INTERVIEWLigue 1: «Aucun club français ne peut dire qu’il n’a pas de lien avec le grand banditisme»

Ligue 1: «Aucun club français ne peut dire qu’il n’a pas de lien avec le grand banditisme»

INTERVIEWSelon Thierry Colombié, spécialiste de la criminalité organisée en France…
Le joueur du Sporting club de Bastia, François Modesto (au centre), félicité par ses coéquipiers après un but contre Saint-Etienne, le 28 septembre 2013.
Le joueur du Sporting club de Bastia, François Modesto (au centre), félicité par ses coéquipiers après un but contre Saint-Etienne, le 28 septembre 2013. - AFP PHOTO / ROMAIN LAFABREGUE
Propos receuillis par Julien Laloye

Propos receuillis par Julien Laloye

L’information a été révélée mercredi par Le Monde. Le Sporting club de Bastia fait actuellement l'objet de deux enquêtes préliminaires pour des flux financiers suspects. Le volet le plus important concerne un transfert d’argent à un bar PMU lié de très près au gang dit «de la Brise de mer». Rien de très surprenant selon Thierry Colombié, spécialiste de la criminalité organisée et auteur d’un ouvrage sur le sujet en 2013, Les Héritiers du Milieu : Au cœur du grand banditisme, de la Corse à Paris.

Le club de Bastia est-il lié au grand banditisme ?

On se heurte au problème de la preuve. Le lien n’a été mis en évidence qu’une fois pour le club de Bastia (ndlr : le dossier avait abouti à la condamnation de plusieurs dirigeants du club, poursuivis pour avoir «racketté» l’agence de voyages Nouvelles frontières). Mais aujourd’hui, le milieu du grand banditisme n’a plus besoin d’un club de foot pour blanchir de l’argent, comme il le faisait de manière assez simple, en surfacturant les recettes de matchs. Il y a d’autres moyens intraçables pour ça en 2013. Là, on n’est plus dans ce cadre-là.

L’enquête spécifie pourtant qu’il existerait «des flux frauduleux» entre le club et un bar PMU lié au gang «de la Brise de mer». Ce n’est pas du blanchiment ?

C’est plutôt récupérer de l’argent qui n’est pas à soi. Au moment de l’explosion des droits TV et de la libéralisation du marché des transferts, le milieu du grand banditisme a saisi l’opportunité de s’implanter dans le foot pour asseoir sa position dominante et s’implanter dans le tissu économique et politique français. On imagine que le gang de la Brise de mer n’opère qu’en Corse, mais c’est faux. Son rayon d’action est beaucoup plus large.

Comment ça se passe concrètement ?

On crée un siphonage de l’argent récolté via des moyens frauduleux, afin par exemple de rétribuer toutes les parties qui ont participé à la réalisation d’un transfert. Pourquoi choisit-on de le faire par le biais d’un bar PMU ? Ca existe depuis la nuit des temps. On peut penser qu’on transforme l’argent en tickets gagnants, et ça permet de justifier le train de vie de certaines figures liées au grand banditisme. Pareil pour la société de location de voitures. Qui va vérifier sur un parc de 200 voitures combien sont réellement louées ?

Cela ne concerne que la Corse ?

Non, aucun club français de Ligue 1 ne peut dire qu’il n’a aucun lien avec le grand banditisme. Imaginez que Bastia ou Ajaccio, pour citer un autre club corse, achètent un joueur à Nice ou à quelqu’un d’autre au-dessus du prix du marché. Une partie est récupérée en liquide, puis partagée entre toutes les parties, soit un système de rétro-commissions classique. C’est un peu la même chose que l’affaire des transferts suspects à l’OM à l’époque de Courbis. Le contenu des dernières écoutes téléphoniques concernant José Anigo et Marseille prouvent que cela continue.