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Transports

Le gouvernement célèbre la COP 21 par une mesure anti-vélo

D’un côté, la COP 21, les grands discours pour sauver la planète de la menace des gaz à effet de serre. De l’autre, le gouvernement qui plafonne l’indemnité kilométrique vélo prévue par la loi de transition énergétique. À l’arrivée, une nouvelle contradiction des socialistes.

« L’Histoire arrive, l’Histoire est là, toutes les conditions sont réunies et elles ne le seront plus avant longtemps. Nous sommes, vous êtes, sur la dernière marche, il faut se hisser encore à la hauteur de l’enjeu. Il n’y aura pas de report, il n’y aura pas de sursis possible, l’accord décisif pour la planète, c’est maintenant. » François Hollande, samedi 12 décembre, au Bourget, s’essayait à la grandeur, le soir de la COP 21 : « La France vous demande, la France vous conjure d’adopter le premier accord universel sur le climat de notre Histoire. »

Sortez mouchoirs et violons ! Mais la grandiloquence du président de la République n’a pas ému son Premier ministre. Car, quelques jours auparavant, Manuel Valls et son gouvernement ont fait passer une décision contraire à l’esprit de l’accord de Paris.

« Ce n’est pas la COP 21, c’est la COM 21 ! »

Mardi 1er décembre, alors que la COP 21 est lancée depuis deux jours, l’amendement 674 au projet de loi de finances rectificatives est défendu lors de la première séance par Christian Eckert, le secrétaire d’État au Budget. Son objectif : plafonner l’exonération d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales de l’indemnité kilométrique vélo (IKV) à 200 euros par an et par salarié. Tout en soulignant que cette indemnité reste au libre choix de l’employeur.

C’est un recul marqué par rapport à la disposition inscrite dans la loi de transition énergétique, adoptée le 23 juillet 2015. Pour la première fois, la loi avait instauré cette incitation financière à l’usage du vélo pour les déplacements domicile-travail. Le 30 septembre dernier, elle avait été fixée à 25 centimes d’euro par kilomètre, soulevant les autocongratulations du secrétaire d’État aux transports, Alain Vidaliès, qui qualifiait ce montant de « bel engagement du gouvernement ».

À partir d’une moyenne de 7 kilomètres aller-retour par jour pour le trajet domicile-travail, calculée par le ministère de l’Écologie, on parvient à la somme de 35 euros par mois, selon le Club des parlementaires pour le vélo, qui défendait en conséquence un plafond annuel situé autour de 385 euros. Dès lors, revenir à 20 euros par mois est un recul important, souligné par le député Baupin (EELV) durant la discussion parlementaire : « Au concours Lépine de qui trouvera les meilleurs dispositifs pour casser les mesures favorables au vélo, […] ils [les services de Bercy] font preuve d’une obstination et d’une imagination à nulle autre pareille ! » De son côté, Éric Straumann, député des Républicains, raillait la contradiction du gouvernement : « Ce n’est pas la COP 21, c’est la COM 21 ! »

 L’indemnité kilométrique vélo multiplie par deux le nombre de cyclistes

Ainsi plafonnée, cette exonération d’impôt sur le revenu (pour le salarié) et de cotisations sociales (pour l’entreprise) perd de sa substance incitative. Or, l’incitation financière est un levier important de changement des comportements, d’après l’étude « Évaluation de la mise en œuvre expérimentale de l’indemnité kilométrique pour les vélo » réalisée par le cabinet Inddigo pour le compte de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie).

Cette étude, effectuée de juin à décembre 2014 sur les salariés de 18 entreprises françaises volontaires, constate que l’IKV multiplie par deux le nombre de cyclistes. « Nous avons compté jusqu’à 25 % de cyclistes sur 200 les salariés de l’entreprise pendant l’expérimentation, alors que d’habitude, nous tournons autour de 10 à 12 %, résume Guillaume Lucas, d’Inddigo. J’ai même un collègue qui a continué à prendre le vélo ensuite ! »

Mieux encore, cette indemnisation encourage les cyclistes à allonger leurs trajets. « Le distance moyenne parcourue est 30 % à 50 % plus importante pour les adhérents à l’IKV que celles issues de l’Enquête nationale transports et déplacements (ENTD) de 2008, de l’ordre de 3,6 kilomètres », indique le document d’Inddigo.

