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Politique

Pourquoi il faut un référendum sur l'indépendance de la Corse

La victoire des nationalistes aux élections territoriales dans l'île pose plus que jamais la question de la République une et indivisible.
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PHOTOS. Régionales : le nationaliste Gilles Simeoni triomphe en Corse
Gilles Simeoni célèbre sa victoire aux régionales, à Bastia, le 13 décembre.
AFP / PASCAL POCHARD CASABIANCA

« Si les Corses veulent leur indépendance, qu'ils la prennent !» Avec cette phrase provocatrice prononcée en 1996, Raymond Barre avait déclenché un sacré tohu-bohu politique. Dix neuf années ont passé. Et cette proposition est plus que jamais d'actualité avec l'arrivée à la tête de l'exécutif régional corse, depuis le 13 décembre dernier, des autonomistes et des indépendantistes. Comme si rien ne pouvait jamais se régler en Corse sans poser enfin cette question.

Depuis quarante ans maintenant, c'est de fait l'un des dossiers les plus empoisonnés de la République. Pas un gouvernement n'a échappé, au cours des quatre dernières décennies, à la question corse. Tout a commencé le 21 août 1975 à Aléria, sur la côte est de l'île. Ce jour-là, un groupe de militants autonomistes, emmenés par le docteur Edmond Simeoni, fondateur de l'Action Régionaliste Corse (l'ARC), prend le contrôle par la force d'une cave viticole propriété d'un rapatrié d'Algérie. Leur but: dénoncer une escroquerie et défendre les petits viticulteurs qui en sont les victimes. Pris de court, le pouvoir déploie des moyens énormes pour faire sortir les occupants de la cave: 1.200 gendarmes et CRS, des blindés et six hélicoptères. Le 22 août, l'assaut est donné et la cave libérée au terme d'une fusillade de trois minutes qui fait deux morts parmi les forces de l'ordre et un blessé grave chez les autonomistes.

Trois minutes qui marquent le début de la radicalisation corse et la naissance du Front de libération nationale de la Corse (le FNLC), quelques mois plus tard. Certes, la Corse est un oursin pour la France depuis beaucoup plus longtemps. En vérité, depuis le traité de Versailles du 15 mai 1768 qui vit la République de Gênes la céder à la France, se délivrant ainsi d'un peuple rebelle qui, dès 1755, sous la conduite de Pascal Paoli, avait adopté une constitution fondant son indépendance. Devenue département français en 1790, l'île passe aux mains des Anglais deux années durant, de 1794 à 1796, se parant même du titre éphémère de Royaume de Corse.

Autant de réformes pour autant d'échecs

Reprise par les troupes françaises, la Corse n'a plus cessé dès lors d'être indocile, inspirant même cette phrase, dit-on, à Clemenceau : « La solution au problème corse? Cinq minutes d'immersion. » En 1871, alors député, il en demandait, d'ailleurs, la restitution à l'Italie. Il oublia cette idée par la suite. Il est vrai que nombre de Corses sont morts pour la France au cours de la Première guerre mondiale mais aussi de la Seconde. Premier territoire libéré en octobre 1943, l'île inspira même ces mots au général de Gaulle à Ajaccio: « Nous devons sur le champ tirer la leçon de la page d'Histoire que vient d'écrire la Corse française... »

On ne peut comprendre la question Corse sans un rappel du passé. Rien n'a jamais été facile avec ce territoire qui crut devenir une république libre dès le XVIIIe siècle. Et tout est compliqué depuis les événements d'Aléria qui ont réveillé un vieux nationalisme qu'aucun gouvernement depuis n'a su désamorcer. Chacun, pourtant, y est allé de sa réforme : statut particulier en 1982 ; statut Pierre Joxe en 1991 ; statut Jospin en 2000 au terme du « processus de Matignon » ; rejet par référendum du projet de collectivité unique imaginé par Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur, en juillet 2003 ; adoption en juillet 2015 du projet de collectivité unique pour la Corse. Autant de tentatives, autant d'échecs et une fièvre nationaliste, qui rebondit d'épisodes violents en épisodes parfois sanglants avec, surtout, en 1998, l'assassinat du préfet Erignac.

