Publicité

Laurent Bouvet : «Le problème du PS n'est pas son nom mais son vide idéologique»

Claude Bartolone et Julien Dray le 6 décembre JOEL SAGET/AFP

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Au lendemain des régionales, Julien Dray envisage un changement de nom du PS. Pour Laurent Bouvet, au lendemain des élections régionales, il est à craindre que tout change pour que rien ne change.


Laurent Bouvet est professeur de science politique à l'UVSQ-Paris Saclay. Son dernier ouvrage, L'insécurité culturelle, est paru chez Fayard.


LE FIGARO. - Julien Dray assure que le PS va «changer beaucoup de choses» dès lundi tandis que Jean-Christophe Cambadélis veut rassembler la gauche dans une grande alliance populaire. Que cela vous inspire-t-il?

Laurent BOUVET. - L'annonce de changements au sein des partis après une défaite électorale est un classique. Il est tout aussi classique que rien ne se passe. C'est tout particulièrement le cas au PS. Après 2002, rien ne s'est passé, l'affaire a été classée «accident électoral». Depuis les déroutes aux dernières municipales et départementales, même chose à quelques modifications cosmétiques près.

On peut craindre, pour le PS mais aussi pour la gauche, et donc pour le pays, que rien ne se passe, une fois de plus. Quant à «l'alliance populaire» du premier secrétaire du PS, outre le côté gadget pas du tout à la hauteur de l'enjeu, il est plus que douteux que cela puisse avoir un quelconque écho auprès des autres formations de gauche ou même du centre d'ailleurs, hormis auprès des mini-organisations créées par des personnalités de second plan dans l'orbite du PS (MUP, UDE…) dont le seul but est de devenir ministre.

A 18 mois de l'élection présidentielle, tout cela ressemble à un théâtre d'ombres.

Alors que le PS est lui-même divisé, peut-il se rassembler avec le Front de gauche et EEELV? Sur quelles bases?

Les divisions sur la politique économique ou la politique sécuritaire au sein du PS et à gauche sont aujourd'hui insurmontables, du moins elles restent insolubles dans un rassemblement commun sinon en désespoir de cause, entre deux tours, pour empêcher le FN ou la droite d'accéder au pouvoir comme on vient de le voir à l'occasion des élections régionales. Avec le succès que l'on sait en Ile-de-France par exemple.

Les électeurs franciliens comme les Français dans leur ensemble peuvent en effet avoir du mal à comprendre comment des responsables politiques qui ne sont d'accord sur rien voire qui s'invectivent à longueur d'année peuvent tout à coup s'allier et tenir des meetings communs entre deux tours d'une élection comme si de rien n'était.

L'exemple des déclarations d'élus et responsables EELV ou FdG contre l'état d'urgence ou les propositions du président de la République après le 13 novembre témoignent, au-delà même des divergences économiques, de l'existence de gauches irréconciliables.

Ce qui pose la question de la nécessité et de l'efficacité d'une alliance du PS avec ces formations. D'autant qu'elles ont démontré depuis 2012 leur faiblesse et, aminima, qu'elles étaient tout à fait incapables de récupérer des électeurs de gauche déçus par la politique du gouvernement.

On peut avancer l'hypothèse, comme on vient de le voir en Ile-de-France avec la campagne de Claude Bartolone et de ses alliés de gauche pour le second tour des régionales, qu'une telle alliance peut être rédhibitoire pour certains électeurs de gauche.

Bartolone a-t-il payé ses alliances avec des candidats qui ont soutenu et défilé, par exemple, avec des militants islamistes et avec les Indigènes de la République lors de la «Marche pour la dignité» à Paris le 31 octobre dernier? Ces mouvements sont-ils compatibles avec une gauche de gouvernement?

Ça a pu jouer en effet, d'autant que la campagne qu'a menée Claude Bartolone a été nettement orientée dans le sens de ce que l'on appelle depuis 2011 la «stratégie Terra Nova» qui vise à agréger au vote des catégories aisées de centre-ville (Paris en Ile-de-France) des groupes issus de «banlieue», notamment les «jeunes» issus de la «diversité» - je mets des guillemets à dessein à tous ces termes tant ils sont aussi réducteurs qu'essentialisant et donc illusoires. Mais c'est ainsi que c'était présenté par le think tank réformiste.

