Les déchirants poèmes de Xu Lizhi, “iSlave” chinois

Par Xavier de Jarcy

Publié le 18 décembre 2015 à 14h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 06h06

Cela se passe aujourd’hui. Pas à l’époque de Dickens, de Zola ou des Temps Modernes de Chaplin. Le 30 septembre 2014, le Chinois Xu Lizhi, 24 ans, se suicidait à Shenzhen. Il suait depuis 2010 sur les chaînes de production de Foxconn, géant mondial des produits électroniques grand public aux 1,4 million de salariés, fondé par le milliardaire Terry Gou. Dans le sud de la Chine, près de Hongkong, les usines de Shenzhen, baptisées Foxconn City, ont pour clients Amazon, Apple, Microsoft, IBM, Samsung, HP, Dell, Sony… Regroupant 350 000 ouvriers et ouvrières travaillant soixante heures par semaine, elles produisent ces smartphones, ordinateurs, consoles de jeu, liseuses et tablettes qui sont pour nous le signe de la modernité, et pour ceux qui les assemblent celui de la souffrance.

En 2010, dix-huit « iSlaves » de la multinationale taïwanaise, âgés de 17 à 25 ans, ont tenté de se suicider. Quatorze d’entre eux y sont parvenus, les autres souffrant de graves séquelles. En réponse, Foxconn n’a rien trouvé de mieux que de poser des grillages aux fenêtres et de tendre des filets de sécurité entre les bâtiments, pour empêcher les ouvriers de se tuer en sautant des dortoirs. A la suite de ces suicides, plusieurs ouvriers-esclaves ont raconté à des ONG et à des chercheurs leurs journées abrutissantes. Elles résultent, faut-il le rappeler, d’une « organisation scientifique du travail » conçue par l’ingénieur Frederick Winslow Taylor à la fin du XIXe siècle, et complétée par la chaîne de montage, mise au point en 1913 par le constructeur d'automobiles Henry Ford. Pendant que l'Europe, le Japon et l'Amérique du Nord aiment à s'imaginer comme des sociétés postindustrielles, ces techniques de production déshumanisantes sont plus que jamais appliquées par le management contemporain, loin des regards, dans les ateliers du monde. Mais les ouvriers de Foxconn sont nos ouvriers, et leurs conditions de travail ne dépendent que de nous.

Les témoignages des ouvriers-esclaves ont été regroupés dans une brochure publiée en 2013 par le collectif « Dans le monde une classe en lutte », et paraissent aujourd’hui sous le titre La Machine est ton seigneur et ton maître, aux éditions Agone. Des poèmes de Xu Lizhi les complètent. Car le jeune suicidé était un « travailleur migrant-poète ». Il rêvait de quitter l’usine pour devenir libraire. Dans ses textes, il raconte la discipline quasi militaire, les nuits interminables devant la machine, les maladies pulmonaires causées par la pollution, le logement étriqué et humide, le suicide des compagnons d’infortune. Voici l’un de ses poèmes.

 

 

A lire
La Machine est ton seigneur et ton maître, coll. Cent mille signes, éd. Agone, 111 p., 9,50 €.

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