« Une nation, avec sa langue, sa culture, sa tradition politique »

Depuis le 25 juin 2014, le pouvoir pensait, sans doute, en avoir fini avec cette longue et difficile histoire. Ce jour-là, le FNLC annonçait l'abandon de la lutte armée « sans préalable et sans équivoque aucune. » La suite du communiqué n'a probablement pas assez retenu son attention puisque les nationalistes y annonçaient une nouvelle phase : « La construction d'une force politique pour gouverner la Corse et la conduire à son indépendance. »

Nul ne s'y attendait, François Hollande et Manuel Valls, pas plus que les autres, mais ce projet est, aujourd'hui, en marche et vient de franchir une étape importante avec la victoire des nationalistes aux élections territoriales dans l'île le 13 décembre dernier. Unis, les autonomistes de Femu a Corsica, emmenés par Gilles Simeoni, le fils d'Edmond, maire de Bastia depuis 2014, avocat notamment d'Yvan Colonna, reconnu coupable de l'assassinat du préfet Erignac, et les indépendantistes de Corsica Libera, sous la conduite de Jean-Guy Talamoni, avocat lui aussi, ont raflé 35,34% des suffrages au second tour, obtenu une majorité relative et conquis la présidence du Conseil exécutif de la collectivité unique pour la Corse. Et dès le jeudi 17 décembre, à la tribune de cette Assemblée, Jean-Guy Talamoni donnait le ton dans un discours prononcé en langue corse : « Le peuple corse a dit que la Corse n'était pas un morceau d'un autre pays mais une nation, avec sa langue, sa culture, sa tradition politique. »

Un risque politique fort 

Les choses sont claires. Certes, la violence n'est plus à l'ordre du jour et Simeoni n'est pas aussi radical que Talamoni mais ce mouvement nationaliste est, en soi, aussi préoccupant que la progression du Front national. Il pose la question de la République une et indivisible face à un projet de sécession désormais à peine voilé. Le gouvernement, dans cette affaire, a péché par négligence. Il n'a rien vu venir. Le Parti socialiste a, d'ailleurs, été balayé avec seulement 3% et des poussières au premier tour de la consultation régionale. Impossible, à présent, de faire la politique de l'autruche et d'ignorer ce vote.

Certes, cette alliance d'autonomistes et d'indépendantistes ne représente qu'un gros tiers de l'électorat corse mais elle détient maintenant le pouvoir et fera tout pour prospérer. Jusqu'où? On imagine François Hollande trop prudent pour prendre le moindre risque politique sur ce sujet. Sans doute est-il marqué par les mésaventures qu'a connues Lionel Jospin avec ce dossier : son projet de statut provoqua à la fois la démission de Jean-Pierre Chevènement, son ministre de l'Intérieur de l'époque, et sa candidature à la présidentielle de 2002, cause pour partie de son élimination dès le premier tour de la course élyséenne. Mais le fait corse est si considérable qu'il mériterait autre chose qu'une nouvelle tactique dilatoire. Les Corses ont fait un choix qui en dit long sur leurs aspirations. Il serait donc temps de les mettre vraiment au pied du mur et de leur demander par référendum, comme le suggérait aussi Raymond Barre, de se prononcer sur leur indépendance. Le résultat aurait le mérite d'une clarification définitive: un non permettrait de clore le dossier, un oui d'anticiper l'inéluctable. Mais parions que cette idée ne verra pas le jour. Nous sommes à 18 mois de l'élection présidentielle et l'heure n'est pas à l'audace mais aux mièvreries d'une concorde nationale en trompe l'oeil.

 

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