
« Entre “kalach’” et “Martel” », l’alternative est peu commode. C’est ainsi qu’est titré l’épilogue du livre Terreur dans l’Hexagone (Gallimard, 2015), écrit par le politologue et spécialiste du monde arabe Gilles Kepel.
Sorti le 16 décembre, l’essai fait déjà beaucoup parler de lui, notamment parce qu’il s’est attiré l’ire de Marine Le Pen. Consacré à la montée du djihadisme en France, le livre évoque en marge une « congruence » entre la montée de l’extrême droite et celle du terrorisme djihadiste.
« Bien sûr ce n’est pas la même chose mais […] [ces phénomènes] se ressemblent », a affirmé mercredi l’auteur interviewé par Jean-Jacques Bourdin. Pour dénoncer ce « parallèle » supposé entre son parti et l’organisation Etat islamique (EI), la présidente du Front national (FN) a publié des photos de propagande de l’EI extrêmement violentes, avec la mention « Daesh [l’acronyme arabe de l’EI] c’est ça ».
« Je lui propose de lire le dernier chapitre de mon livre […] où je creuse cette réflexion comparée sur les replis identitaires », a suggéré Gilles Kepel à la responsable politique après ce geste qui lui a valu des poursuites.
Dans la partie de son livre concernée, l’auteur dénonce une « crise sociale » française. Mis à jour après les attentats du 13 novembre, le texte consacre quelques lignes au score record – anticipé dans les sondages à l’époque – du Front national aux élections régionales. On y lit notamment ceci :
« L’irruption djihadiste, derrière laquelle pointe l’implantation du salafisme, […] n’est pas un phénomène isolé. Les succès électoraux du Front national et l’invasion du Web par les sites identitaires et “conspirationnistes” […] constituent des “fractures françaises” parallèles. »
« Mobilisations contestataires »
Alain Soral, Dieudonné et la « fachosphère » sont donc également visés. Pour Gilles Kepel, conspirationnisme, islamophobie ou salafisme sont les symptômes d’une même crise sociale. Des réponses parfois opposées trouvent un public auprès d’une frange de la société qui se vit comme délaissée. Elles s’imposent en alternatives :
« Deux types de mobilisations contestataires se sont développées en parallèle : le nationalisme identitaire d’extrême droite et le référent islamique. »
C’est le grand écart de la « kalach’» à « Charles Martel ». La référence au vainqueur de la bataille de Poitiers contre l’émir de Cordoue Abd El Rahman en 732, est un classique dans les rangs de l’extrême droite. « Je suis Charlie Martel », affirmait encore Jean-Marie Le Pen, alors président d’honneur du FN, au lendemain des attentats du 7 janvier.
Gilles Kepel relève « un effet miroir quasiment parfait » : décryptant dans le détail la construction de certaines vidéos de propagande salafistes, l’auteur remarque que le VIIIe siècle est évoqué, là aussi, comme un passé héroïque.
Ces mouvements seraient « porteurs […] d’une forte charge utopique qui réenchante une réalité sociale sinistrée en la projetant dans le mythe où les laissés-pour-compte d’aujourd’hui seront les triomphateurs de demain », explique l’auteur.
Le chercheur évoque aussi une dynamique qui ne souffre plus vraiment de tabou : « l’an 2015 a renforcé la progression d’une extrême droite dénonçant l’“islamisation de la France”. » Ainsi, si la position de chef de guerre a profité temporairement au président de la République, François Hollande, « seul le FN semble désormais en position de profiter quasi mécaniquement de tous les facteurs anxiogènes liés au terrorisme djihadiste », analyse M. Kepel.
Le FN et le radicalisme se nourriraient mutuellement, le repli de l’un servant l’argumentaire de l’autre. Pour Gilles Kepel, le terrorisme a aussi remplacé le Front national « comme l’archétype du mal à terrasser, dont on accuse ses adversaires de faire le jeu ».
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