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    11/12/2015

    « Coquine », « bien gaulée », « soumise »

    Islamophobie, sexisme: les flics se lâchent pendant la perquis' d’un foyer pour femmes

    Par Heïdi Truong

    Mardi soir, les policiers débarquent dans un foyer pour femmes d’Argenteuil. Pendant la perquisition, la police se serait lâchée : « C'est du gâchis [de porter le voile]. Vous êtes jeune, belle et bien gaulée ». A StreetPress, Célia raconte sa soirée.

    Argenteuil, mardi 8 décembre, 20 heures. – « Police ! Police ! » Célia, 20 piges est tranquillement posée dans sa chambre, en train d’envoyer des SMS quand elle entend des cris et des coups portés dans la porte du foyer. Les forces de l’ordre déboulent en trombe dans ce foyer pour femmes en grande précarité, géré par l’asso muslim Baytouna.

    Quelques secondes plus tard, une quinzaine de policiers cagoulés, casqués pour certains, grimpent 4 à 4 les marches qui mènent à la chambre de Célia, seule ce soir-là dans le foyer. Arrivé à l’étage, un homme en bleu braque son arme dans sa direction. Les agents lui auraient intimé l’ordre de se mettre face au mur et lui arrachent son téléphone. Célia s’exécute :

    « Je n’ai pas eu le temps d’enfiler mon Jilbab [un grand-voile islamique qui couvre la tête et le corps, ndlr], heureusement que j’étais habillée d’une robe dotée d’un voile intégré. J’ai pu me couvrir rapidement. »
    Pendant près de 2h30, les forces de l’ordre retournent la maison. Célia nous raconte sa sale soirée et, elle l’assure, émaillée de commentaires sexistes et islamophobes. Car comme l’explique lui-même un agent, ils disent « ce qui leur passe par la tête ». Et c’est gratiné : « coquine », « bien gaulée », « tu as l’air con »

    Perquisition et fouille au corps

    Dans sa chambre, Célia est fouillée minutieusement par une policière. « Ils m’ont palpée à plusieurs reprises et m’ont arraché mon voile. » La situation est tendue :

    « Ils se demandaient entre eux en criant “ y’a d’autres personnes? “ Je me suis retournée pour leur répondre que non, mais un policier m’a crié : “ face au mur “, en me poussant afin que je plaque bien ma tête contre la paroi. Sa collègue appuyait fortement sur mon dos afin que je reste immobile. »

    Dans le pavillon, c’est le grand ménage de printemps : les affaires des 7 occupantes sont jetées au sol et 4 portes, fermées à clef, enfoncées à coup de bélier. Le contenu des ordinateurs et des téléphones portables est copié.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/montage.jpg

    4 portes ont été enfoncées à coup de bélier /

    Ambiance café du commerce

    Pendant que les policiers jouent les fées du logis, Célia est conduite au rez-de-chaussée. 3e fouille au corps. D’un ton plus léger, la policière tient à préciser : « Je fais ça car c’est mon métier, je préfère vous le dire pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté. » Célia esquisse un sourire. Quelques flics entament la conversation. Sur un ton badin, ils auraient enchainé les punchlines :

    « C’est du gâchis. Vous êtes jeune, belle et bien gaulée, vous pouvez vous en sortir ! »

    Une autre policière, plus virulente, se serait lancée dans des commentaires sur la femme musulmane, forcément « soumise » : « Combien de femmes se sont battues pour leurs droits! Pourquoi vous portez le voile? » Célia commence à perdre patience et lance « qu’est-ce que ça peut vous faire ? » en guise de réponse :

    « Non, je demande juste comme ça et soyez moins arrogante. »

    Un autre agent lui demande si elle porte le niquab dans la rue : « Oui mais avec un masque médical. » Et une policière aux cheveux très courts de lâcher selon Célia :

    « Vous devez avoir l’air con comme ça. Vous devez ressembler à une handicapée! »

    Dans la pièce, c’est ambiance café du commerce. Le commissaire fait son entrée et aurait lancé en guise de vanne, à sa collègue : « Tu n’es pas encore convertie? » Et d’enchaîner : « Le commissaire m’a dit de toute façon, tu ne peux pas être à la fois policier et musulman, ce n’est pas possible. » Puis une autre :

    « - Je suis sûr que t’es une petite coquine. – Pourquoi vous dites ça ? - Je dis ce qui me passe par la tête… »

    « Menace pour l’ordre et la sécurité publique »

    22h30, la police plie bagage. « Au revoir, bonne soirée ! », lance sans rire un agent. Pour Virginie, co-fondatrice de l’asso, cette perquis’ va laisser des traces :

    « C’est vraiment dur pour les filles, ce sont des femmes qui n’ont presque rien et le peu qu’elles ont, elles l’ont chez Baytouna. Et là ils ont tout saccagé ! Mais on reste combatifs, d’autant qu’on a reçu de nombreux soutiens de gens de toutes les confessions. Nous, on ne veut pas opposer les religions. »

    Difficile de connaître la motivation de cette perquisition. Seul indice, un récépissé fournit par les policiers. Sur le bout de papier, il est simplement indiqué que « l’association Baytouna (…) est fréquentée par des personnes dont le comportement constitue une menace pour l’ordre et la sécurité publique ».

    La chambre de Célia après le passage de la police :

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