premier tour, on n’en serait pas là », soupire-t-il. Aujourd’hui, l’heure est à la résistance. Dans cette galerie atypique installée dans les anciens locaux de la caisse primaire d’assurance maladie, le combat mené depuis 14 ans est de favoriser l’accès à la culture, pour tous les publics.
Ce week-end, pour la journée portes ouvertes qui permet aux artistes lillois de vendre leurs œuvres à petits prix, Patrick Poulain et son équipe ont choisi de distribuer des exemplaires de l’ouvrage Matin Brun, une nouvelle de Franck Pavloff. « On se sent impuissant face au populisme qui monte, alors on cherche à faire quelque chose. » A ses côtés, Elsa Hanot, 30 ans, voudrait transformer sa colère en quelque chose de positif. Salariée de Lasécu, cette électrice de gauche, plutôt extrême gauche, a elle aussi voté pour le candidat des Républicains (LR) à ce second tour des régionales. « Entre LR et FN, ce n’est pas pareil, dit-elle. Mais j’espère qu’il y aura une remise en question des politiques. »
« Je vais voter, quand je peux voter pour mes idées »
Pour Jiem, artiste lillois de 34 ans, les idéaux politiques, c’est terminé. « Mais j’ai encore des idéaux humains », tempère-t-il. Il y a une semaine, il votait pour la liste du Front de gauche de Fabien Roussel. Mais là, « ras-le-bol de devoir faire des calculs à chaque scrutin », dit-il. « Je ne suis pas allé voter en 2002. Aujourd’hui non plus. Je ne veux pas choisir entre deux extrêmes. » Un choix difficile pour cet électeur loin d’être un abstentionniste convaincu. « Je vais voter quand je peux voter pour mes idées. »
Voter pour ses idées… Au sous-sol de Lasécu, sous une affiche du cinéaste Jacques Tati, le photographe François Daumerie, chevelure grisonnante, plonge dans le passé. « Ah, nous nous avons eu la chance de voter au moins une fois par conviction. C’était en 1981. Malheureusement, nos enfants ne font que des votes par défaut. » En colère contre la gauche « qui se tire des balles dans le pied depuis des années », le grand bonhomme a voté Xavier Bertrand ce dimanche. Et « c’était un peu douloureux », avoue François Daumerie. « Moi j’ai voté pour lui sans état d’âme », explique Perlimpinpin, qui se définit comme « artiste pauvre ». « Je suis socialiste et j’ai voté à droite. En art, il n’y a qu’une seule façon de lutter : ne rien laisser passer. »
S’engage alors une conversation entre artistes et visiteurs sur le vote FN des pauvres. Dans ce lieu d’art contemporain, Perlimpinpin provoque gentiment l’auditoire : « Ici, à Lasécu, on est tous blancs. C’est un petit monde de bobos installés. Mais le pauvre, dont le repère artistique est le calendrier de la Poste, qu’est-ce qu’on lui laisse au pauvre ? On ne s’est pas occupé de lui. Si j’étais pauvre, je voterais FN. » A ses côtés, le photographe François Daumerie tempère : « On aurait dû résister bien en amont. On ne devrait pas tolérer que des politiques restent des décennies au pouvoir par exemple. »
Peine immense
Aujourd’hui, entre la liste de droite et celle d’extrême droite dans la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la peine est immense pour les électeurs de gauche. Mais le mouvement semble en marche. « Tout ça me donne envie de m’engager encore plus, confie Elsa Hanot. Peut-être pour une asso d’éducation auprès des jeunes roms. Mon compagnon veut s’engager en faisant de la bienveillance vis-à-vis de l’autre, avec un grand A. »
Dans une des pièces du sous-sol de Lasécu, les gravures d’Audrey Keller mêlent les autoroutes de cartes des villes à différents insectes. Le ventre rond, l’artiste accueille avec chaleur les visiteurs. Son visage s’assombrit quand elle explique que ce matin, elle a dû choisir entre bleu et bleu marine. « Je pense avoir fait un vote utile. Je rêve que les écologistes soient un jour au pouvoir. Je peux continuer à rêver ! » Après avoir voté PS la semaine dernière, elle n’a pas hésité à voter Xavier Bertrand. Autour d’elle, beaucoup de personnes ont choisi de s’abstenir. « Les votes blancs et les abstentionnistes devraient être entendus. C’est un acte militant de refuser ce système-là. » En attendant, Audrey Keller caresse doucement son ventre. « Nos enfants changeront le monde. C’est le troisième bébé donc oui, j’y crois ! »
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