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Cancer et hasard, la polémique rebondit

Le cancer est-il dû principalement à des erreurs aléatoires lors des divisions cellulaires, ou bien à des facteurs environnementaux ? Un article publié dans la revue « Nature » relance le débat.

Par  et

Publié le 16 décembre 2015 à 21h14, modifié le 17 décembre 2015 à 14h57

Temps de Lecture 4 min.

Un biologiste travaille à l'Institut universitaire du cancer de l'Inserm à Toulouse, le 10 octobre 2014.

Le cancer est-il dans deux tiers des cas la « faute à pas de chance » ou bien très majoritairement dû à des facteurs héréditaires ou environnementaux – pollutions, alcool, tabac, surpoids, infections virales ou bactériennes, rayonnements ? Un article paru en janvier dans la revue Science avait suscité un vif débat en mettant en évidence une corrélation entre le nombre de divisions de cellules souches intervenant au sein d’un tissu et le risque d’apparition d’un cancer dans ce même tissu, tout au long de la vie. Les auteurs, Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein (université Johns-Hopkins, Howard Hughes Medical Institute) avaient laissé entendre qu’ils avaient ainsi démontré que les deux tiers des cancers étaient attribuables au pur hasard – alors qu’il s’agissait d’expliquer les différences de risque relatif de survenue de tel ou tel cancer.

L’écho donné à ces recherches devait susciter en retour un flot de critiques sur les raccourcis journalistiques employés pour les présenter, la méthodologie des auteurs et sur le coup porté aux politiques de prévention par un message qui semblait dédouaner en partie les comportements à risques – alcool, tabac... – et les expositions environnementales ou professionnelles.

Démêler la part du hasard

Une étude publiée dans Nature le 17 décembre relance la polémique : une équipe de l’université Stony Brook, partie du même jeu de données, aboutit à une conclusion diamétralement opposée. Selon Yusuf Hannun et ses collègues, entre 10 % et 30 % seulement du risque de cancer seraient d’origine « intrinsèque », c’est-à-dire tributaire de facteurs purement aléatoires.

L’étude de Nature part des mêmes prémisses que celle de Science, à savoir que les phénomènes cancéreux ont pour origine une division cellulaire qui « tourne mal ». Mais les facteurs responsables de ces dérapages peuvent être aussi bien intrinsèques – une réplication erronée aléatoire de l’ADN – qu’extrinsèque – par exemple des rayonnements UV ou des agents mutagènes. La corrélation mise en évidence dans l’article de Science ne permet pas de différentier la contribution de ces facteurs, assurent les chercheurs de Stony Brook dans Nature.

Pour démêler la part du hasard, ils proposent de retenir, dans différents tissus présentant le même niveau de divisions cellulaires, ceux qui ont le taux de cancer le plus bas – le risque supplémentaire observé dans les autres tissus devant logiquement être attribué à d’autres facteurs (hérédité ou environnement au sens large). Ils concluent que l’essentiel du risque (entre 70 et 90 %) est d’origine environnementale.

Autant dire que leur conclusion ne convainc pas du tout les auteurs de l’article de Science. Cristian Tomasetti estime que l’analyse de ses confrères est « techniquement non appropriée », qu’elle confond risque relatif et absolu, par exemple. Il souligne que cette approche erronée conduit à conclure par exemple que plus de 99,9 % des cancers de la prostate seraient d’origine environnementale – alors que ces facteurs de risque ne sont pas connus.

Bataille confuse entre revues rivales

L’épidémiologiste Catherine Hill (Institut Gustave-Roussy), qui pointe certaines faiblesses de l’article originel de Tomasetti et Vogelstein, juge que la corrélation qu’il dévoilait « mérite des investigations complémentaires ». Mais l’approche adoptée par les chercheurs de Stony Brook lui semble aussi « discutable », notamment dans certains aspects touchant l’épidémiologie. Son collègue Serge Koscielny souligne que l’analyse porte sur des logarithmes, « ce qui laisse des variations d’un facteur 1 000 à expliquer, si bien qu’in fine, tout est question d’interprétation ».

Lee Altenberg, de l’Institut Konrad Lorenz de Klosterneuburg (Autriche), avait mis en ligne une étude critique des outils statistiques utilisés dans l’article de Vogelstein et Tomasetti. Il estime que celui publié dans Nature n’est pas exempt non plus de faiblesses méthodologiques. Les hypothèses retenues par les deux équipes « devront être testées sur bien plus de données que celles présentées », conclut-il.

L’oncologue Fabrice Denis reste lui aussi perplexe face à cette bataille confuse entre deux grandes revues rivales, dont la cancérologie n’est pas la spécialité. « Les deux camps vont chacun dans l’excès. Les objections de Tomasetti sont justes, mais les deux équipes font erreur en ignorant la clinique et des phénomènes biologiques fondamentaux. » Ce qui module l’apparition ou non d’un cancer, explique-t-il, ce n’est pas seulement le taux de divisions et de mutations au sein d’un tissu, mais tout son micro-environnement, c’est-à-dire les cellules saines capables ou non de se mobiliser pour contrer la mécanique tumorale.

« Nous ne négligeons pas ces mécanismes, assure Yusuf Hannun. Mais nous montrons qu’agissent aussi des facteurs externes qui, contrairement au tabac pour le cancer du poumon, ne sont pas encore connus, et qui peuvent se combiner. Sinon, comment expliquerait-on que l’incidence du cancer de la prostate par exemple puisse être 25 fois plus élevée dans certains pays que dans d’autres ? » Il cite aussi le cas de populations de migrants venant de pays où certains types de cancers ont une faible incidence, qui présentent ensuite les même taux de cancers que ceux observés dans leur pays d’accueil. La querelle ne sera pas inutile, dit-il, si elle permet d’aller plus loin dans la recherche de ces facteurs environnementaux encore à découvrir.

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En attendant, constate Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière, « en clinique, il est souvent difficile d’expliquer à un patient les raisons pour lesquelles il a développé tel type de cancer. Il n’y a pas de contradiction entre le hasard et les facteurs environnementaux. Les deux vont de pair : le débat n’est pas très intéressant ». Si pour certaines leucémies, aucun facteur environnemental ou génétique n’est identifié, « une chose est sûre, insiste-t-il : si on supprimait les facteurs évitables tels que tabac, alcool, malbouffe, 25 à 30 % des cancers pourraient être évités ».

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