L’Ademe poursuit sa mesure de l’évolution de la pratique du vélo chez les salariés des 18 entreprises de la période d’expérimentation. De nouveaux résultats seront publiés début 2016. « Les changements de comportements de mobilité ne se font pas en quelques mois », dit Mathieu Chassignet, ingénieur transports et mobilité à l’Ademe. Mais « on voit que l’effet de l’IKV se renforce dans le temps. L’augmentation de la pratique est encore plus forte au bout d’un an. C’est spectaculaire. »

Avec le plafonnement de l’exonération, l’avantage comparatif du vélo par rapport aux autres moyens de transport disparaît. En effet, la prise en charge des frais réels liés à la voiture s’élève également à 200 euros par an et par salarié. La prise en charge par les entreprises du « Pass Navigo » [1] s’élève à 385 euros par an.

Le mépris du gouvernement pour le vélo

Le plafond décourage également les cyclistes qui pensaient investir dans un vélo à assistance électrique, alternative intéressante aux voitures et deux-roues les plus polluants puisqu’il permet de parcourir facilement des trajets d’une dizaine de kilomètres. « Pour amortir un vélo électrique, il faut une indemnité de 500 euros par an, calcule Mathieu Chassignet. Avec 200 euros, on est très loin du compte. »

Enfin, l’argument de M. Eckert, présenté le 11 décembre au Sénat et selon lequel « l’employeur peut, s’il le désire, accorder une indemnité au montant qu’il souhaite, mais, à partir de 200 euros par an, celle-ci sera fiscalisée et assujettie à cotisations sociales », ne convainc pas l’ingénieur de l’Ademe. « Il est très peu probable que les entreprises aillent au-delà de l’exonération, estime-t-il. Jusqu’à présent, les entreprises auraient très bien pu, spontanément, fixer une IKV non exonérée. Aucune ne l’a fait. »

Cette attaque contre l’IKV dénote le mépris du gouvernement pour le vélo. Une indemnité à 25 centimes le kilomètre avait été présentée comme une mesure antipollution par Ségolène Royal, le 30 septembre dernier sur France 2. Or, M. Eckert, sur « arbitrage rendu au nom du Premier ministre », prétend aligner l’IKV à l’indemnité kilométrique voiture pour des raisons d’équité... Ce qui a fait s’étrangler M. Baupin. « Il n’est pas illégitime qu’en tant que parlementaires, nous décidions de favoriser certains modes de transport plutôt que d’autres dès lors qu’ils sont meilleurs à la fois pour les finances, pour la qualité de l’air et pour la santé publique », s’est exclamé le député EELV.

« Favoriser le bien-être des gens, préserver leur santé permet à l’État de faire des économies », a pour sa part plaidé Evelyne Yonnet, sénatrice (PS), le 11 décembre. En effet, l’IKV « a permis de réduire de moitié le nombre de personnes ayant une activité physique insuffisante », d’après l’évaluation. Globalement, « un euro investi dans le vélo peut rapporter 6 à 7 euros selon les études », confirme Olivier Schneider, président de la Fédération des usagers de la bicyclette.

« Le seul outil posé aujourd’hui sur la table »

L’InterKoalitionVélo, nouvelle structure née ces jours-ci afin de rassembler tous les acteurs associatifs impliqués dans la promotion du vélo, reconnaît que la mesure ne constitue pas l’alpha et l’oméga d’une politique ambitieuse pour le vélo. « Ce n’est pas parmi les mesures prioritaires que l’on aurait porté en premier si on avait eu le choix, explique Olivier Schneider, président de FUB et membre de ce regroupement. Mais c’est à peu près le seul outil posé aujourd’hui sur la table, alors nous nous y accrochons pour demander d’aller au moins jusqu’au bout de sa logique. »

L’IKV représente au fond une première marche, dont la difficulté à être franchie symbolise les réticences des pouvoirs publics à rouler pour le vélo. « C’est une bonne mesure, ne serait-ce que parce que cela permet de rééquilibrer un peu les politiques favorables au vélo par rapport à toutes celles pour l’automobile », défend Pierre Gogin, président de la Fédération professionnelle des entreprises du Sport et des Loisirs (FPS), également membre de l’InterKoalitionVélo. « Il ne faut pas y aller en se bouchant le nez, mais prendre une mesure concrète. Plafonner l’indemnité à 200 euros, c’est quasiment du greenwashing ! »

L’IKV est en tout cas un symbole du hiatus entre le discours et les actes du gouvernement en matière d’écologie. « On ne sortira pas du fossile sans développement massif du vélo, qui est un outil réel pour atteindre nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre », assure Lorelei Limousin, du réseau Action climat-France. Dans le pays du Tour de France, le recul sur l’IKV ressemble à une première sortie de route sur le long chemin de l’accord de Paris.

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