Les termes mêmes employés par Claude Bartolone à l'endroit de Valérie Pécresse, sur la « race blanche », participent à cette stratégie de tension identitaire.

Les termes mêmes employés par Claude Bartolone à l'endroit de Valérie Pécresse, sur la «race blanche», participent à cette stratégie de tension identitaire. Puisque le présupposé est que la droite et l'extrême-droite partagent visions du monde et détermination identitaire de leur côté également.

Or une telle stratégie, outre qu'elle a déjà abondamment démontré son inefficacité, conduit les électeurs à se mobiliser contre les traits les plus saillants et les plus caricaturaux d'une campagne. Cette fois, les liens entre certains colistiers d'EELV ou du FdG de C. Bartolone avec les militants islamistes, des mouvements comme le PIR ou avec une personnalité comme Tariq Ramadan - en meeting à Saint-Denis le vendredi soir avant le and tour! -, a pu conduire certains électeurs à vouloir «faire barrage» à ce genre de dérives dans un contexte où il n'y avait pas, par ailleurs, de menace FN.

Julien Dray évoque également un changement de nom du PS. A droite comme à gauche, le changement de nom marque-t-il un désarroi idéologique?

Ce n'est jamais très bon signe, surtout à chaud. Si changement de nom du PS il doit y avoir, cela doit être un processus de longue haleine qui associe largement les militants et pourquoi pas les sympathisants de ce parti.

Le désarroi idéologique est là, profond et destructeur. Il traverse tout le PS, de son aile droite à son aile gauche d'ailleurs. L'idée récurrente elle aussi, à l'issue de chaque défaite électorale, du salut par la gauche - si les électeurs ont privilégié la droite et le FN dans leur vote c'est que la politique du parti, du gouvernement et de la majorité n'est pas assez orientée… à gauche -, est une illusion aussi mortifère que l'idée qu'on peut continuer sur la même voie au gouvernement qu'avant les élections.

Faut-il alors changer totalement de logiciel ou au contraire revenir aux fondamentaux de la gauche républicaine?

Il faudrait sans doute faire les deux! Revenir aux fondamentaux de la gauche républicaine, cela permettrait de rompre avec les mauvaises habitudes identitaires prises depuis des décennies, et souvent comprises comme une réponse à la menace du FN. Non seulement ça n'a pas été efficace mais ça a conforté le FN qui n'aime rien tant que de pouvoir affronter la gauche sur ce terrain-là.

Un retour à la République à gauche, au-delà des incantations régulières qui font penser à des moulins à prière, cela signifierait aussi de réfléchir en profondeur à la refonte du contrat social et aux contours de la solidarité.

Un retour à la République à gauche, au-delà des incantations régulières qui font penser à des moulins à prière, cela signifierait aussi de réfléchir en profondeur à la refonte du contrat social et aux contours de la solidarité. Le sentiment d'abandon par l'Etat d'une partie croissante de nos concitoyens étant un terreau très favorable à toutes les dérives identitaires.

Enfin, une attention plus grande portée à la laïcité au quotidien pourrait également permettre un apaisement des tensions qui traversent la société française. Car, on s'en veut d'avoir à le rappeler, la laïcité n'est pas qu'une norme juridique de neutralité religieuse applicable au service public, c'est un des piliers de notre commun républicain. Le seul qui permette à la fois la liberté individuelle, notamment de croire ou de ne pas croire, en même temps que l'égalité de traitement et la possibilité de l'émancipation. Aucune autre forme de communauté d'appartenance ou de vie n'offre ces possibilités.

Le rôle de la gauche en ce début de XXIème siècle pourrait donc être de donner vie et consistance à ces possibilités offertes à tous nos concitoyens, sans distinction d'aucune sorte, plutôt que de soutenir telle ou telle communauté, plutôt que de privilégier telle ou telle identité contre une autre.

Laurent Bouvet : «Le problème du PS n'est pas son nom mais son vide idéologique»

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
34 commentaires
  • NondeNon

    le

    C' est vrai que face à l' idéologie de l'extrême-droite -- xénophobie , nationalisme, néo-conservatisme , ultra-libéralisme-- difficile d' opposer liberté, égalité , fraternité !

  • Troll gentil

    le

    Merci Article impeccable