Sarra, 23 ans, voulait commettre un attentat kamikaze à Disneyland

Absente de son procès à Paris et probablement emprisonnée en Tunisie, la jeune femme, radicalisée sur Internet, était prête à mourir en martyre. Récit.

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Sarra a arrêté les cours, car un professeur ne voulait pas qu'elle porte le voile intégral en classe.
Sarra a arrêté les cours, car un professeur ne voulait pas qu'elle porte le voile intégral en classe. © AFP

Temps de lecture : 8 min

Au fond de sa chambre, Sarra, 20 ans, passe son temps derrière son ordinateur. La jeune femme est du genre timide, peu bavarde, et sa famille, « un père poule et une maman poule », comme elle dit, se demande souvent ce que leur fille chérie traficote à longueur de journée. Dans l'appartement familial du 20e arrondissement de Paris, où ses deux parents, d'origine tunisienne, ont construit leur vie, Sarra participe activement au « djihad médiatique » et projette de commettre des attentats kamikazes en France au nom d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). Mercredi, elle était jugée en son absence par le tribunal correctionnel de Paris pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

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Plutôt bonne élève, Sarra est allée à l'école, au collège, au lycée, a obtenu son bac en 2009 sans trop de problèmes, a suivi quelques mois des cours de droit à l'université Paris-Sud. Avant, enfin, de rejoindre une école de commerce, qu'elle quittera presque aussitôt. Car ce jour de 2011, Sarra est furieuse. Son professeur d'anglais ne la laisse pas porter son voile en cours. Puisque c'est comme ça, elle n'ira plus à ce cours, et restera chez elle. Qu'importe que son père, ce modéré, qui trouve que la France est un pays « clément » pour les musulmans, et qui est choqué de la voir porter le niqab, le lui interdise dans sa propre maison. Sarra se retranche dans sa chambre. Et, comme toujours, s'assoit derrière l'écran de son ordinateur.

Elle se confie à Mohamed Achamlane, d'abord, le charismatique leader de Forsane Alizza, qui lui a donné son numéro qu'elle conserve précieusement dans son carnet d'adresses. Abou Hamza, comme il se surnomme lui-même, condamné en juillet 2015 à 9 ans de prison pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, lui conseille de filmer sa professeur d'anglais pour l'humilier ensuite sur les réseaux sociaux. Sarra apprécie cet émir qui l'influence beaucoup, et qui l'a fait adhérer à son groupuscule en échange d'une cotisation de quelques euros par mois. Un jour, Sarra avait reçu, fière et le coeur serré, une missive, avec cet en-tête : « Bienvenue chez Forsane Alizza. » À la fin, le courrier expliquait : « Notre objectif est le retour du califat. » La jeune femme adhère, arrête totalement les jeux vidéo. Son passe-temps à elle, c'est désormais la religion.

Traductrice pour Al-Qaïda

Sarra lit tout ce qu'elle peut sur le djihad, sur Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). Elle traduit des textes, des prêches, prend des cours d'arabe et de religion, se forge une existence sur la Toile, relaie la propagande islamiste sur les réseaux sociaux, où elle est très active. Elle multiplie les contacts avec des radicaux, comme « Abdoul M. » qui lui confie vouloir rejoindre les shebabs somaliens. En décembre 2011, grâce à ses nouveaux cyberamis, Sarra prend seule le TGV pour Nice, où des « sœurs » du sud de la France l'attendent. Elle doit être accueillie par un certain émir Omar, qui doit l'aider à partir en terre de djihad. Mais le jour de son arrivée, l'émir Omar est interpellé par la police. Les enquêteurs en sont persuadés, car tout correspond : l'émir Omar en question est Omar Diaby, un Français d'origine sénégalaise installé à Nice, un des principaux recruteurs français d'Al-Qaïda puis de l'organisation État islamique. Sarra ne joue plus.

