Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, le 28 novembre 2015 à Paris

Claude Bartolone, l'un des candidats PS battus lors des Régionales. Comme nombre d'élus socialistes, il fait les frais d'une série de défaites aux élections locales, désastreuses pour le dynamisme et les finances de son parti.

afp.com/FRANCOIS GUILLOT

Ter repetita... Les régionales constituent la troisième élection locale perdue par le Parti socialiste depuis que François Hollande occupe l'Elysée. Et l'énumération des territoires abandonnés à l'ennemi commence à prendre des airs de litanie macabre.

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Toulouse, Montpellier, Limoges, Caen, Saint-Etienne, Grenoble, Angers, Reims - notamment - lors des municipales de mars 2014. La Corrèze, la Seine-et Marne, l'Isère, l'Oise, la Creuse, l'Ain, la Somme - entre autres - à l'occasion des départementales de mars 2015. Provence-Alpes-Côte d'Azur, Auvergne-Rhône-Alpes, Nord-Pas-de Calais-Picardie ou les Pays de la Loire le 13 décembre. Scrutin après scrutin, les Berezina succèdent aux Waterloo.

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Une véritable hécatombe locale

Car c'est bien de défaites historiques qu'il s'agit. Le PS a abandonné 162 villes de plus de 9000 habitants l'an dernier (78 "seulement" en 1983, autre millésime calamiteux). 24 départements au début de cette année. Et donc une dizaine d'anciennes régions en métropole ce dimanche. Une hécatombe à laquelle, pour être complet, il faut ajouter la perte de 17 sénateurs, d'un parlementaire européen et de 2 députés lors d'élections partielles. Franchement, cela fait beaucoup.

Au total, près d'un millier de notables ont perdu leur mandat depuis 2012. Sur le monument aux morts du parti, les valeureux tombés au champ de bataille électoral se nomment Pierre Cohen (Toulouse), Adeline Hazan (Reims), Michel Delebarre (Dunkerque), Bernard Poignant(Quimper), Jérôme Guedj (Essonne), Pierre de Saintignon (Nord-Pas-de-Calais-Picardie), Jean-Jack Queyranne (Rhône-Alpes) ou encore Jean-Pierre Masseret (Lorraine), pour s'en tenir aux plus connus. Et encore: seules les communes de plus de 5000 habitants ont été prises en compte.

Le coeur blessé de l'armée socialiste

Cela ne change rien au constat: à quelques rares exceptions près, le bilan oscille entre médiocre et désastreux, en particulier dans le Nord, mais aussi les Bouches-du-Rhône, le Pas-de-Calais, l'Isère ou encore l'Essonne.

Ces déculottées successives n'ont pas seulement pour effet d'attiser la colère des troupes contre le général en chef. C'est le coeur même de la Grande Armée socialiste qui est atteint. Et ce pour une raison essentielle: le PS est devenu un parti d'élus locaux. Selon les meilleurs pointages, établis par les chercheurs Henri Rey et Claude Dargent (1), les conseillers municipaux, les maires, les conseillers départementaux, les conseillers régionaux et les parlementaires ne représentent pas moins de... 32% des adhérents du PS, tandis que 8 % sont des "collaborateurs d'élus".

A ces deux impressionnants pourcentages, il faut encore ajouter les fonctionnaires territoriaux - dont la carrière peut être accélérée quand un "camarade" est à la tête d'une collectivité - et les salariés de structures para-municipales: sociétés d'économie mixte, offices de tourisme, centres culturels, etc. Au bas mot, la moitié au moins des militants du PS vivent, en tout cas partiellement, de la politique.

"Il aurait mieux valu laisser le pouvoir à la droite"

Les communes constituent les piliers de la maison socialiste. Par les ressources dont elles disposent, les réseaux qu'elles contrôlent, les avantages sociaux qu'elles distribuent, les associations qu'elles subventionnent, les emplois qui en dépendent, elles innervent le tissu local du PS et lui permettent d'asseoir son organisation territoriale.

Revers de la médaille, toute défaite municipale a des conséquences en chaîne sur les autres scrutins. Dans un paysage politique sinistré, le maire reste en effet le meilleur candidat pour gagner un canton, "tirer" des voix pendant les régionales et a fortiori lors des sénatoriales, réservées aux "grands électeurs".

En privant le PS de ses précieux édiles, la débâcle de mars 2014 a logiquement aggravé les défaites qui ont suivi. Daniel Percheron, ancien président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, a d'ailleurs théorisé ce processus. "Les socialistes, dit-il, ne sont pas armés pour gérer la mondialisation. Il aurait mieux valu laisser le pouvoir à la droite à Paris et nous replier sur nos bases locales. En gagnant la présidentielle, François Hollande a détruit notre réseau territorial." Et fragilisé l'écosystème du PS.

