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Le pari fou de la formule 1 électrique

Formule E, une nouvelle compétition de sport automobile, va voir le jour cette année, avec des monoplaces 100 % électriques. Plongée dans les coulisses de ce projet inédit.

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Sept ans après les premiers travaux, la « Formule E » va prendre son essor en septembre 2014.

Par Denis Fainsilber

Publié le 16 janv. 2014 à 15:13

Si l’on ne remarque pas ses roues plus grandes (18 pouces), plus carénées pour des raisons aérodynamiques et l’absence pourtant notable, à l’arrière, de pots d’échappement, on pourrait la prendre, au premier abord, pour une formule 1. Ou l’une de ces autres monoplaces disputant leurs propres championnats, comme les GP2, surtout présentes en Europe, ou les Indycar, courses chères au public américain. Mais dès que la bête quitte son paddock, le doute n’est plus permis. Dans les lignes droites, sa signature sonore aiguë ressemble surtout à celle d’un avion de ligne au décollage, en beaucoup plus discret (80 décibels maximum). Rien à voir en tout cas avec le cri rugueux et déchirant des F1 de Vettel ou Alonso, qui obligent certains spectateurs des circuits à se munir de bouchons d’oreille et engloutissent près de 75 litres d’essence aux 100 kilomètres.

Sept ans après les premiers travaux, la « Formule E » va prendre son essor au deuxième semestre 2014, avec un double but : montrer que les véhicules 100 % électriques ne sont pas si ridicules en termes de performance et réconcilier les centres-villes avec le sport automobile, grâce à un nouvel outil « zéro émission », qui sera déployé d’emblée en Asie, Europe, Amériques du Nord et latine. Au point de ringardiser à terme la prestigieuse formule 1 ? On en est évidemment encore très loin, mais l’avenir dira si la « greffe verte » a pris auprès du public.

En amont du lancement officiel de la compétition, et même des essais que les dix écuries mèneront à partir de la fin mai sur le circuit de Silverstone (Grande-Bretagne) et chez Michelin à Clermont-Ferrand, le modèle économique est déjà bien bordé. Et à voir les people qui ont déjà accepté d’investir dans le projet, on comprend que la Formule E n’est pas juste une équipe de joyeux drilles désireux de s’amuser une dizaine de week-ends dans l’année. Quadruple champion du monde de F1, Alain Prost sera l’un des deux actionnaires de l’unique écurie française DAMS, basée au Mans, et qui ajoute une discipline à son arc. Leonardo DiCaprio a investi pour sa part dans le team monégasque Venturi, à côté de Gildo Pastor, l’un des entrepreneurs les plus en vue de la Principauté. Le comédien et producteur américain « a de vraies connaissances dans le véhicule électrique, il veut faire de ce championnat un véritable laboratoire technologique ; et par le biais de sa fondation, il est impliqué depuis longtemps dans les thèmes touchant à l’environnement », dit de lui son nouvel associé monégasque. Dans les rangs britanniques, le plateau compte l’inévitable touche-à-tout sir Richard Branson, qui finance sa propre écurie Virgin. Dans les paddocks, il sera notamment en concurrence avec lord Paul Drayson, un ex-ministre travailliste des Sciences, qui a lui-même couru Le Mans en 2009 et 2010, et fut le premier à engager une écurie pour la toute nouvelle série électrique. Enfin, le parrainage sportif et technique de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), que son patron Jean Todt n’accorde pas à toutes les compétitions, loin de là, devrait crédibiliser ce championnat dès son démarrage en septembre.