Elle retourne à Paris et désespère de ne pas avoir encore de mari. Sa dernière expérience amoureuse a été une grosse déception. Elle passe désormais la moitié de son temps sur des sites de rencontres, l'autre moitié sur des sites islamistes. Le passe-temps est devenu une obsession. Fin janvier 2012, la jeune femme veut aller au Yémen, se fait refouler à la frontière. Ce sera finalement Le Caire, en Égypte. Elle se marie religieusement. Une nouvelle fois, papa intervient, part en Égypte récupérer sa fille, parvient à faire annuler ce mariage religieux pour lequel il n'avait pas donné son accord. Elle proteste en vain : « Je ne voulais pas rentrer en France. » Le père s'en moque, il la ramène chez lui. Sarra se radicalise encore davantage.

Un attentat contre Euro Disney ou la Société générale

La jeune femme ne manque pas un numéro d'Inspire, la revue d'Aqpa, qu'elle dévore du début à la fin. Au printemps 2012, elle lit avidement un long article, « Le convoi des martyrs », qui est en réalité un appel pur et simple au djihad individuel, aux « loups solitaires », « aux frères qui souhaitent mener une opération pouvant tuer un maximum d'ennemis d'Allah », selon le document. L'organisation terroriste met à disposition de ses ouailles un formulaire de candidature et une clé de chiffrement, pour pouvoir converser à l'abri des grandes oreilles des renseignements. Sarra a l'habitude, elle qui utilise déjà plusieurs adresses mails. Au fond de sa chambre, devant son ordinateur, la jeune femme remplit un questionnaire sur sa vie, donne des informations sur elle, son niveau d'études, informe sur sa capacité à manier des armes – elle est totalement débutante. Enfin, Sarra développe en quelques lignes son projet criminel : une action kamikaze contre Euro Disney, symbole des intérêts américains en France. Elle affirme n'avoir reçu aucune réponse.

Quelques semaines plus tard, Sarra formule un nouveau voeu à Aqpa, en envisageant cette fois-ci de s'en prendre aux locaux de la Société générale. Aucun de ces échanges n'a été retrouvé par la police. Mais Sarra affirme avoir reçu une réponse : « Aqpa n'enrôle pas de femmes. » Une thèse qui convainc peu les enquêteurs, des femmes ayant déjà commis des actions kamikazes au nom de « la cause »…

« Je suis un relais médiatique de la cause »

Malgré un activisme constant sur Internet, l'apprentie djihadiste est inconnue des services de renseignements lorsqu'elle a affaire pour la première fois à la police en février 2013. Les enquêteurs ont identifié une de ses adresses e-mail comme étant en lien avec une filière d'envoi de djihadistes. Son matériel informatique est saisi. Mais Sarra n'est pas trop inquiète, elle roule sa bosse en informatique, a suivi les instructions d'Aqpa à la lettre, a chiffré ses échanges et a dissimulé des fichiers compromettants. Faute de preuve, elle est relâchée au bout de 41 heures de garde à vue.

Pendant des mois, la police va éplucher ses disques durs. Après un examen minutieux, elle trouve des dizaines de vidéos djihadistes, des logiciels de chiffrement et Tor (une porte d'accès aux darknets). Sarra, quant à elle, se passe d'ordinateur et utilise désormais son iPhone. Depuis son lit, elle continue à surfer sur les sites djihadistes. Lorsqu'elle est mise une deuxième fois en garde à vue en octobre 2013, les enquêteurs retrouvent sur son téléphone des prêches islamistes, des images de martyrs ensanglantés – toujours le sourire aux lèvres –, et même un chant de louanges à la gloire du lion Mohamed Merah. Sarra reconnaît avoir participé au « djihad médiatique », mais affirme que ses projets d'attentats sont derrière elle, qu'elle n'aurait jamais franchi le pas : « Je n'ai fait usage que de mes doigts, d'un clavier et d'un écran », dit-elle. Elle est astreinte à un contrôle judiciaire extrêmement strict, avec obligation de pointage et interdiction de quitter son arrondissement. Ses papiers d'identité lui sont confisqués.

