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Le djihad de France et d'ailleurs

LE LIVRE DE LA SEMAINE - Terreur dans l'Hexagone. Genèse du djihad français, Gilles Kepel avec Antoine Jardin, Gallimard, 330 p., 21 euros.

Patrice Trapier , Mis à jour le
Terreur dans l'Hexagone du spécialiste de l'islam Gilles Kepel
Terreur dans l'Hexagone du spécialiste de l'islam Gilles Kepel © DR

C'est le livre dont tout le monde parle, celui qui a fait sortir de ses gonds Marine Le Pen et poster des images atroces de Daech. Il y a pourtant, derrière ce buzz médiatique, non pas un coup fumant de publiciste mais un vrai livre, c'est-à-dire une réflexion, une expertise et des valeurs. C'est tout ce travail que Marine Le Pen a voulu escamoter par son geste de pompier pyromane, mettre le feu pour détourner l'attention, réduire la nécessaire complexité du débat à une question binaire, "oui ou non ; noir ou blanc".

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Bien évidemment, le Front national n'est pas Daech. Gilles Kepel démontre néanmoins la montée parallèle des nationalo-identitarismes, une "congruence" pour employer le mot savant qu'il affectionne (une adaptation réciproque), des "phénomènes de ressemblance", une polarisation qui pousse à l'alternative mortelle entre Kalach et Martel, le terrorisme djihadiste face au désir de "reconquête" antimusulmane. Cette question ne forme que l'une des multiples parties d'un ensemble bien plus ambitieux ; une analyse plurifactorielle qui porte bien son sous-titre "Genèse du jihad français" et très mal son titre racoleur : Terreur dans l'Hexagone.

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Il a publié dès 1987 "Les Banlieues de l'islam"

Spécialiste de l'islam et du monde arabe, Kepel travaille depuis des années sur le point douloureux de toute cette affaire, le point d'intersection entre le djihadisme moyen-oriental et l'islam français. Après avoir étudié les mouvements islamistes en Égypte, la terre des frères musulmans, il a publié dès 1987 Les Banlieues de l'islam, dans lequel il pointait la question de "la naissance de l'islam en France". Au début des années 2000, il a été soutenu par l'Institut Montaigne pour travailler pendant un an sur deux communes de Seine-Saint-Denis, Clichy-sous-Bois et Montfermeil, épicentres des émeutes de 2005 .

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C'est de ce travail de terrain et de réflexion dont Kepel bénéficie aujourd'hui pour traiter la question centrale : pourquoi la France se situe-t-elle à l'avant-garde quant au nombre de jeunes Occidentaux qui brisent leurs attaches (leur hidjrah mime l'hégire du Prophète, qui quitta La Mecque pour Medine) pour rejoindre le combat de Daech "au pays de Sham" (du Levant au Yémen), participer au projet d'un "islam total" aux dimensions eschatologiques. C'est incroyable mais ces jeunes gens sont persuadés de mener une guerre de la fin des temps.

Kepel resitue cette nouvelle génération dans l'histoire du terrorisme islamiste, depuis l'Afghanistan jusqu'au dépassement d'Al-Qaida par Daech . Il éclaire l'importance d'Abu Musab Al-Suri (le Syrien) ingénieur passé par la France et l'Espagne, qui a théorisé l'idée d'un djihad intégral (Kepel parle du djihad 3G), ouvert à tout le monde ("une pierre, un couteau, un crachat"), délaissant le type d'organisation verticale hiérarchisée d'Al-Qaida, préférant attaquer une Europe proche et censément faible à une Amérique puissante et lointaine.

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Les "hauts fonctionnaires omniscients mais incultes"

Pour montrer comment et pourquoi ce djihad du pauvre rencontre un tel écho en France, Kepel étudie longuement le cas de Lunel, cette petite ville située à 20 km de Montpellier, qui a totalisé en 2014 la plus forte proportion de djihadistes partis en Syrie, cette bourgade frappée par une paupérisation conjuguée à un triplement de sa population et à un vide existentiel. Il raconte dans le détail les analogies de parcours de Khaled Kelkal, l'homme des attentats de 1995 , de Mohamed Merah et de son réseau d'Artigat , des frères Kouachi, d'Amedy Coulibaly . Il démonte leur vulgate et leur idéologie mutante.

Il y a bien d'autres aspects passionnants dans le livre de Kepel, de nombreuses pistes de débats féconds, effrayants mais nécessaires. La gravité des attaques répétées de 2015 nous met au pied du mur : il est temps de sortir des débats idéologiques approximatifs, l'exonération ou l'anathème. Gilles Kepel s'emporte autant contre "les politiciens sans étoffe", "les pseudo-experts" et "les hauts fonctionnaires omniscients mais incultes" et il appelle de toute urgence à relancer les études islamiques dont l'abandon fait honte au pays de Louis Massignon, de Jacques Berque et de Maxime Rodinson. Il a mille fois raison.

Source: JDD papier

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