Touchés au porte-monnaie

Les dégâts sont d'abord financiers. Les élus locaux reversent en moyenne 10% de leurs indemnités au parti, lesquelles représentent 25% des recettes du mouvement. Moins d'élus, c'est donc moins d'argent, même s'il faut relativiser le phénomène, comme le précise le trésorier du PS, Jean-François Debat. "Notre budget consolidé - qui agrège celui du siège national et de ses fédérations départementales - est passé de 65 millions d'euros en 2013 à 60 aujourd'hui. Ce n'est évidemment pas une bonne nouvelle, mais nous sommes simplement revenus à notre étiage de 2010."

Les élus PS perdus depuis 2012

Au total, le PS a perdu 887 sièges d'élus sur les 2768 qu'il détenait et remettait en jeu, soit 32% d'entre eux. En encore, pour les municipales, nous nous sommes limités aux villes les plus importantes, c'est-à-dire les 2049 communes de plus de 5000 habitants. (Enquête statistique : Pierre FALGA)

© / L'Express / Idé

Il le souligne également: l'essentiel de cette baisse - 3 millions sur 5 - provient de la baisse des dotations versée par l'Etat aux organisations politiques, lutte contre les déficits publics oblige, et non des déconvenues électorales. Conclusion de Debat: "Les finances du PS restent saines: nous n'avons aucune dette et nous sommes propriétaires de notre siège. Notre situation n'a rien à voir avec celle des Républicains!"

Ce qui n'empêche pas, il en convient, quelques fédérations de connaître de réelles difficultés, notamment celles qui ont perdu beaucoup d'élus. Car c'est à l'échelon départemental que ceux-ci versent leurs cotisations. Des professionnels de l'action locale, aux dépens du débat d'idées.

Le clientélisme au rang des beaux-arts

Plus sérieuse est l'hémorragie militante. "Après avoir beaucoup progressé, le nombre de nos adhérents est retombé de 180 000 en 2011 à 130 000 cartes aujourd'hui", précise Christophe Borgel, secrétaire national chargé des fédérations. En cause: la déception Hollande, bien sûr, mais aussi les défaites de ces dernières années. "Le pouvoir territorial joue un rôle essentiel dans l'attractivité du parti auprès d'une catégorie d'adhérents qu'il est d'usage d'appeler 'alimentaires', pointe le politologue Rémi Lefebvre (2),doublement spécialiste du Parti socialiste (il l'étudie en tant qu'universitaire et il en est membre à titre personnel). Il en va de même pour de nombreux cadres territoriaux. Quand la droite l'emporte, une partie d'entre eux se mettent en sommeil pour ne pas nuire à leur carrière."

Chaque fois qu'une collectivité est perdue, ce ne sont donc pas seulement les élus qui s'en vont, mais aussi leurs collaborateurs et les membres des innombrables organisations qui gravitent autour d'eux. A tel point qu'une cellule de reclassement a même été mise en place à leur intention...

Soyons honnêtes: tous les édiles socialistes ne ressemblent pas à Jean-Noël Guérini, qui, dans les Bouches-du-Rhône, avait élevé le clientélisme au rang des beaux-arts. En revanche, nombre d'entre eux sont devenus des professionnels de l'action locale, souvent compétents, mais ayant abandonné toute volonté de transformation de la société. Résultat: dans les sections locales du PS, le débat d'idées est souvent atone; l'action militante déconsidérée et l'énergie, pour l'essentiel, tendue vers la conquête et la conservation de postes de pouvoir. "Les intérêts professionnels et militants se confondent souvent", pointe Rémi Lefèbvre. Aussi, certains s'éloignent-ils dès que se lèvent les vents contraires...

Dans cette situation critique, le PS n'a, au fond, qu'une seule raison de voir l'avenir avec un soupçon d'optimisme. Ces défaites répétées, en le déstabilisant dans son essence même, sont pour lui une occasion unique de repenser son fonctionnement. De redonner place aux "vrais" militants. De renouer avec le débat d'idées. Bref, de moins s'intéresser à la conquête et aux agréments du pouvoir qu'aux raisons pour lesquelles il entend l'exercer.

Il y a toutefois une autre hypothèse, sans doute plus crédible. Comme il l'a fait dans les années 2000, le PS pourrait se contenter, cyniquement, d'attendre. Attendre que la droite reprenne le pouvoir à Paris. Attendre qu'elle échoue. Que les électeurs, déçus, la sanctionnent lors des prochaines élections locales et leur offrent de nouveau les clefs des mairies, des départements et des régions. A moins qu'un jour, lassés de ce petit jeu, les Français ne se tournent encore plus massivement vers le Front national. Et n'y prennent goût...

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