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Les populistes italiens à l’école du FN

ANALYSE - Près d’un Italien sur deux est aujourd’hui disposé à donner sa voix à un « parti antisystème », qu’il s’agisse du Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo, ou de la nébuleuse de la droite extrême, composée de la Ligue du Nord et de ses alliés.

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Par Olivier Tosseri

Publié le 14 déc. 2015 à 20:06

« La vague Le Pen déferlera sur l’Italie. » Matteo Salvini, leader de la Ligue du Nord, exultait la semaine passée en apprenant le score de son égérie au premier tour des élections régionales françaises. Raz-de-marée ou tsumani, la presse italienne se divisait uniquement ces derniers jours sur le choix de la métaphore qui exprimerait au mieux le naufrage des partis traditionnels et la crainte que le flot populiste ne traverse les Alpes. Car si un Français sur trois a voté pour le Front national, près d’un Italien sur deux est disposé à donner sa voix à un « parti antisystème ». Le Mouvement cinq étoiles de Beppe Grillo est crédité de 27,6 % et la nébuleuse de la droite extrême, composée de la Ligue du Nord et de ses alliés, oscille autour de 20 %. Quant au centre droit, son ADN est plus proche des idéaux frontistes que des valeurs gaullistes.

Rien d’étonnant en Italie, laboratoire du XXe siècle où sont nés aussi bien le fascisme que la pipolisation de la démocratie, en passant par les contestations violentes des années 1960-1970. Le populisme constitue l’élément principal de sa vie politique. Si sa définition est la mise en exergue d’une fracture entre l’élite et le peuple, dont les intérêts bafoués doivent être défendus par un leader charismatique, ce courant lui est consubstantiel. Depuis sa récente unification en 1861, les dirigeants italiens se sont évertués à forcer le pays à combler un retard matériel et moral qui le séparerait de ses voisins. Gouvernements libéraux conservateurs, régime fasciste ou première république disputée par le PCI et la Démocratie chrétienne, des « élites adultes » devaient faire grandir un « peuple enfant ». Il n’aura finalement jamais reçu de réelle éducation démocratique libérale.

Crise d’adolescence

La crise d’adolescence interviendra après le scandale de « Mani pulite » en 1992. Ce dernier chasse un temps une classe politique corrompue pour ouvrir les portes du pouvoir à un Silvio Berlusconi décomplexant définitivement « un pays réel qui n’avait aucune raison d’être humilié par le pays légal ». Vingt-cinq ans après, Matteo Renzi n’hésite pas, lui non plus, à ridiculiser les « grands professeurs », patrons ou syndicats déconnectés de la réalité lorsqu’ils s’opposent à ses réformes et ignorent le besoin de changement des Italiens.

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Pour le mettre en œuvre, ils ne sont que 9 % à faire confiance aux partis politiques et sont à peine plus de 50 % à se déplacer encore aux urnes. L’Europe, jusqu’ici perçue comme la bouée de sauvetage d’un pays à la dérive, est considérée désormais comme celle qui lui maintient la tête sous l’eau. 40 % des Italiens estiment qu’appartenir à l’UE est une bonne chose, contre une moyenne de 55 % chez leurs voisins. Même le président du ­Conseil demande à « l’Europe de changer, sans quoi elle risque de devenir la meilleure alliée de Marine Le Pen et de ceux qui veulent l’imiter. Il faut qu’elle regarde la dure réalité en face. Sans un plan sur l’économie et la croissance, les populismes remporteront tôt ou tard des élections au niveau national ».

En Italie, ils ont deux noms : la Ligue du Nord et le M5S, le premier exaltant les notions d’autorité, de hiérarchie et les valeurs identitaires, le second promouvant celles d’égalitarisme, de responsabilité citoyenne et d’écologie. Ils ne se retrouvent que dans leur défiance à l’égard de la bureaucratie bruxelloise avec sa monnaie unique, leur crainte des conséquences d’une immigration incontrôlée et leur certitude d’être les seuls capables de protéger les plus faibles face à la crise économique et sociale persistante. « La victoire de Marine Le Pen est celle des petits et des sans-voix. Nous voulons faire la même chose en Italie, commente Matteo Salvini. Nous voulons être le parti des petits (commerçants, employés, agriculteurs, jeunes) contre Renzi, qui représente les grands (journaux, banques, financiers, multinationales) ».

Peur de l’islam

Mais le tonitruant Lombard, qui n’a de cesse d’imiter son modèle français, est encore loin de pouvoir l’égaler. La mue de sa Ligue du Nord en Ligue nationale reste une chimère dans un pays où l’Etat et la nation sont plus des éléments rhétoriques que de véritables valeurs. La peur de l’islam peut être attisée mais l’efficacité d’un tel levier reste limitée dans un pays où la population de ­confession musulmane est sept fois moins importante qu’en France et qui ignore le « phénomène des banlieues ». Quant aux accents anti-establishment, ils sonnent faux alors que son parti a gouverné avec Silvio Berlusconi et détient le pouvoir dans les deux régions les plus riches d’Italie : la Lombardie et la Vénétie.

Le « FN italien » est aujourd’hui le M5S, véritable parti anticaste et seule alternative au Parti démocrate de Matteo Renzi. « Votez pour qui vous voulez mais pas pour les bouffons », avait lancé celui-ci à la veille du dernier scrutin européen, où sa formation a d’ailleurs triomphé. C’est la dernière fois que les électeurs ont suivi ce conseil. Ils créditent depuis dans les sondages le mouvement de l’histrion Grillo de scores identiques à ceux du FN, plébiscitent certains de ses cadres souvent trentenaires ou quadragénaires, lui ont confié la gestion de fiefs des partis traditionnels tels que Parme ou Livourne, et ­confirmé son implantation territoriale à chaque scrutin. Le M5S attend avec confiance les prochains rendez-vous électoraux. Le scrutin municipal dans six mois et surtout les législatives de 2018. Elles se dérouleront avec une nouvelle loi électorale, permettant pour la première fois des ballottages, combats dont le mouvement est pour l’instant toujours sorti vainqueur. S’il est encore trop tôt pour dire si la vague populiste déferlera sur la péninsule, on peut être certain qu’elle ne refluera pas de sitôt.

Olivier Tosseri ( Correspondant à Rome)

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