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Anciens militants politiques, ils ont choisi l’abstention

Ils ou elles étaient membres d’un parti politique, pour certains anciens élus locaux. Aux régionales, ils ont fait le choix radical de s’abstenir pour marquer leur désaccord avec « l’impasse » des partis.

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Publié le 17 décembre 2015 à 20h27, modifié le 20 décembre 2015 à 16h29

Temps de Lecture 5 min.

Dépouillement des urnes dans le bureau de vote de la mairie de Le Pontet pour les élections régionales 2015 en PACA.

Après plus de dix ans de militantisme politique, Marc L., 30 ans, ne peut dresser qu’un constat amer : quand on est encarté, « on ne change pas la vie des gens ». Lui a commencé à s’investir à 16 ans, d’abord à l’Union pour un mouvement populaire (UMP), jusqu’en 2012, « avant le glissement assez certain du parti vers la droite », puis à l’Union des démocrates et indépendants (UDI), pendant quelques mois, avant de ressentir que la formation centriste « refusait le “i” , pour “indépendance”, de son nom ». Le jeune homme a depuis cessé toute implication dans des structures militantes et « prend du recul » : « Je m’affranchis de tout ce qu’on m’a appris : que voter, c’est important, que le système représentatif, c’est l’expression même de la démocratie. »

De l’autre côté de l’échiquier politique, Gaëlle C. pourrait quasiment reprendre mot pour mot ce discours. Militante socialiste pendant 3 ans, jusqu’en 2009, elle s’est engagée, a distribué des tracts, fait du porte-à-porte, du collage d’affiches, jusqu’à figurer sur une liste pour les municipales de 2008, en région parisienne. Passionnée par la politique, elle voulait débattre, confronter des idées. En particulier sur l’Europe, puisque ce sont les discussions autour du traité européen, en 2004-2005, qui l’ont poussée à s’investir.

Mais aujourd’hui, plus de cinq ans après sa désertion du terrain militant, elle ne peut se remémorer que des réunions de section « où le débat n’est pas permis », des listes électorales composées par la seule action de ce qu’elle appelle la « machine à rétribution » qui « récompense les militants qui ont été les plus fidèles ». « Je pensais faire de la politique en adhérant à un parti politique. Quelle naïveté ! », ironise-t-elle.

« Des gens pour qui la greffe ne prend pas »

Marc L. et Gaëlle C. font partie des millions d’inscrits sur les listes électorales qui n’ont pas voté aux élections régionales : 22,7 millions au premier tour, un peu moins (18,8 millions) au second. Avec ce profil un peu particulier : ces abstentionnistes ont, dans un passé récent, eu tellement foi dans le processus électoral qu’ils y ont pleinement participé. Le premier justifie son abstention nouvelle par « l’impasse » qu’est selon lui devenue la démocratie représentative, composée « d’élites qui se reproduisent et laissent, loin derrière, les citoyens ». « On nous serine que c’est irresponsable de ne pas voter », siffle la seconde, mais « moi, je trouve que c’est de voter pour les partis actuellement en place qui est d’une irresponsabilité finie ».

Tous deux sont ce que Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à l’université Paris-I, décrit comme les « idéalistes » des partis, qui existent dans toutes les formations politiques :

« Il y a toujours un nombre considérable de déçus, qui ne restent la plupart du temps que quelques mois. Ce sont des gens pour qui la greffe ne prend pas, qui ne s’adaptent pas aux règles, qui s’attendaient à ce qu’un parti politique soit un endroit où on parle politique, où on agit. Alors que les partis sont très centrés sur les élections, la compétition interne. Les personnes qui viennent dans un parti sans forcément vouloir prendre des responsabilités sont souvent très vite dégoûtées. »

Ce type d’encartés se fait « de plus en plus rare », au profit de militants « plus réalistes ou cyniques » car « l’expérience aidant, les gens se font moins d’illusions sur ce que peut faire un parti confronté à la réalité du pouvoir ». Dans le cas du Parti socialiste (PS), admet toutefois le sociologue, le changement entre le discours au moment de la campagne présidentielle et la pratique du pouvoir « est tel, et n’a pas du tout été préparé – il touche non seulement à l’économie, mais aussi désormais à la sécurité – qu’on peut comprendre que beaucoup de personnes soient à ce point désarçonnées ».

C’est exactement ce sentiment de confusion que ressent Valérie C., qui a rendu sa carte du PS fin 2012, après avoir milité avec ferveur pendant des mois, au fil des élections : régionales (2010), cantonales (2011), présidentielle (2012). Quelques mois à peine après l’arrivée de François Hollande à l’Elysée, « je me rends compte que ce qu’il fait ne ressemble en rien à ce pour quoi j’avais milité », raconte-t-elle, se remémorant, gênée, les voisins qu’elle avait réussi à convaincre et qui « me demandaient ensuite “pourquoi est ce que vous nous avez fait voter pour lui ? Il fait n’importe quoi” ».

« Surpris par la faiblesse de la chose publique »

De l’expression « démocratie de représentation », Bernard (le prénom a été changé), lui, garde volontiers le dernier mot car « il s’agit bien de théâtre ». Cet ancien conseiller municipal socialiste d’une ville de 10 000 habitants s’est désintéressé du système actuel « après avoir été surpris par la faiblesse de la chose politique ». Il a quitté le PS dès 2007, sans y avoir trouvé « le soutien technique et intellectuel » qu’il espérait en tant qu’élu.

Non-votant de fait puisqu’il n’est pas inscrit sur les listes électorales, il n’a pas pour autant laissé tomber la politique, milite désormais « pour une organisation libertaire » et loue par exemple « l’innovation que sont les ZAD [zones à défendre] et leur système de démocratie directe ». Car les anciens militants nouveaux abstentionnistes restent passionnés par la chose publique et réfléchissent à un système de meilleure prise en compte de l’avis des citoyens : reconnaissance du vote blanc parmi les suffrages exprimés, tirage au sort et formation d’habitants dans certaines assemblées, pense Marc L., voire... élection à vie de représentants « pour qu’ils ne soient pas soumis à la tambouille politique de leur parti  », souligne Gaëlle C.

Difficile de dire si ces témoignages sont symptomatiques de la fuite des militants des partis politiques. Au PS, par exemple, les désillusions sur la ligne « s’accompagnent d’une perte de mairies, de sièges de conseillers », rappelle Frédéric Sawicki, et « on ne sait plus très bien ce qui est à l’origine de la chute  du nombre de militants ». Surtout, précise-t-il, « il y a un lien important entre la conjoncture politique et l’engagement des individus ». A quelques mois de la présidentielle et de la primaire des Républicains, il « sera intéressant de voir si des personnes qui avaient pris leurs distances sont à nouveau attirées par les partis », note le chercheur.

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