La fuite en Turquie

Un an plus tard, la situation s'est améliorée. Sarra n'a pas violé une seule fois son contrôle judiciaire. Aussi quand elle demande à pouvoir séjourner en Tunisie aux côtés de sa mère du 26 septembre au 7 octobre 2014 pour fêter l'Aïd, le juge n'y voit pas d'inconvénient et lui donne son accord oral. Et ce, d'autant plus, que Sarra semble enfin prendre pied dans la communauté : son mariage civil doit être célébré à Paris le 14 octobre. Le 10 septembre, pourtant, une note de la DGSI parvient au juge. « Sarra L. pourrait bientôt tenter de rallier la Syrie en profitant d'une permission de sortir », peut-on lire. Le juge revient aussitôt sur sa décision. Sarah ne décolère pas. Le 2 octobre, alors que sa mère est en Tunisie, et que son père est parti travailler, elle prend sa valise, son passeport – tunisien probablement – et 600 euros, et s'envole pour la Turquie. Elle déjoue un contrôle judiciaire très strict et une surveillance intensive des services de renseignements. La jeune femme laisse derrière elle une lettre à sa sœur : « J'ai rêvé de ce moment-là et je suis sur le point de réaliser mon rêve. »

Un mandat d'arrêt international est lancé contre elle. Sarra est introuvable. Sa famille affirme aujourd'hui qu'elle aurait été refoulée de Turquie et qu'elle serait actuellement détenue à Tunis. Sollicité par les autorités françaises mardi soir, le parquet tunisien n'était pas en mesure de confirmer. Mercredi, à l'audience, devant le tribunal correctionnel de Paris, la procureur s'est montrée intraitable : « On pourrait voir Sarra comme une jeune femme dont la radicalisation a commencé à 20 ans, fragilisée à la suite d'une peine de cœur et qui se cherchait désespérément un mari. (...) Ne vous fiez pas à ce portrait, Sarra n'est pas une proie ! » Et la procureur de réclamer une peine de cinq ans d'emprisonnement.

Son avocat, lui, n'a pu que déplorer l'absence de sa cliente : « De chaque côté de cette allée, à la fin de cette audience, nous sortirons inquiets, car nous ne savons pas qui est Sarra, a-t-il lancé. Nous n'avons aucune réponse quant à sa situation géographique. Et aucune réponse à une question fondamentale : comment une jeune fille de 20 ans, intelligente, peut avoir comme but, comme objectif unique, d'émigrer vers un pays qui applique la charia, où sa condition de femme serait déplorable ? Comment une jeune femme peut avoir comme but d'aller vers un pays qui lui enlèverait ses droits, et qui la réduirait pratiquement à l'état d'esclave ? Cette réponse, on ne l'aura pas et c'est infernal, car, finalement, on n'a pas avancé. »

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Commentaires (26)

  • mlg72

    Mais ça aurait pu marcher, déguisée en Barbapapa au milieu de Mickey Minnie et Donald, seul un fin limier ancien "enfant de la télé" aurait pu déceler l'anachronisme.

  • Jean-Paul du 38

    Ces dérives relèvent de la psychiatrie, et pas d'autre chose.

  • FLYTOXX

    Oui, pourquoi s’entêter à vouloir absolument garder en France une personne qui ne s’y sent pas bien, qui en veut à son pays au point d’être prête à sacrifier sa vie pour tuer un maximum de concitoyens innocents ?
    Si elle arrive à quitter la Tunisie, laissons-là donc partir dans un de ces paradis islamiques et vivre la vie qu’elle a choisie puisque son bonheur est de vivre cloîtrée, sous la férule d’un mari qu’elle partagera avec quelques autres épouses, et passer son temps à prier son dieu.
    Elle a eu la chance de vivre et d'être éduquée dans une société tolérante et ouverte où elle pourrait vivre librement sa religion. Elle fait le choix de l'obscurantisme en toute connaissance de cause. Qu'elle assume !