Un budget de 40 millions d’euros par saison

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Malgré la curiosité de nombreux industriels pour la propulsion électrique, la genèse de cette nouvelle formule a failli tourner à la sortie de route. Tout commence en 2008, lorsqu’Eric Barbaroux, un ingénieur polytechnicien ayant dirigé le Grand Prix de France à Magny-Cours, crée une structure avec Pierre Gosselin, un associé spécialiste de l’événementiel, pour promouvoir Formulec, un nouveau championnat de monoplaces monotype, uniquement alimentées aux watts. François Fillon, fana de course automobile, et le déterminé Jean Todt, qui a mobilisé ses techniciens sur le projet, ont beau se pencher sur le premier prototype en marge de l’édition 2011 du Mans, la mayonnaise a du mal à prendre. « Au début 2012, la FIA n’était pas loin d’abandonner. Personne ne voulait se positionner en tant que promoteur », raconte Frédéric Vasseur, propriétaire de l’écurie française ART Grand Prix. A l’époque associé aux essais sur piste de la Formulec, ce dernier est désormais chargé d’assembler, dans son atelier d’un petit village de l’Yonne, les 40 bolides de la Formule E pour le compte de toutes les écuries par le biais d’une nouvelle structure, Spark Racing Technology.

C’est alors qu’est entré en piste l’homme décisif : Alejandro Agag, un homme d’affaires espagnol travaillant en Grande-Bretagne « qui s’est très bien projeté dans le truc et a trouvé les financements », résume Frédéric Vasseur. Fils d’un dirigeant de la Banque nationale d’Algérie, Agag est ancien député européen (sous l’étiquette du PPE espagnol), marié à la fille de l’ex-Premier ministre José Maria Aznar. Reconverti par la suite dans les « hedge funds » et le sport auto, l’homme, qui compte dans son carnet d’adresses Bernie Ecclestone, Flavio Briatore ou Lakshmi Mittal, avait signé un joli coup en 2002 en achetant à vil prix les droits télévisés de la F1 pour l’Espagne, pour les céder un peu plus tard à Telecinco, en pleine « fièvre Alonso ». Propriétaire d’une écurie de GP2 (l’antichambre de la F1 pour de nombreux pilotes, qui a remplacé la Formule 3000), récemment vendue, l’homme est à la recherche de nouveaux défis.

Le déclic a lieu en avril 2012, lors d’un dîner avec Jean Todt en marge du Grand Prix de Bahreïn. Banco : en août de la même année, la FIA vend les droits commerciaux du championnat 100 % électrique à un ­consortium d’investisseurs internationaux, Formula E Holdings (FEH), emmené par Agag. « J’ai cru au potentiel commercial, principalement en écoutant différents sponsors, qui étaient prêts à s’engager dans le sport automobile, mais de moins en moins enthousiastes envers la F1, pour des questions environnementales. Pour moi en tout cas, la Formule E est un projet de long terme », explique l’homme d’affaires aujourd’hui âgé de quarante-trois ans ( voir son interview complète).

Pas question, bien évidemment, de brasser pour l’instant autant d’argent que dans la discipline reine : « La formule 1 génère 1.500 millions d’euros de droits commerciaux par an ; si Alejandro fait 5 % de ça, ce sera le plus heureux des hommes », sourit un proche. Au total, une saison de « FE » demande un budget de près de 40 millions d’euros tout compris, couvert en majorité par les sponsors (Qualcomm, DHL, TAG Heuer, Michelin et d’autres qui ne sont pas encore dévoilés). Quant au budget de fonctionnement de chaque écurie, il reste dans des proportions sages : 3,5 à 4 millions par an, avant salaire des pilotes. Des montants équivalents au plateau de GP2.

Question vitesse, les Formule E seront limitées à 225 km/h maximum : un train de sénateur comparé à une formule 1 pouvant réaliser des pointes jusqu’à 365 km/h, suffisant néanmoins pour des circuits urbains

L’important, pour toutes les parties prenantes, est surtout d’inventer un format de course inédit et de drainer un nouveau public. « A l’heure où les centres-villes se ferment de plus en plus aux véhicules polluants, la propulsion électrique a une belle carte à jouer. Et en étant dans les métropoles, ces courses seront proches des gens, là où ils vivent, où ils font leur shopping », souligne Hervé Bodinier, patron de l’agence de marketing sportif Sponsorship 360 et responsable du sponsoring pour TAG Heuer, le chronométreur officiel de la compétition. Les rallyes WRC sont difficiles à filmer en pleine nature et les compétitions sur piste se tiennent souvent sur des circuits au diable Vauvert, comme Silverstone, « or là, ce sont les seules courses où le public pourra venir en métro », ajoute Frédéric Vasseur, chez Spark.

