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Tunisie : La terreur dans la cour de l’école

Jihad-lycees

Le terrorisme est en train de s’attaquer à l’un des symboles de la république et trésors de la nation tunisiennes: l’école moderne. Sommes-nous préparés à affronter le pire?  

Par Fredj Bouslama*

En dépit des efforts considérables que déploient les forces de sécurité et l’armée nationale dans la lutte contre le terrorisme, les révélations qui tombent après chaque intervention réussie font froid dans le dos.

Depuis quelque temps des informations récurrentes sur l’implication de jeunes lycéennes ou lycéens dans des affaires terroristes retentissent dans les médias sans aucune réaction de la part du ministère de l’éducation.

Un irresponsable manque de vigilance

Le fait est que nous avons tous observé avec une certaine légèreté et indifférence, depuis la révolution, des signes manifestes d’une sympathie exprimée par une certaine tranche de jeunes lycéens envers les idéologies extrémistes et ses machines de guerre dans le milieu scolaire.

Clamés par des foules de jeunes scolarisés en transe, le drapeau de l’Etat islamique, les étendards de Daech et les dessins glorifiant Oussama Ben Laden ont bel et bien été brandis devant nos yeux, en toute impunité, en pleine cours des lycées et sur les murs des établissements scolaires sans que personne ne bouge le petit doigt.

Le phénomène n’a jamais été traité sérieusement et ces messages qui nous ont été envoyés ont été mis sur le compte de déviance juvénile et de  comportement irresponsable de la part de petites bandes d’ados qui veulent jouer la provocation. L’évolution récente de la situation indique que ces petites manifestations ne sont que le bout apparent d’un iceberg immergé sous notre dangereuse insouciance et notre  irresponsable manque de vigilance et de réactivité dans un moment ou le pays tout entier est en situation de guerre franche et déclarée. En plus des cellules actives  et des cellules dormantes connues dans la catégorisation des mouvances islamistes extrémistes, l’école est devenue aujourd’hui le lit d’un troisième type de cellules non moins dangereuses qui sont «les cellules en couveuse».

Aujourd’hui et au vu des récents événements relevés par les médias, la menace se précise et s’intensifie. L’école n’est plus uniquement un terreau pour l’endoctrinement et le recrutement des militants pour la cause jihadiste, elle devient également la cible de projet d’actions terroristes.

Au lycée Ibn Arafa, à Chebika, gouvernorat de Kairouan, on a découvert une lettre dans laquelle les signataires, se réclamant de l’organisation terroriste de l’Etat islamique (Daech), ordonnant à la direction du lycée de séparer les filles des garçons et de changer le programme scolaire pour le remplacer par l’enseignement de la charia (loi islamique).

Les auteurs de la lettre anonyme menacent aussi de mort les enseignants qui se déroberaient à leurs injonctions.
Il y a quelques semaines, l’école Bechechma, délégation de Kondar, dans la région du Sahel, a vécu une histoire similaire. Le directeur de cette école a été menacé, dans une lettre anonyme, de décapitation s’il n’enseignait pas la charia aux élèves et n’abolissait  pas la mixité en classe.

Les événements  du weekend dernier confirment cette tendance. Un jeune lycéen de 14 ans, membre de la cellule qui a été démantelée dans le gouvernorat de Kasserine, a avoué son intention de se faire exploser dans l’un des établissements scolaires de sa région. Le même jour, une lettre de menace d’attentat à la bombe dans le lycée a causé la suspension provisoire des cours.

Un dispositif de veille et d’alerte

Le danger est imminent. La mort rode autour de nos écoles et de nos lycées et il n’est plus tolérable de continuer à espérer que ça n’arrive jamais. Nous sommes tous responsables de la protection de nos écoles et de nos enfants de ces menaces et devons réagir très vite.

Si par malheur et par négligence de notre part  les terroristes parviennent à mettre en exécution leurs menaces, toute la structure de la nation et de l’Etat sera dangereusement ébranlée. Aucun gouvernement ne résistera devant la colère et la douleur que pourrait provoquer un acte aussi horrible surtout s’il n’a rien fait pour répondre d’une manière réfléchie, ferme et efficace à ces menaces.

Nous avons besoin de mettre en place une stratégie globale et un plan d’urgence pour assurer  la protection des établissements scolaires et l’assainissement du milieu éducatif des «cellules en couveuse».

Des services spéciaux anti terrorisme et embrigadement pour mineurs doivent être créés. L’environnement des établissements scolaires doit être surveillé pour traquer des observateurs potentiels et des zones de sécurités interdisant le stationnement devant les établissements scolaires à risque doivent être établies. Des dispositifs de fouille et d’identification doivent être mis en place dans ces  établissements.

Les activités suspectes des lycéens sur les réseaux sociaux doivent être repérées et poursuivies. Des consignes de sécurité en cas d’attentat doivent être diffusées à grande échelle dans tous les établissements scolaires pour limiter les dégâts en cas d’attentat mais aussi pour provoquer un effet de choc nécessaire pour éveiller la vigilance et l’attention du personnel éducatif, des élèves et de leurs familles face à ce problème.

Un dispositif de veille, d’alerte et de prise en charge bien articulé et coordonné impliquant les familles des élèves, le personnel éducatif, les forces de sécurités, les instances juridiques, les services sociaux et de protection de l’enfance et des associations de la société civile  pour repérer et alerter des comportements et des attitudes suspectes des élèves à l’école et dans la famille.

Un programme de dés-endoctrinement et de réinsertion sociale et scolaire doit prendre en charge les élèves attirés par l’idéologie de la mort avant qu’ils ne s’enfoncent et qu’ils ne commettent l’irréparable.

Un vaste travail de sensibilisation, d’écoute et de dialogue doit être fait dans chaque école chaque collègue et chaque lycée. Un gros coup de pied dans la fourmilière doit permettre de mettre tout à plat, de voir plus clair et de séparer les bonnes des mauvaises  graines.

Il faut donc investir de l’argent, du temps, il faut mobiliser des hommes et des femmes. Il faut consacrer des espaces réels et virtuels et des outils pour être à la hauteur face à toutes ces menaces qui pèsent sur notre système éducatif et qui visent nos enfants. Il faut que nous sortions de cette posture attentiste et passive. Il faut monter à la charge pour protéger nos enfants et pour défendre l’un des grands symboles de la république, et l’un des trésors de la nation: l’école tunisienne moderne.

* Représentant de l’AMS en Tunisie et assistant du SGWSA pour le monde arabe.

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