Pour ne pas trop perturber la circulation, chaque grand prix aura lieu sur une seule et même journée (qualifications, course). Des manches de kart électrique devraient égayer les temps morts et un concert d’une rock-star aura lieu après chaque épreuve, l’idée étant d’attirer un public jeune et familial. Côté médiatisation, le promoteur a signé un contrat avec l’américain Fox pour une diffusion dans 88 pays, et des discussions se poursuivent avec les chaînes pour d’autres audiences, dont la France ou la Chine.

Dix villes sélectionnées pour la première saison

Séduites par cette vitrine de la mobilité durable, qui se tiendra dans des décors très télégéniques, dix villes ont signé d’emblée pour la première saison, dont Pékin, Rio de Janeiro, Miami, Berlin ou Londres, qui clôturera la première saison en juin 2015. A terme, le nombre de villes pourrait passer à douze (Hong Kong est près de signer) voire plus. Pour l’instant, Paris qui a été la première capitale à se lancer dans la voiture électrique à grande échelle (Autolib’) n’a pas donné suite aux propositions de FEH. « Mais les discussions se poursuivent, et je reste optimiste sur le fait qu’on pourra y rouler un jour », souligne Alejandro Agag.

Les courses proprement dites se dérouleront sur des circuits d’environ 3 km, et dureront à peine cinquante minutes. Limité par la charge de la batterie, chaque pilote disposera de deux monoplaces identiques et devra changer une à deux fois de véhicule durant la course. Un élément qui tue un peu le spectacle, mais pas plus qu’en formule 1, où les changements de pneus continuels (trois à quatre par grand prix) déroutent déjà les spectateurs les plus motivés. L’idéal serait de faire sauter cette contrainte, ce sur quoi les ingénieurs travaillent déjà. Si Spark livre en 2014 les mêmes voitures aux dix écuries, « dès la deuxième année, nous aurons nos propres voitures, et nous faisons déjà tourner au banc à Monaco nos moteurs pour l’année deux », révèle Gildo Pastor, chez Venturi, qui devrait également fournir ces moteurs à deux écuries rivales, comme le veut le règlement. Mais c’est surtout Audi, le « kolossal sponsor » de l’écurie allemande ABT, qui a des chances de fournir ses concurrents en groupes motopropulseurs par la suite.

Le grand point critique à améliorer sera la batterie lithium-ion. Pour le moment, ce volumineux composant, isolé du feu comme des chocs électriques, situé juste derrière le baquet du pilote, avoue sur la balance un poids de… 320 kilos avec sa boîte de vitesses ! Un point noir, il est vrai grandement compensé par le moteur électrique, fourni par McLaren, et qui ne pèse, lui, que… 18 kilos, pour une puissance maximale équivalente à 260 chevaux. Question vitesse, les Formule E seront limitées à 225 km/h maximum : un train de sénateur comparé à une formule 1 pouvant réaliser des pointes jusqu’à 365 km/h, suffisant néanmoins pour des circuits urbains, d’autant que la propulsion électrique confère un couple très élevé, sans aucun temps de réponse lors des accélérations.

Dans les rangs des pilotes, en tout cas, la nouveauté de la formule ne décourage pas les candidats, bien au contraire. Tandis que les contrats sont en train d’être négociés, « je reçois plein de demandes », explique Jean-Paul Driot, le dirigeant de l’écurie française eDAMS, chez qui Nicolas Prost, fils d’Alain, est fortement pressenti. Les candidats viennent de tous les horizons : ex-pilotes de F1, de GP2, d’IndyCar ou d’endurance. « Peut-être que l’on arrive un petit peu tôt. Mais on vit dans un monde qui évolue, et je ne pouvais pas laisser passer une opportunité comme celle-là », ajoute le patron-actionnaire de l’écurie tricolore.

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